Pourquoi il est pratiquement impossible de se souvenir de la couleur des choses<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Pourquoi il est pratiquement impossible de se souvenir de la couleur des choses
©Capture d'écran Tumblr Swiked

Tromperie

La perception des couleurs dépend avant tout de notre cerveau qui "retouche" systématiquement celles que nous observons. Quitte à nous induire en erreur, comme pour cette fameuse robe bleue et noire

Bechir  Jarraya

Bechir Jarraya

Béchir Jarraya est professeur de médecine à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, neurochirurgien à l'hôpital Foch, et chercheur en neurosciences au centre NeuroSpin du CEA de Saclay. 

Voir la bio »

Selon une étude de l'université John Hopkins, le cerveau associe les couleurs à des tons basiques déjà vu et ne différencie pas les nuances. Pourquoi retouche-t-il ainsi les couleurs que l'on voit ?

Bechir Jarraya  : La raison en est que notre cerveau n'est pas du tout une "machine passive" qui se contenterait de décoder le contenu des sensations fournies par nos yeux, notre ouïe, bref nos organes sensoriels. En réalité, l'œil contient un capteur à haute définition appelée rétine, qui transmet en haute-fidélité les données "brutes" de tout ce qui passe devant nos yeux. Par la suite, l'information est communiquée à la partie postérieure du cerveau puis poursuit son chemin vers l'avant du cerveau en distribuant le contenu de l'image à des aires qui dissèquent son contenu :  la couleur, la vitesse, la composition 3D etc. C'est ce que l'on appelle le système anticipatif ou "feedforward." Jusqu'ici le cerveau se comporte comme un robot qui décode l'image. Or, très rapidement le cerveau entame une deuxième phase de retour, appelée "feedback", ou système rétroactif, qui fait parcourir un message de l'avant du cerveau vers l'arrière afin de redéfinir le contenu de l'image en fonction de notre mémoire, de notre jugement, de notre attention etc. Ainsi ce qui arrive dans notre conscience n'est jamais l'image "objective" mais une image retouchée. Cela s'applique particulièrement pour les couleurs qui sont entachées de beaucoup de subjectivité !

Plutôt que les yeux directement, c'est bien la mémoire qui agit alors ?

La mémoire est une composante essentielle de ce système de retour rétroactif (feedback), que l'on pourrait appeler aussi le "système de retouche". Dans cette étude, c'est la mémoire de travail qui a fait l'objet de l'expérimentation. Il s'agit d'une mémoire à court terme, une sorte de "mémoire vive" par analogie au monde informatique. Le feedback est notre "Photoshop interne" en quelque sorte, sauf que l'on exécute des opérations de retouche massives en moins d'une seconde ! Il faut signaler que d'autres systèmes interviennent, notamment l'attention, ou notre degré de "concentration".

Evidemment cela fait penser à cette robe qui a enflammé les réseaux sociaux... Est-ce que chaque individu perçoit une couleur particulière lorsqu'il regarde un objet ? A quoi est-ce dû ?

Devant la même scène, deux personnes ne voient jamais la même chose, car notre cerveau retouche les images de manière différente. Quelque part notre cerveau peut nous tromper. On est tenté de dire "je ne crois pas ce que je vois", allusion à la célèbre phrase de Saint-Thomas !

Est-ce que la génétique a à voir avec ce phénomène ? Si oui, les enfants voient-ils donc la même chose que leurs parents ?

La seule interférence connue entre génétique et couleur est celle du daltonisme ou certaines mutations gênent considérablement la vue de certaines couleurs. En dehors de ce cas précis, la génétique rend très peu compte de nos perceptions visuelles, précisément parce que le système rétroactif "retoucheur" est le reflet de la mémoire, de l'attention de chacun, bref de notre expérience qui par définition est propre à chacun. C'est donc plus le reflet de notre parcours, de notre éducation, de notre personnalité, de notre environnement.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !