35 heures à l’hôpital, le problème que le gouvernement ne parviendra pas à éviter malgré tous ses efforts pour l’ignorer<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'APHP doit être réformé mais le gouvernement fait la sourde oreille.
L'APHP doit être réformé mais le gouvernement fait la sourde oreille.
©Reuters

APHP : courage, fuyons

L'APHP était dans la rue jeudi 11 janvier pour protester contre le plan de réorganisation du temps de travail proposé par Martin Hirsch, et voilà trois semaines que le conflit semble s'enliser.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

Voir la bio »

Atlantico : Selon des propos rapportés par Le Parisien, "même si la ministre de la Santé Marisol Touraine le laisse aller seul en première ligne, Hirsch a tout le monde avec lui", assure-t-on dans l'entourage de Anne Hidalgo. En quoi cette attitude est-elle symptomatique du malaise du politique face à l’hôpital ? 

Frédéric Bizard : Aucun gouvernement ces dernières années n’a voulu mettre sur la table le dossier de la restructuration hospitalière qui est une des priorités de la réforme de notre système de santé. La France a historiquement construit son offre de santé autour du système hospitalier, ce qui a fait sa force au XXème siècle lorsque les pathologies aiguës dominaient le paysage sanitaire. Alors qu’une révolution technologique, notamment numérique et biotechnologique (génomique), est en train de transformer les moyens d’intervention et que le risque sanitaire dominant est devenu chronique, l’hôpital devient le lieu de dernier ressort dans le parcours du patient et non le centre de gravité. L’espace du soin quitte progressivement l’hôpital pour aller vers l’ambulatoire et le domicile. On passe d’un modèle mainframe vers un modèle mobile.

Face à cette évolution radicale, notre organisation des soins a très peu évolué. L’hospitalo-centrisme se transforme aujourd’hui en une surcapacité qui nous coûte 25 milliards d’euros de dépenses hospitalières de plus que la moyenne des pays de l’OCDE, se traduisant par 100 000 lits de plus et une densité hospitalière deux fois plus élevée. C’est le grand paradoxe d’une dépense excessive et d’un environnement de travail incontestablement dégradé pour le personnel des hôpitaux. Il y a donc bien un réel problème d’allocation des ressources  à l’échelle du système de santé mais aussi au sein de l’hôpital. On continue à construire des hôpitaux cathédrales qui font la fierté des maires des villes mais le malheur de ceux qui y travaillent car ils sont inadaptés à la production de soins du XXIème siècle.

La seule perspective donnée par le gouvernement dans la gestion du budget santé et par Martin Hirsch est une gestion comptable de la situation avec des réductions de coûts. Sans redonner une perspective d’avenir à l’hôpital et à son personnel. Les dirigeants ne donnant aucun sens (autre que comptable) aux sacrifices demandés, ils n’obtiendront aucune adhésion du personnel. 

La loi Santé portée en début d'année par Marisol Touraine place l’hôpital au centre du système de soin français. N'y a-t-il pas un paradoxe à voir que l'on en demande toujours plus à l'hôpital, sans évaluer réellement ses capacités et ses moyens ? 

La ministre tente de protéger l’hôpital public qui est à ses yeux, comme à ceux de ses prédécesseurs, un totem irréformable, au risque de perdre du crédit politique. C’est pourtant incontournable et plus tard nous le ferons, plus lourde sera la facture sociale et financière. La loi santé de 2015 est un modèle du genre en conférant un maximum de pouvoir aux agences régionales de santé, agences d’Etat truffées d’hospitaliers, pour structurer l’offre de soins. Les groupements hospitaliers de territoires sont un avatar de mesures précédentes de mise en réseau de centres hospitaliers pour les aider à survivre un peu plus longtemps alors que certains devraient être fermés (pour concentrer les moyens sur ceux qu’il faut transformer et mener à bien le virage ambulatoire). En refusant de réformer l’hôpital public, on est en train de le condamner à moyen terme d’une part et de supprimer toutes les marges de manœuvre pour réformer l’ensemble du système d'autre part.

Que peut-on attendre des propositions de Martin Hirsch ? 

Martin Hirsch est probablement sincère dans son espoir qu’en déverrouillant un peu les 35 heures, il fera avancer le paquebot APHP dans le bon sens. Stratégiquement, son approche est pourtant une impasse car le temps de travail et les RTT ne sont pas le nœud principal de la faible productivité de l’hôpital. La réduction de 5 jours de RTT et les 20 millions d’euros d’économie annoncés ne changeront rien ou très peu à la situation financière et à la fonction productive de l’APHP. Cette réforme du temps de travail est nécessaire mais loin d’être suffisante pour sortir l’hôpital de la crise, donc le personnel s’y oppose. On ne peut pas réformer une telle institution par des réformettes parcellaires mais par un projet global.

Tactiquement, on ne s’y est pas très bien pris. Toute négociation doit porter sur un deal potentiellement gagnant gagnant au départ ou alors il faut annoncer dès le départ du sueur du sang et des larmes mais mieux vaut disposer d’un appui politique très solide, ce que n’a pas Martin Hirsch. La menace des 4000 emplois n’est pas crédible et relève plus du chantage. C’est une menace dangereuse car même avec 5 jours de RTT en moins, l’emploi diminuera dans le secteur hospitalier pour être réalloué dans d’autres secteurs de la santé. A l’échelle sectoriel, le besoin d’emplois sera croissant dans la santé mais à l’échelle hospitalière, ils ne peuvent que diminuer. Il faut préparer la mutation dès maintenant, dans l’intérêt des personnes qui travaillent

Pourquoi l'hôpital mérite-t-il aujourd'hui un état des lieux beaucoup plus important ? Quels sont les signes qui le montrent ?

Dans le système de santé français, les deux modèles d’organisation structurants sont la médecine libérale en ambulatoire et le centre hospitalier universitaire (CHU). Les autres modèles sont dérivés de ces deux systèmes. L’enjeu de la réforme de l’offre de soins est d’adapter ces deux modèles au monde d’aujourd’hui et de main. Le CHU a un véritable avenir puisque que c’est un lieu d’excellence qui concentre des activités nécessitant une forte technicité et une grande expertise humaine. C’est l’avenir de l’hôpital car le reste des activités hospitalières, moins spécialisées, va progressivement quitter le lieu. Donc on peut tenir un discours positif et lucide sur l’avenir de l’hôpital public. Prenez la chirurgie ambulatoire (le malade entre le maitin et sort maximum douze heures après) dans les CHU. C’est étonnant de voir la perception négative de cette pratique aux yeux du personnel alors que cela va transférer des équipes de nuit en équipe de jour ce qui peut représenter un progrès social. Mais cela change les habitudes et les organisations, donc il faut le mettre en perspective.

L’hôpital souffre de bien d’autres maux tels que son mode de financement (la tarification à l’activité est mal appliquée), son mode de gouvernance (manque d’autonomie de gestion) et l’intégration des nouvelles technologies a été une occasion manquée.

Nous ne sommes plus à l’heure de l’état des lieux qui est connu mais de l’action en y impliquant étroitement l’ensemble du personnel pour les associer au changement et obtenir leur adhésion.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !