Panne dans les sondages, sifflets et propos choc : Nicolas Sarkozy a-t-il perdu la recette de la transgression constructive ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy est en perte de vitesse dans les sondages.
Nicolas Sarkozy est en perte de vitesse dans les sondages.
©Reuters

Coup de mou

Si la cote de popularité de Nicolas Sarkozy semble aujourd'hui baisser face à ses rivaux, les polémiques qui l'entourent, elles, sont toujours bien présentes. Droit du sol, porc dans les cantines... le président des Républicains bouscule toujours l'opinion, sans pour autant que cela lui bénéficie. Contrairement à 2007, son art de la transgression semble tourner à vide.

Carole  Barjon

Carole Barjon

Carole Barjon est rédactrice en chef adjointe à la rubrique politique, chargée de l’Elysée et de la droite au Nouvel Observateur.

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Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Nicolas Sarkozy semble en perte de vitesse dans les sondages, quels facteurs peuvent l'expliquer ? Plus particulièrement, quelles raisons identifie-t-on dans son entourage ?

Christelle  Bertrand :Les sondages lui sont, en effet, de moins en moins favorables. Le Journal du Dimanche a publié ce week-end, une enquête d’opinion qui montre qu’Alain Juppé devance désormais l’ancien Président dans la perspective de la primaire de décembre. C’est la deuxième étude qui va dans ce sens-là. La première, dans Le Parisien du 23 mai, montrait même une nette différence entre les deux hommes : Alain Juppé avec 55% devançant de 10 points Nicolas Sarkozy au second tour de la primaire. Rien d’étonnant dans cette perte de vitesse. On voit bien, depuis le mois de décembre, que les déclarations du président des Républicains n’impriment pas. Juste après les attentats de janvier, il a eu du mal à faire entendre sa voix sur les questions de terrorisme. Il a aussi raté le débat sur la réforme des collèges en le réduisant à un propos polémique sur Najat Vallaud-Belkacem qui aurait dépassé Christiane Taubira en matière de médiocrité. Propos qui a fini par se retourner contre lui. De plus, Nicolas Sarkozy semble avoir du mal à convaincre l’opinion qu’il a changé. Son entourage a beau répéter qu’il est devenu un homme calme, zen et posé, ses interventions télévisées, les images le montrant lors de certaines réunions publiques comme celle de La Villette montrent le contraire. Cette image, outre qu’elle déplait aux électeurs qui ne voient plus l’homme dynamique mais l’homme stressé, le renvoie à son quinquennat que beaucoup de Français ont jugé clivant et décevant. Ils ont aujourd’hui du mal à croire que l’acte II sera très différent. Les Français sont actuellement en quête d’espoir, d’un souffle nouveau que Nicolas Sarkozy n’arrive pas encore à incarner.

Carole Barjon : Je pense qu’il y avait, pour lui, un mauvais passage inévitable. A partir du moment où il est redevenu chef de l’UMP, il a du même coup accepté d’être, en quelque sorte, rétrogradé et de passer du statut de Président de la République à celui de chef de parti avec des conséquences négatives sur son image et sur la perception que l’opinion a de lui. En professionnel de la politique qui roule sa bosse depuis longtemps, Nicolas Sarkozy avait anticipé sa baisse dans les sondages. Il savait que la crise de l’UMP en 2013, et notamment la guerre entre François Fillon et Jean-François Copé, avait révélé une crise du leadership à droite. Du coup, il était en quelque sorte mythifié, donc surcoté. Il savait bien que sa "rentrée dans l’atmosphère" provoquerait nécessairement une baisse de sa cote dans les sondages. C’est le prix à payer pour le passage entre rêve et réalité ; entre un ancien président révéré par les militants, entretenant le mystère sur ses intentions –et presque regretté par ses adversaires !-  et un homme qui redevient un simple chef de parti.

