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Et si la violation du secret de l’instruction dans l’affaire DSK était l’unique responsable de ce fiasco judiciaire
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A chacun sa responsabilité

La relaxe de Dominique Strauss-Kahn et de douze autres prévenus a mis en relief le rôle des trois juges d’instruction qui auraient fausse route. En appliquant un code moral plutôt que le code pénal. Certes. .. Mais si la presse avait respecté le secret de l’instruction, comme le stipule l’article 11 du Code de procédure pénale, les faits reprochés à DSK n’auraient été connus qu’à l’audience de février dernier, et aucun fiasco judiciaire n’aurait été dénoncé. Car finalement, justice a été rendue.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Depuis le 12 juin, jour du verdict, les trois juges d’instruction lillois qui ont renvoyé DSK pour proxénétisme aggravé se font vertement tancer par l’opinion publique
  • Il ne faut pas oublier que la  chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Douai en décembre 2012, avait validé leur procédure
  • Cette affaire du Carlton, toutes proportions gardées, rappelle les affaires de Bruay-en-Artois et le meurtre du petit Grégory au cours de laquelle la presse n’avait pas brillé par sa déontologie, contribuant même à brouiller les pistes dans la recherche de la vérité
  • Il est peut-être temps, surtout dans les affaires de droit commun, de trouver un modus vivendi permettant aux journalistes de ne pas substituer au travail des magistrats ou en tout cas de faire preuve de prudence

Comment ne pas être secoué, ne pas s’interroger sur le rôle de la presse lorsqu’on voit, ce vendredi 12 juin, devant le Tribunal de Lille, jour de la relaxe de DSK, un homme  effondré. « J’ai tout perdu. Mon travail. J’ai été accusé de tous les maux. J’ai été placé en détention. Mon nom a été jeté en pâture dans la presse. Et aujourd’hui, je suis blanchi totalement. » Cet homme, c’est David Roquet, ancien directeur chez Eiffage. Celui-là même qui avait organisé quelques plaisirs pour Dominique Strauss-Kahn. Quels dégâts ! Outre l’ancien directeur général du FMI, Roquet est loin d’être le seul à avoir été cité à longueur d’articles. Tout a été dit, analysé, décortiqué depuis ce vendredi 12  juin : juges d’instruction n’instruisant qu’à charge, ne s’appuyant que sur un supposé code moral et non pas le code pénal. Que n’a-t-on dit sur la volonté d’abattre un homme politique de premier plan ou  plus sèchement sur une justice trop liée au pouvoir politique et bien d’autres choses ! Mais qu’on ne s’y trompe pas : toutes ses raisons ne sont pas la cause de ce fiasco judiciaire, une expression, fort commode, que les journalistes ressortent quand  un procès ne connait pas l’issue à laquelle ils croyaient. Pourquoi ne pas le reconnaître ? Non, il y a une autre à cette perception qu’ont nos concitoyens de la décision du Tribunal de Lille. Cette cause s’appelle, non-respect du secret de l’instruction, tel qu’il est défini à l’article 11 du code  de procédure pénale. Cet article dispose que l’enquête est secrète et que ce secret s’applique aux magistrats, aux avocats et à tous ceux qui concourent à la dite enquête, notamment aux policiers. Mais ce secret ne s’applique pas aux mis en examen. Une telle disposition qui existe depuis le code d’instruction criminelle de 1808, confirmée par la loi du 27 juillet 1849, puis par celle du 29 juillet 1881 sur la presse, enfin par le code de procédure pénale de 1958. Les journalistes, c’est là où le bât blesse n’y sont pas tenus. Voilà pour le principe. Mais au fil des années est apparue une notion jurisprudentielle, le but légitime d’informer. Et c’est ainsi que la presse a, depuis de nombreuses années, rédigé des papiers sur les grandes affaires criminelles ou politico-financières, sans trop se soucier des dégâts collatéraux dont pouvaient être victimes des mis en examen… Lesquels par la suite se trouvaient exonérés de toute faute. C’est évidemment dans les affaires criminelles que les dégâts causés par la violation du sacro-saint de l’instruction  ont été considérables. DSK,  qui a connu l’humiliante procédure américaine avec sa cruelle arrestation le 16 mai 2011 à New-York, retransmise en boucle par les chaines de télévision, en a connu une nouvelle à Lille. Mais là, ce n’est pas l’institution judiciaire à qui en incombe la responsabilité – les trois juges d’instruction n’ont jamais été soupçonnés de la moindre fuite-, mais la presse qui, à longueur de mois, grâce à des fuites savamment organisées nous a révélé les pratiques sexuelles de l’ancien ministre de l’Economie et des Finances. Sans la mise à mal du secret de l’instruction et de l’enquête de police, aucun déballage public n’aurait eu lieu. Il se serait déroulé pendant les audiences. Avec d’un côté les arguments des juges d’instruction, de l’autre ceux du procureur de la République de Lille et bien sûr ceux des avocats des mis en examen, dont DSK. Puis à l’issue du procès, le Tribunal aurait rendu son verdict. Aucun journaliste n’aurait alors fait allusion à  un quelconque désastre judiciaire. Bien sûr, les esprits chagrins  le disent haut et fort : le secret est la marque de fabrique de tout système totalitaire. On nous cache tout, comme le chantait jadis Jacques Dutronc. Et si dans la retentissante affaire de Bruay-en-Artois  en 1972, le respect du secret de l’instruction avait eu lieu, il est clair que ce drame – l’assassinat d’une jeune fille de 15 ans, Brigitte Dewevre-  n’aurait pas dégénéré sur le plan judiciaire. Et le notaire Pierre Leroy et sa compagne, soupçonnés à tort d’avoir tué Brigitte n’auraient pas vu leur nom jeté en pâture… Mais là, le coupable, c’était le juge d’instruction de Béthune, Pierre Pascal. Il passait son temps à donner des conférences de presse pour faire le point sur ses investigations pour en tirer des conclusions pour le moins étranges. Jugez plutôt : en 1972, il inculpera et placera en détention  le notaire et sa compagne pour meurtre tout en reconnaissant qu’il ne possédait aucune preuve tangible de leur implication dans le meurtre de l’adolescente ! Ahurissante instruction qui se transformera, dans cette période post-soixante huitarde, en un symbole de luttes des classes dans cette région durement frappée par le chômage, conséquence de la fermeture des Houillères. Une lutte des classes que ne désavouera pas le juge Pascal qui finira par innocenter ce couple «  de bourgeois ». Ses errements lui coûteront cher. Dès 1972, il est désavoué puisque son dossier est dépaysé à Paris. En 1975, il l’est une seconde fois, puisqu’il se retrouve inculpé de violation du secret de l’instruction. Il n’en démord pas. Cette religion du secret est absurde : «  Les inculpés ont le droit de parler, les témoins ont le droit de parler, les parties civiles, le parquet  de parler et de publier des communiqués, il a le droit de le faire. La presse peut se déchaîner dans un sens ou dans un autre. Mais si le juge d’instruction parle pour rétablir la vérité maltraitée par certains, eh bien, ce juge d’instruction est inculpé »…

