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Relaxe de DSK : mais quand cessera-t-on d’ouvrir des instructions judiciaires qui vont droit dans le mur ?
©Flickr/Su morais

Procès politiques à la française

La relaxe de Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire du Carlton de Lille était certes attendue. Mais elle relance les soupçons sur une justice qui parfois se comporte comme auxiliaire du pouvoir politique. Qu’il soit de gauche ou de droite. Des précédents ont eu lieu dans le passé avec Gérard Longuet et –bis repetita- avec DSK. Tout récemment avec Eric Woerth. Cette instrumentalisation cessera-t-elle un jour ?

Eric De Montgolfier

Eric De Montgolfier

Eric de Montgolfier, aujourd'hui en retraite, a été procureur à Chambéry, Valenciennes et Nice. Il est notamment l'auteur du "Devoir de déplaire" aux éditions Michel Lafon (2006). 
 

 

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Après une instruction qui a duré plus de quatre ans, Dominique Strauss-Kahn a été relaxé des faits de proxénétisme. Il n’est pas le seul : sur 14 personnes, une seule a été condamnée. A un an de prison avec sursis
  • Une fois encore, les critiques, comme dans le dossier Bettencourt, vont fuser. Avec cette question, chère à Nicolas Sarkozy : faut-il les supprimer ?
  • Une fois encore, l’institution judiciaire, ou tout du moins une partie, va se trouver soupçonnée de jouer au jeu de massacre à l’égard des hommes politiques
  • Aurait-on pu faire l’économie du procès du Carlton ? Saura-t-on un jour quel bras a instrumentalisé la justice lilloise pour faire tomber –momentanément- l’ancien directeur général du FMI ?
  • L’affaire Strauss-Kahn rappelle d’autres déboires d’anciens ministres qui se sont bien terminées : ceux de Gérard Longuet ou récemment Eric Woerth… Et il y a bien longtemps, en 1999, un ministre des Finances… qui s’appelait Dominique Strauss-Kahn

Atlantico : Certains ont qualifié la relaxe de Dominique Strauss-Kahn de fiasco judiciaire. Dans quelle mesure la justice est-elle vraiment déconsidérée ?

Gilles Gaetner : Tout ça pour ça ! Tout ça pour en arriver là ! Une instruction sacrément médiatisée qui dure près de quatre ans. Trois juges pour enquêter. Quatorze personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel de Lille pour une histoire de proxénétisme dans laquelle Dominique Strauss-Kahn sera mis en en examen. Un procès qui dure plus d’un mois au cours duquel le procureur demande la relaxe "pure et simple" pour l’ancien directeur général du FMI. Mais pas pour les autres protagonistes. A l’arrivée, le 12 juin, tout cela fait pschitt ! On apprend que l’affaire du Carlton de Lille s’est effondrée comme un château de cartes… Plus de charges contre qui que ce soit, sauf une personne condamnée à un an de prison avec sursis. Et bien sûr, comme on s’y attendait, DSK se voit relaxé. Le tribunal correctionnel de Lille a donc estimé qu’au cours de leurs investigations, les trois juges d’instruction s’en étaient davantage référés au "droit moral plutôt qu’au droit pénal"… Ce qu’avait largement dénoncé le procureur de Lille lors de ses réquisitions prises au procès qui s’est tenu au début de l’année 2015.

Ce dénouement judicaire sonne, aux yeux de l’opinion, comme une nouvelle mise en cause de la justice, ou plutôt de l’institution judiciaire qui n’aurait pas suffisamment manifesté d’indépendance par rapport au pouvoir politique. Certains magistrats, en privé, sous le sceau de la confidence, ne se privent pas de rappeler que cette affaire a démarré en mars 2011, époque où la droite était au pouvoir…Encore que le nom de DSK est apparu beaucoup plus tardivement puisqu’il a été mis en examen le 26 mars 2012. Comme si on avait voulu chargé une barque qui aurait barré la route de l’Elysée à l’ancien ministre de l’Economie et des Finances. A la vérité, pour DSK, cette route était barrée depuis mai 2011, date de ses déboires, les accusations sévères du procureur de New-York au sujet de l’agression commise sur une femme de chambre du Sofitel. Une affaire dont on ne connaitra jamais les tenants et les aboutissants. Mais aucun tribunal new-yorkais ne condamnera l’ex-futur candidat du PS à la présidentielle de 2012.

Quels éléments peut-on reprocher au déroulement du procès de l'affaire Carlton ? 