 Il ne faut pas oublier non plus que l’an dernier, François Hollande était au plus bas et que les socialistes avaient pratiquement honte de lui. Par comparaison, le rejet de Sarkozy était donc moindre dans l’opinion.  Il ne faut pas oublier enfin et surtout, que sa cote a baissé auprès de l’ensemble des Français, mais, à ce moment là, jamais dans le cœur des militants UMP. Après son élection à la présidence de l’UMP, sa cote dans les sondages a remonté auprès des sympathisants car, la famille UMP avait retrouvé un "patron". Aujourd’hui, ce qui est plus inquiétant pour lui, c’est qu’après cette embellie, Sarkozy baisse à nouveau, mais aussi chez les sympathisants de droite, comme l’a montré le sondage de l’Ifop dans le JDD. Cela veut-il dire que son noyau dur commence à s’effriter ? En tout cas, c’est une mauvaise nouvelle pour lui. Car l’une de ses forces jusqu’ici, était de disposer d’un socle quasi-incompressible de 200.000 militants motivés et déterminés. Tout son propos depuis son retour sur la scène publique est non seulement de le conserver, mais aussi de l’élargir avant la primaire de 1016. 

Depuis quelques temps, on l’a vu lors du débat sur les menus sans porc dans les cantines et aujourd’hui sur le droit du sol, il tente de "transgresser" comme il le faisait en 2007 mais avec moins de succès. Pourquoi ?

Christelle  Bertrand : On ne comprend, en effet, pas la logique, le fil rouge, ce vers quoi tend l’ancien président. Quelle société entend-il dessiner ? On voit bien, au fil de ces déclarations, qu’il tente d’être dans la transgression comme il l’était en 2007, mais la machine semble tourner à vide. Ses prises de position apparaissent comme de l’affichage plus que comme des convictions fortes. Il veut choquer, attirer l’attention sur lui et séduire la droite de la droite mais son discours ne semble pas émaner de profondes convictions. Ainsi, sur le droit du sol, toute la presse a immédiatement noté qu’en 2003, face à Jean-Marie Le Pen sur France 2, Nicolas Sarkozy avait affirmé le contraire : "le droit du sang c'est une bêtise. Parce que le droit du sang ne peut pas être suffisant. Il faut le droit du sol", s’était-il emporté. Qui croire, se demandent les Français : Sarkozy de 2003 ou Sarkozy de 2015 ? On sent bien qu’il s’adapte avant tout à son électorat cible. Aujourd’hui, c’est l’aile droite des Républicains demain, s’il est élu candidat de la droite à l’élection présidentielle, il se tournera à nouveau vers le centre car il devra empêcher les électeurs modérés de voter Hollande comme ils l’ont fait en 2012 s’il veut accéder au second tour. Son cheminement risque d’être difficile à suivre. Sans doute devrait-il, comme Alain Juppé, garder le silence sur les sujets importants mais en tant que président du principal parti d’opposition, il ne peut rester coi.

Carole Barjon : D’abord parce qu’on le connait. Il est beaucoup plus difficile pour lui aujourd’hui d’étonner.  L’exercice qu’il a entrepris est un exercice qui relève presque de l’impossible. On a bien vu comment Valéry Giscard d’Estaing, qui l’a tenté, n’y est jamais arrivé. On mesure donc la difficulté de ce pari. Les gens le connaissent, certains l’ont déjà jugé définitivement : l’effet de surprise ne joue plus comme avant 2007. On connait ses trucs, ses méthodes, ses recettes. Ensuite, la transgression sarkozienne fonctionne moins, sans doute parce que la France s’est aussi beaucoup radicalisée. Quand on entend François Hollande parler de "Français de souche" dans un discours, même avec quelques précautions de langage, on se dit que beaucoup de choses ont changé. Enfin, Sarkozy, en tout cas sur le droit du sol, n’affirme pas qu’il faut le supprimer mais que le débat mérite d’être ouvert… Ce n’est pas exactement le même ton qu’en 2010 par exemple.

Mais Nicolas Sarkozy fonctionne par séquence par étape et son objectif pour le moment c’est de solidifier et d’élargir son socle à droite. Son propos est d’abord de piquer les électeurs du FN… sans s’aliéner l’électorat du centre. Il part du principe que son électorat est plus solide que l’électorat de Juppé, qui est plus modéré et plus centriste, donc plus friable. On verra bien en 2016 qui des deux aura eu raison.