« La presse à la droit de se déchaîner »…. Vous avez bien lu l’exhortation du juge Pascal. Insensée, cette profession de foi! Qui n’a oublié l’affaire Villemin, en 1984, où un petit garçon, âgé de quatre ans, Grégory sera retrouvé mort  dans la Vologne non loin d’un petit village du Doubs ?  Qui n’a oublié ce juge, Jean-Michel Lambert tout frais émoulu de l’Ecole nationale de la magistrature, totalement débordé au cours de son instruction ? Qui n’a oublié ces journalistes, prêts à tout pour obtenir des scoops, vrais ou faux sur ce drame épouvantable ? Ceux qui ont suivi cette instruction se souviennent que sans vergogne, les journalistes assénaient leur vérité à leurs lecteurs, quitte parfois à faire marche arrière… Cela, au gré de telle confidence distillée par l’avocat de l’une ou l’autre des parties. Avec, au bout du compte, un autre drame se rajoutant à celui du meurtre de Grégory : l’assassinat par Jean-Marie Villemin-le père du garçonnet- de son beau-frère, Bernard Laroche. Plus de trente ans après ce fait divers hors norme, dans laquelle la presse ne mérite pas un Lion d’or comme à Venise, le juge Lambert a reconnu qu’il avait commis des erreurs au cours de son instruction. A ce jour, la lumière sur cette affaire n’a toujours pas été faite, des expertises graphologiques étant en cours… Et l’on pourrait évoquer le drame d’Outreau où la violation répétée du secret de l’instruction par certains journalistes –instrumentalisés par quelques avocats  fera croire à une opinion avide de révélations sordides que des notables participaient à des parties fines avec des enfants. Ces mêmes journalistes qui passeront un fort mauvais moment lorsqu’ils seront auditionnés par la commission d’enquête parlementaire sur Outreau. Que dire encore des dérapages terrifiants, en 2003, lors de l’affaire Allègre, où le nom de Dominique Baudis,  à l’époque président du CSA, sera cité scandaleusement dans un dossier de proxénétisme, de viol et d’actes de barbarie, et où l’on vit l’ancien présentateur de télévision devoir se justifier en direct au journal du soir de TF1 ? Oui, Baudis suant à grosses gouttes. Comment l’oublier ? S’il suait ainsi, c’est qu’il avait des choses à se reprocher, entendait-on !  Ces deux accusatrices seront condamnées pour diffamation.

Comment concilier la liberté d’information et le secret de l’instruction ? Comment réaliser l’équilibre entre ces deux exigences ? Périodiquement se pose cette double question. Dans des dossiers de droit commun stricto sensu – crimes comme Bruay-en-Artois ou la Vologne- délit comme l’affaire de Lille, la presse se doit d’être prudente, chacun des camps en présence – mis en examen ou partie civile-  voulant à tout prix, au cours de l’instruction, tenter de convaincre l’opinion avant la juridiction de jugement. En matière financière, les choses sont moins délicates, la justice plus difficile à être instrumentalisée… Ce qui n’empêche pas nos élites de subir des épreuves pénibles. Témoin, le cas d’Eric Woerth qui a attendu cinq ans avant d’être blanchi. De nombreux colloques se sont penchés sur la question du secret de l’instruction. Jamais finalement, des remèdes acceptés par tous, ont pu être proposés. Pourrait-on exiger de la presse tact, respect de la déontologie et prudence ?  Certes, mais on risque de se voir opposer : liberté d’information.

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