Gilles Gaetner : Incontestablement, cette affaire de proxénétisme de Lille où sont apparus des personnages pittoresques comme Dodo la Saumure, proxénète affiché et deux entrepreneurs qui réglaient quelques sympathiques prestations au lieu et place de DSK, aura du mal à être comprise par l’opinion et même par certains collègues des trois juges d’instruction lillois. Car enfin, comment coller sur le dos une mise en examen aussi terrible que celle de proxénétisme aggravé en bande organisée sans avoir des "biscuits" solides, ce qui a été le cas pour Strauss-Kahn ? Pourquoi l’un des juges, au cours d’un interrogatoire a –t-elle, d’une certaine façon, fait la leçon sur le plan moral à l’ancien ministre ? Une stratégie que n’ont cessé de dénoncer les trois conseils de l’ancien directeur général du FMI, Mes Henri Leclerc, Frédérique Beaulieu et Richard Malka. Quant aux autres prévenus, tout au long de l’enquête, ils n’ont cessé de disculper Dominique Strauss-Kahn, qui reconnaitra seulement avoir "une sexualité un peu brutale".Ce qui n’est pas puni par le Code pénal. Après tout, diront certains, dans cette affaire aux relents sordides, il  suffisait d’être présent aux audiences, on a assisté à un fonctionnement classique de l’institution judiciaire. Laquelle s’est déroulée en quatre temps : la PJ enquête. Un juge d’instruction prend le relais et renvoie les mis en examen en correctionnelle. Le Parquet, à l’audience, demande la relaxe. Enfin, le tribunal condamne ou relaxe. Il a choisi la première solution pour absence de charges. Rien à dire… D’ailleurs, la Cour d’appel de Douai avait validé la procédure le 19 décembre 2012. Reste que l’instruction sera hors-norme en raison de la présence d’un personnage de premier plan de la République. Et qu’il  ne peut que susciter interrogations et doutes sur les intentions du pouvoir politique. 

Philippe Bilger : Nous avons vu au cours de l'oralité des interventions que Dominique Strauss-Kahn n'avait pas pu parler comme il l'a fait par la suite à l'audience. Certains points ont donc été abordés à l'audience sans qu'ils n'aient été abordés à l'instruction.

Il est dommage de voir que les comptes rendus étaient très défavorables au juge d'instruction, et plus globalement à la cause de l'accusation en générale puisque le Ministère public avait requis un non-lieu, mais il n'était pas inutile de traduire ces prévenus devant le Tribunal correctionnel, que l'alternative n'était pour autant pas la relaxe évidente et la culpabilité ostensible mais dans une zone grisailleuse à charge et une autre zone à décharge. Mais il fallait le voir. Il est trop facile de dire par la suite qu'il ne s'agissait que de "libertinage". Pour autant bien sûr, rien n'interdisait à l'instruction d'en tenir compte, et était en droit de lui poser des questions et cela me semble effectivement étonnant que ce ne fut pas le cas.

Nous avions un procès ordinaire avec une personnalité connue. Ce procès a révélé une bonne administration de la justice de ce que l'on peut voir, mais en aucun cas cela n'a été inutile. Ce qui s'est déroulé, ça n'est pas le signe d'une mauvaise justice, mais le signe d'une justice qui est allée au bout de la manifestation de la vérité. Le seul bémol que je constate, c'est bien que DSK n'ait pas eu le loisir d'évoquer toutes ses explications. Peut-être que les juges d'instruction, du fait de la pression des médias, ont voulu faire tenir par l'éthique ce qui ne pouvait pas tenir par l'administration de la preuve à partir des déclarations de DSK.

Eric de Montgolfier : Ce qui apparaissait surprenant dans le procès de Lille, c'est que l'on utilisait des qualifications qui n'en étaient à priori pas pour un juriste : la question se posait de savoir ce qui était recherché. J'avais le sentiment, et je n'étais pas le seul, que l'on s'en prenait à un homme politique sous un aspect moral plus que légal. La morale peut servir la justice certes, mais jamais sans la loi. Je ne comprenais pas cette accusation de proxénétisme. J'étais à Lille au moment où le procès se déroulait, et je me souviens d'une interpellation dans un débat auquel je participais, et où une remarque portait sur le fait que comme la relaxe était attendue, que la justice se trouvait donc bien inégale. J'ai répondu : Mais êtes-vous bien sûr que ce n'est pas au contraire parce que le prévenu n'est pas coupable ? Pour autant, je crois qu'il y a bien un risque à jouer avec la justice, un risque énorme que le magistrat ne peut pas faire courir à l'institution.

Qu'ont pu donner les autres exemples de procès impliquant des personnalités politiques ?