Yves Roucaute :Transgresse-t-il ? Si cela signifie qu’il veut dépasser les barrières actuelles alors ce serait une bonne nouvelle. Car l’ordre actuel doit être en grande partie balayé à moins d’imaginer que l’on va soigner les 12 plaies de la France en  les recouvrant d’un pudique mouchoir à la façon du Tartuffe de Molière. Car c’est malheureusement ce que l’on propose à la France depuis des années.  Il nous faudrait un dirigeant qui aime assez la France pour avoir le courage de lui proposer des réformes de fond, au lieu de ces pleutres qui naviguent en gestionnaires, avec pour horizon leur carrière.

En attendant, nous sommes dans le simulacre.

Les journalistes se précipitent sur des phrases, des réflexions en cours, des oppositions de personnes qui, parfois, sont de circonstance. Certes, je ne leur reproche pas. Un quotidien doit être alimenté quotidiennement, un hebdomadaire hebdomadairement et nul n’est jamais parvenu à vendre papier et audience sur les trains qui arrivent à l’heure. Mais, il faut néanmoins rappeler que l’agenda politique n’est pas destiné à nourrir l’agenda médiatique.

Les adversaires politiques de Nicolas Sarkozy contribuent eux aussi à ce simulacre. Et il n’est pas possible de le leur reprocher car la politique a ses règles. Ils savent que les élections ne se gagnent pas la veille de la bataille électorale. Or, quel est leur principal ennemi ? Celui qui précisément pourrait faire bouger les lignes, celui qui pourrait attaquer leurs bastions, celui qui pourrait mettre un terme à leur direction idéologique. Aujourd’hui, ils pensent que c’est Nicolas Sarkozy. Alors, Ils tentent de faire courir les rumeurs, de fomenter des dénigrements, de salir l’image de Nicolas Sarkozy, pour empêcher les alliances et pour l’isoler.  C’est de bonne guerre.

Ils poussent le simulacre jusqu’à soutenir ses adversaires au sein des Républicains,  en particulier Allain Juppé, pourtant détesté par eux hier. Ils pensent que cet énarque, Inspecteur des Finances, qui sera âgé de 72 ans aux présidentielles, serait moins dangereux, s’il était élu pour 5 ans et surtout, ils croient qu’ils en viendront plus facilement à bout. Ils sont prêts, lors des primaires au sein des Républicains, à faire voter pour lui. Il va être facile, me disent-ils, de ressortir sa condamnation à la prison, son inéligibilité, l’affaire de l’appartement HLM occupé par son fils quand tant de pauvres n’y ont pas accès. Ils se souviennent qu’il a reculé lors de la réforme des retraites quand il était premier ministre en 1996, qu’il a augmenté la pression fiscale plus encore que François Mitterrand, allant jusqu’à créer des impôts nouveaux, qu’il a attaqué les médecins, et bien d’autres mesures rappelées qui le couperont de certaines forces sociales. Et ils parient sur ses maladresses, songeant à son erreur incroyable, digne d’un plan  en deux fois deux parties d’un bon élève de science po, quand il décida, en 1997, de dissoudre l’assemblée nationale, pourtant de droite au nom d’un « nouvel élan », ce qui ramena la gauche qui n’en demandait pas tant, au gouvernement.

Si nous sortons de ces jeux de dupes, la vérité est que Nicolas Sarkozy n’avance pas de propositions pour les présidentielles de demain, car ce n’est pas le bon moment, et il a raison.  Il ouvre les débats en partant de ce que les gens ont dans la tête, tel le droit du sol. Et il a raison.

Pourquoi ne le faudrait-il pas ? Si, aussi loin des échéances, on ne peut aborder les thèmes qui sont dans la tête des concitoyens, quand le peut-on ?  Et les protestations entendues, y compris chez les Républicains, me font penser que, malheureusement, bien des politiques devraient faire une autre carrière.

Nicolas Sarkozy est, juste avant l’été, dans une phase de réflexion. Sauf crise majeure, il ne se passera rien avant la fin de l’été dans la campagne. Il a donc intérêt à lancer une réflexion globale.

C’est la bonne méthode. Comme le disaient Aristote et Thomas d’Aquin, un chef politique qui a un peu de sagesse pratique, doit commencer par délibérer. Nous sommes dans ce temps de la délibération. Et, puis ensuite, ce sera le second temps, il va falloir choisir, ce sera le temps du programme, qui sera proposé au pays. Et ensuite, c’est le troisième temps,  il faudra agir : mettre en œuvre ce programme.

