Mission spatiale Mars 500 : plongée dans le quotidien des astronautes <!-- --> | Atlantico.fr
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Le récent rapport de la Mission «Mars 500» met en évidence des conflits au sein de l’équipage.
Le récent rapport de la Mission «Mars 500» met en évidence des conflits au sein de l’équipage.
©Reuters

Journal intime

Après 520 jours passés dans un vaisseau spatial, les six membres de la mission Mars 500 viennent de rentrer sur terre. Un rapport met en évidence les jalousies et tensions survenues lors de cette expérience. Le Français Jean-Pierre Haigneré qui passa lui-même 186 jours dans un vaisseau spatial lors de la mission Perseus en 1999, nous raconte la vie d'un astronaute.

Jean-Pierre Haigneré

Jean-Pierre Haigneré

Jean- Pierre Haigneré  est astronaute de l'Agence spatiale européenne (ESA).

Sélectionné en tant que spationaute par le CNES en 1985, il supervise la division Vols habités au sein de la direction Hermès et Vols habités de 1986 à 1989.

De novembre 1992 à juin 1993, désigné membre de la 4e mission spatiale franco-russe dénommée ALTAÏR.

Il a participé à la mission franco-russe PERSEUS qui s'est déroulée à bord de la station spatiale Mir du 22 février au 28 août 1999.

 

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Atlantico : Le récent rapport de la Mission «Mars 500» met en évidence des conflits au sein de l’équipage. Comment gère-t-on les différends lors d’une expérience d’isolement aussi longue ?

Jean Pierre Haigneré : Nous faisons comme nous pouvons ! Rester plus de 500 jours dans un conteneur, comme l'ont fait les six volontaires de la mission "Mars 500" tout en restant au sol et en n’ayant pas d’objectif de mission, en ne participant pas à une opération d’exploration, c’est psychologiquement difficile. Dans une atmosphère confinée tout semble délicat et exacerbé. C’est le cas dans les navettes spatiales mais également dans les bateaux.

Il existe toujours sur les longues durées, à un moment ou à un autre, des conflits. Plus ou moins intenses, certes mais qui peuvent se traduire par des petites altercations ou bien des confrontations physiques, cela dépend de la manière dont les individus sont sélectionnés, de leurs formations, de leurs cultures, de leur maîtrise de soi.

Lorsque les opérations se passent bien nous observons moins de conflits, à l’inverse lorsqu’un problème se présente les conflits ont tendance à se multiplier. Nous pouvons le constater avec la mission Apollo 13. Ce n’est pas la lassitude de la longue durée qui a engendré la frustration et le conflit mais bien un incident technique. Cependant, les conflits peuvent survenir suite à la monotonie et la longueur d’une mission et ainsi se déclencher sur des événements relativement mineurs. Ce ne sont que les révélateurs des frustrations accumulées. 

La mission a duré 520 jours, comment occupe-t-on ses journées lors d’une si longue expérience d’isolement ?

Je ne sais pas du tout pour cette mission, par rapport à mon expérience j’avais une vraie mission spatiale. Nous avions tous les jours un planning préparé par le sol qui définissait les tâches que nous avions à accomplir. Cela pouvait être l’élaboration d’expériences scientifiques, la mise en œuvre d’opérations comme des sorties, l’arrivée de cargo progress, l’approche et l’amarrage de la station pour éventuellement faire des transferts de matériaux. Ou bien diverses opérations de maintenances, de réparations.

Sur un vol de six mois, nous avons aussi du temps libre. C’est important de garder une partie de son temps pour soi pour faire des choses essentielles à son équilibre. C’est un peu la différence entre un marathon et un cent mètres. Sur ce dernier nous sommes toujours à fond, nous pouvons vider rapidement nos batteries. Lors d’un marathon, il est indispensable de les recharger. Sur les vols courts, d’une durée d’environ 15 jours – 3 semaines, on peut se permettre de ne pas dormir beaucoup et récupérer une fois rentré. Sur les vols très longs il est important de garder la même motivation, la même humeur, la même précision pour être efficace et opérationnel.

Il existe un énorme décalage entre la réalité d’un vol spatial et d’une mission au sol. Lors d’un vol spatial vous voyez la Terre, les choses sont concrètes, les missions sont réelles avec des enjeux importants. Vous n’avez rien de tout ça lors d’une mission d’entrainement au sol. Ce sont des missions très ingrates au fond.

Quelles sont les relations avec le monde extérieur ? Que ce soit votre famille ou l’actualité ?

Par rapport aux familles nous avions très peu de moyens de communication. Il existait des liaisons par l’intermédiaire de radio-émetteur en fonction de notre situation par rapport à la Terre. En revanche, nous étions en contact permanent avec les contrôleurs au sol. Nous avions beaucoup de dialogue avec la station.

Par ailleurs, il peut également y avoir des conflits au sein de l’équipage sur ce sujet. La communication est fondamentale, ce sont des frustrations qu’il faut savoir gérer. Les équipages bien entraînés et aguerris sont relativement rares. Les conflits peuvent ainsi avoir lieu avec le sol car ce sont souvent au travers des communications ou l’absence de communication que peuvent se créer les conflits. 

Petit à petit nous observons un décalage entre la réalité du sol et de celle de l’espace. Il peut y avoir, des désagréments de confort, de température, de mesure d’oxygène, ou encore de pression de gaz carbonique. Si le sol ne réagit pas, ou s’ils réagissent en disant « nous avons réglé le problème» alors que souvent, ce n’est pas le cas. Cela peut vite accentuer le problème.

Outre l’existence de problèmes de communication avec le sol, des conflits peuvent intervenir à l’intérieur de la navette. Nous pouvons observer des problèmes de compréhension, de la langue, de l’autre et de ses codes culturels. Tout simplement un individu qui a des manies et qui au cours d’une mission peut faire preuve d’égoïsme intensifie les altercations. Je n’ai pas connu cette expérience, j’étais moi-même avec deux Russes très faciles à vivre. Cependant lorsque vous voyez la même personne tous les jours, avec les mêmes tics au bout d’un moment vous ne voyez que ce qui vous dérange. 

Comment se gère le quotidien d’un astronaute d’un point de vue pratique ?

Tout est programmé, tout est relativement organisé. Ce n’est pas toujours aussi facile que sur Terre évidemment, nous vivons en apesanteur ce qui est très agréable mais dangereux pour la santé.

Nous somme obligés de faire des séances de sport assez intensives deux fois par jour afin de garder une masse musculaire, une densité osseuse ainsi qu’un bon système cardio-vasculaire. Ce sont des exercices assez physiques et pénibles. En apesanteur l’effort physique est assez dur, c’est un contraste important. D’autant plus que petit à petit l’ensemble des muscles se relâche, un séjour prolongé en apesanteur peut entraîner sur les articulations des effets comparables à ceux décrits lors d'une convalescence alitée. Le cartilage augmente du fait de l’absence de compression dans la colonne vertébrale. Ce sont des habitudes à prendre et la pratique d'exercices physiques est indispensable. 

Enfin, nous essayons autant que faire se peut, d’organiser la vie à bord de façon à avoir un maximum de vie sociale. Nous nous efforçons de prendre tous nos repas ensemble, afin de pouvoir discuter, encore une fois le dialogue est important. Il est essentiel de respecter un rituel et d’insérer des petits changements. Le dimanche par exemple essayer d’améliorer les repas et d'avoir des moments de détentes. Il faut marquer la vie avec un certain nombre de satisfactions avec, et surtout beaucoup de dialogue et de complicité à l’intérieur de l’équipage.

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