Gilles Gaetner : Ce n’est pas la première fois qu’un tel phénomène se produit. Souvenons-nous de la ténébreuse affaire Clearstream, (elle débute en 2004) où un futur président de la République, (Nicolas Sarkozy) suspectait un ancien premier ministre (Dominique de Villepin) de vouloir le dézinguer. Sarkozy ne voulait-il pas "pendre à un croc de boucher" son rival, bref, le bouter hors de la vie publique ? Ce fut un échec, puisque Villepin sera relaxé une première fois par le tribunal correctionnel de Paris en 2010, puis une seconde, par la Cour d’appel un an plus tard. Aujourd’hui, les deux ennemis d’hier sont les meilleurs amis du monde. C’est en tout cas ce qu’ils affichent. Un peu plus loin dans le temps, d’autres hommes politiques ont eu le sentiment d’avoir été "assassinés" par des juges d’instruction, avant de bénéficier d’un non-lieu ou d’être relaxés. Gérard Longuet, ancien ministre de l’Industrie d’Edouard Balladur-1993-1995 en sait quelques chose, lui qui bénéficia de plusieurs relaxes et non lieux. Dominique Strauss-Kahn, alpagué dans l’affaire de la MNEF à la fin des années 90, contraint à la démission de son poste de ministre de l’Economie et des Finances de Lionel Jospin, a vécu – dans un autre domaine, il est vrai, une épreuve similaire à celle qu’il connaitra à Lille. Avant d’être relaxé, puisque le tribunal correctionnel de Paris, le 7 novembre 2001, écrira, noir sur blanc "que jamais une telle affaire n’aurait dû franchir les portes du tribunal". C’est exactement ce qu’ont pensé et écrit les trois juges du tribunal correctionnel de Lille, plus de quinze ans après…

Pas à dire : bon nombre des instructions où sont épinglés des élus, présentent des points communs. Comment ne pas penser que des magistrats –heureusement très peu nombreux- veulent faire des cartons sur certaines personnalités ? C’est en tout cas ce qu’a cru Eric Woerth, contraint à la démission de son poste de ministre du Travail, en 2010, pris dans le piège de l’hippodrome de Compiègne et du dossier Bettencourt, et qui a bénéficié d’un non-lieu devant la Cour de Justice de la République pour le premier dossier et d’une relaxe pour le second par le tribunal correctionnel de Bordeaux. De même, si Nicolas Sarkozy était, le cas échéant, renvoyé devant le Tribunal correctionnel, dans l’un des dossiers sensibles dont on parle beaucoup- celui des fameuses écoutes valisées par la Cour d’appel de Paris-, comment ne pas émettre une hypothèse de bon sens ? A savoir que l’on veut l’écarter de la course à la présidentielle de 2017… La justice se transformant en auxiliaire du pouvoir politique…Sauf que, au -dessus de la Cour d’appel de Paris, se trouve la Cour de cassation qui elle, pourrait très bien annuler les dites écoutes ! 

C’est dire que la rumeur qui court dans les milieux judiciaires selon laquelle, on souhaiterait en haut lieu, que Sarkozy soit jugé, condamné et déclaré inéligible dans l’affaire des écoutes n’est pas forcément une idée qui pourrait se concrétiser… Qu’il est loin le temps où un procureur d’un important tribunal nous confiait, que, quelques mois avant une échéance électorale importante –l’élection présidentielle- il avait refusé d’ouvrir une information judiciaire visant une personnalité politique. Contrairement aux ordres de sa hiérarchie. A ses yeux, lors d’une campagne présidentielle, on ne jouait pas à ce jeu-là. Les temps ont sacrément changé…

Quels sont les risques de voir ce type de procès apparaître, parasité par la qualité politique du prévenu ?

Philippe Bilger : Je peux comprendre qu'à la vue des multiples relaxes, on puisse se dire qu'il n'était peut-être pas nécessaire de faire advenir le procès. Mais selon moi un procès n'est jamais inutile, à partir du moment où la Justice est saisie et que le non-lieu n'a pas été ordonné au niveau de l'instruction de faire advenir le débat public.

Il est fondamental que pour toutes les affaires, il y ait des regards de qualité : de la défense, de la partie-civile, des magistrats. C'est peut-être le plus difficile à organiser et à garantir.

Durant des années on a dénoncé le rapport univoque de la magistrature avec la politique, sa soumission, son incapacité à manifester son indépendance vis-à-vis du politique dès lors qu'il se judiciarisait. On ne peut pas aujourd'hui mettre des doutes à rebours ! La politique peut être une donnée, mais pas un handicap à la justice

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