La vraie question, aujourd’hui, n’est donc pas de savoir s’il a le droit, ou non, de soulever des questions comme celles que vous soulevez, celles du droit du sol, de al place de l’islam, des cantines, car non seulement il en a le droit, mais, puisque ces questions sont dans la tête de nombre de nos concitoyens, il en a le devoir. 

Et il est tout simplement déroutant de voir se reproduire, une fois encore, ce qui a conduit l’ensemble des citoyens à se détourner des élites républicaines, cette façon autiste de prendre la réalité en refusant d’aborder ce qui se dit dans tous les cafés.

Quand Nicolas Sarkoy dit que la question du droit du sol mérite d’être posée, qu’il veut consulter les adhérents en organisant un référendum interne au parti avant un an, on peut se dire : pourquoi pas ? Sarkozy ne dit pas qu’il est pour l’abrogation du droit du sol ! Je ne l’ai, en tout cas, jamais entendu dire cela. Et vous savez que, pour ma part, j’y suis opposé. A l’inverse, discuter de cette question n’est pas absurde. Se demander si des mesures pourraient être prises pour contrôler l’immigration, imposer des obligations à ceux qui aspirent à devenir français, donc à entrer dans une communauté de vie, comme cela se voit dans les autres républiques, pourquoi pas ? Je suis, par exemple, favorable à des exigences en matière de langue, d’histoire, de géographie. Est-il acceptable que les résultats scolaires dans certaines écoles, comme cela se voit parfois à Grenoble, soient affrichés en arabe sous prétexte que des citoyens parlent mal le français ? Imagine-ton en Chine, au Japon, en Allemagne cela possible? Il propose d’en débattre pendant un an, ce qui ne coïncide pas avec le temps des médias. Je souhaite pour ma part que l’on débatte de tout, du salut au drapeau dans les écoles à l’augmentation de nos moyens de défense, du port de la blouse  dans les classes à la mise en valeur de nos territoires d’Océanie, de la répression contre les incivilités à la libération de nos entreprises, des tromperies de l’assistance aux soutiens de ceux qui souffrent. Oui, il faut parler de ce qui préoccupe les citoyens et il est absurde de le refuser, à moins de vouloir que Marine Le Pen soit élue président de la république, que l’extrême-gauche envahisse les rues et que la France continue à s’affaiblir.

Le vrai problème est que Nicolas Sarkozy a impérativement besoin de construire une vraie pensée propre aux Républicains, qui appuiera une vraie stratégie. L’une découle de l’autre, et de la stratégie découlera ensuite la tactique. La seule question, dans cette phase de délibérations, est donc de savoir si ce parti a les moyens théoriques d’une pensée stratégique et si Nicolas Sarkozy est conscient de l’immense besoin qu’il a pour élaborer cette élaborer de construire les réseaux qui vont plonger au cœur du pays et au centre des savoirs ?

Nous abordons ici le problème fondamental de la droite. Car, on l’a vu avec la période Chirac, ce qui règne est la confusion théorique. Et son corollaire, le mépris des intellectuels et l’incapacité à former de vrais cadres, sortes d’intellectuels organiques au sein du parti. Or, lorsque la confusion théorique règne, alors la tactique devient centrale avec l’absence de pensée, donc de stratégie.

Jacques Chirac faisait de bons coups tactiques, mais aussi de mauvais, c’était devenu une personnalité sympathique mais avait-il une vision ? François Mitterrand avançait à vue. D’où ce sentiment que la France, depuis Georges Pompidou, n’a pas beaucoup avancé. Songez à un de Gaulle ou à un Churchill, à un Ronald Reagan ou à une Angela Merkel, ils ont tous un point commun : une vraie charpente théorique, à partir de laquelle ils ont développé une vraie stratégie. Qu’aurait été Charles de Gaulle sans l’influence des Thomas d’Aquin, via les thomistes ? D’où lui vient son respect pour l’intelligence et la force de ses réseaux ? Certes, ils ont aussi été de bons tacticiens, car tous les hommes politiques jouent des effets d’annonce, de placement par rapport aux autres, et Nicolas Sarkozy, comme Juppé ou Hollande, ont besoin de se placer sur le marché par rapport à leurs rivaux. Mais la tactique  des grands hommes est déterminée par leur stratégie et celle-ci, par leur pensée, non le contraire. Ce n’est pas un hasard si la plupart des dirigeants politiques de la IVème République sont tombés dans l’oubli. Et la France souffre du fait que, depuis Pompidou, nous n’avons plus eu de grande pensée stratégique.

Pour en revenir à Nicolas Sarkozy, il ne fera des grandes choses que s’il a une grande pensée, et cela ne se construit pas en trois mois sur quelques coups. Et sans être entouré. C’est ce qu’il semble avoir compris, ce dont les prétendues « transgressions » sont le signe peut-être. L’avenir en tout cas nous le dira. Être un homme de coups ou un stratège, voilà le défi. Celui de l’histoire aussi.

Les transgressions actuelles de Sarkozy font du bruit dans l’arène médiatique, mais finalement ne tombent-elles pas à plat car elles manquent de fond ?

Yves Roucaute :Si la transgression est de parler de ce que les gens ont dans la tête, alors, comme je vous l’ai indiqué, tant mieux. Laissons aux salons, leurs cris d’orfraie. ll me semble, surtout, que ce n’est pas le bon moment pour lui de développer une stratégie alternative. Aujourd’hui, c’est le moment de penser la stratégie qui sera mise en œuvre, d’en discuter, d’en débattre, avant de la formaliser. Si nous étions dans la formulation immédiate d’une pensée stratégique, cela serait une erreur.

Je crois qu’il faut le dire avec force : la droite n’est pas prête, aujourd’hui, à formuler un projet alternatif construit, pensé et structuré. Comparez avec ce qui se fait actuellement aux Etats-Unis dans la campagne présidentielle avec ce bouillonnement des idées, aussi bien chez les démocrates que chez les républicains. Ou ce qui se fait autour d’Angela Merkel. Il faut construire ce projet sur toutes les questions, y compris économiques, sociales, culturelles, industrielles, d’éducation etc. Sur tous ces sujets, la droite n’est absolument pas au point.

Laissons de côté le bruit médiatique, quand, précisément, c’est du bruit.

Très concrètement, la force de Nicolas Sarkozy réside dans sa volonté, c’est un volontariste. Personne ne peut lui retirer cette vraie qualité en politique, car le politique, à la différence du gestionnaire, c’est d’abord un être de volonté. Après le temps de la délibération et du choix, vient celui de l’action. Sans action, pas de vraie politique. Et nous souffrons d’aoivr une classe politique de gestionnaires.

Cela est d’autant plus vrai quand il s’agit de faire bouger les lignes, car on a alors besoin de chef politique qui ont du courage et non qui savent faire un plan en deux fois deux parties. Il y a d’autres périodes où l’on a besoin d’hommes qui stabilisent et reconstruisent, comme ce fut le cas après la seconde guerre mondiale. Mais il est d’autres époques où les pays sont englués dans le conservatisme, dans la gestionniste aïgue, dans la crise morale, économique et sociale. Alors, c’est l’occasion donnée par l’histoire à ceux qui ont un tempérament volontariste.. Aujourd’hui tout le monde a conscience que François Hollande n’est pas à la hauteur, à l’inverse de Sarkozy lors de la crise de 2008, où la France était à la tête des solutions à la crise financière. Depuis qu’il est parti, le pays n’est plus à cette place.

Au-delà de sa volonté, l’autre avantage de Sarkozy est qu’il a conscience de la place de la France dans le monde. Il veut sa grandeur. C’est donc une visée, mais pas encore une vision, stratégique.

Ce qui manque à Nicolas Sarkozy aujourd’hui est la stratégie nécessaire pour la France. D’où la phase de délibération qu’il ouvre sur tous les thèmes qui concernent l’avenir et la puissance de la France.

Je constate qu’il est pris dans des tirs croisés.

D’abord,  de ceux qui ne veulent surtout pas que l’on discute de stratégie, donc de fond au cœur même du parti Les Républicains. Car ces démagogues  s’apprêtent déjà à tous les compromis pour obtenir le pouvoir. Ils démontrent ainsi qu’ils ont bien l’intention de faire  passer leur intérêt avant celui du pays.

Ensuite, il y a le système qui veut le forcer à prendre position, dès qu’il dit une phrase, ou qui tente d’interpréter tout signe pour le contrer.

Néanmoins, Nicolas Sarkozy a raison de continuer à réfléchir, de mener le débat à l’intérieur des Républicains.

Mon conseil serait qu’il  l’élargisse au-delà du parti. Il faudrait, à la façon des campagnes du parti républicain américain, que  le projet qui en sortira soit celui d’une bonne partie du pays. Plein de gens, même en-dehors du parti, ont des choses à dire. Il doit écouter le « bon sens », le « sens commun » disait qu’il a plus souvent raison que en le croient ceux que Pascal appelait ironiquement les « demi-habiles ».

Si ce temps de la délibération est bien mené, une stratégie en sortira, au-delà des coups médiatiques. Et le projet s’imposera à toux ceux qui prétendront le porter. Certes, en France, le jeu de la gouvernance politique est souvent de ne pas tenir les engagements de campagne. Mais cela tient aussi au fait que les hommes politiques soient souvent de purs gestionnaires, puisque la  haute administration a corrompu le personnel politique, et que les projets soient plus l’œuvre  des états-majors que de la population. En ouvrant le parti, Nicolas Sarkozy, qui lui-même n’est pas issu de la bureaucratie française,  peut limiter cette pratique.

Le paradoxe d’ailleurs est que, pendant longtemps, le sentiment dominant a été que Sarkozy n’écoutait pas toujours le monde ordinaire et qu’il travaillait trop seul pour assurer une grande stratégie pour la France, or, quand il affirme que pendant un an il mènera cette grande délibération au sujet du droit du sol, je me dis qu’il se donne un an d’écoute, et c’est mieux que de vouloir agir tout de suite, dans la précipitation. Peut-être un nouveau Nicolas Sarkozy est-il en train de naître, avec des défauts certes, qui n’en a pas, mais plus assagi, qui se donne le temps de la réflexion. Si cela se confirmait, il ajouterait à sa volonté et à son courage, que nul ne peut songer à nier, une certaine recherche de la sagesse pratique qui lui permettrait d’engager le pays sur le chemin de la renaissance. C’est en tout cas mon sentiment ou, peut-être, mon illusion.

Il a pourtant fait un retour réussi à la tête de l’UMP, ne pensez-vous pas que ça aurait dû l’aider ?

Christelle  Bertrand : Il a fait un retour réussi car il sait encore manier un appareil politique, il le fait même avec brio. Il a su réunir toutes les écuries qui se sont constituées en vue de la primaires, offrir à certains de leurs points lourds une place de choix. Thierry Solère, proche du Bruno Le Maire, s’est ainsi vu confier l’organisation de la primaire. Nicolas Sarkozy a réussi à donner l’illusion d’une UMP unie jusqu’en mai. Cette vitrine a volé en mille morceaux le jour du congrès de La Villette. Voyant Juppé se faire huer, Nicolas Sarkozy n’a pas fait un geste pour arrêter les sifflets. Il est alors apparu comme l’un des instigateurs de la division.

De plus, si depuis décembre bien peu de voix discordantes s’élèvent des rangs des Républicains, c’est surtout parce que le président du parti maîtrise les investitures pour les futures régionales mais aussi pour les prochaines législatives. Une future candidate aux législatives m’expliquait récemment : "On ne pourra pas attendre de savoir qui sera le gagnant de la primaire en décembre 2016 pour partir en campagne, nous devrons être désigné avant".  C’est donc bien Nicolas Sarkozy qui pré-désignera les candidats.

Enfin, ce qu’a peut-être raté l’ancien chef de l’Etat, c’est de faire de son parti une machine à penser. Un think tank à son service. Il ne semble pas avoir réussi à rassembler, comme il l’avait fait entre 2005 et 2007, un groupe de têtes pensantes. Ainsi sur le droit du sol, il lance une idée et explique ensuite qu’il va constituer un groupe de travail sur le sujet. Le travail aurait peut-être dû être fait en amont.

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