S’il n’y avait que la Grèce… La démographie, vraie bombe à retardement de la zone euro<!-- --> | Atlantico.fr
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Tous les pays de la zone euro n'ont pas le même taux de natalité.
Tous les pays de la zone euro n'ont pas le même taux de natalité.
©Reuters

Tic-tac-tic-tac

Au sein même de la zone euro, les divergences démographiques des pays membres représentent une sérieuse menace pour la cohésion de l’ensemble. Entre chômage pour les uns et inflation pour les autres.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Pendant que les dirigeants de la zone euro continuent de se chamailler à propos du dossier grec et de ses possibles conséquences sur l’avenir économique et politique de la zone euro, c’est un autre dossier, d’une toute autre ampleur, qui mériterait d’attirer un peu plus l’attention. En effet, les prévisions démographiques publiées par la Commission européenne, et plus précisément, de l’évolution de la population en âge de travailler, semblent bien plus alarmantes à long terme que l’issue du cas grec. Ainsi, et dans un discours prononcé ce 11 juin 2015, le Président de la Bundesbank, Jens Weidmann, met les pieds dans le plat :

"L'économie allemande est peut être en bonne forme en ce moment, mais nous ne pouvons pas être dans une attitude de complaisance. L'Allemagne est confrontée à de sérieux défis économiques, en particulier concernant son évolution démographique (…)  Selon le dernier rapport de la Commission européenne consacré au vieillissement, la population allemande en âge de travailler (les personnes entre 15 et 64 ans) diminuera de 28 % d'ici l'an 2060 par rapport à une baisse de 8 % dans le reste de l'Union européenne. En France, cette prévision relative à l’évolution de la population en âge de travailler représente  une augmentation de 5 %, au Royaume-Uni de 11%.".

Car la véritable bombe qui menace la zone euro est ce différentiel interne des dynamiques démographiques. Et les chiffres avancés par Jens Weidmann, issus du rapport sur le vieillissement de la Commission européenne,  permettent de se faire une idée de ce différentiel entre les deux principales économies de la zone euro. D’une part, la baisse de 28% de la population allemande en âge de travailler d’ici à 2060, correspond à une érosion équivalente à 14,3 millions de personnes. De 49,7 millions d’Allemands en âge de travailler en 2013, le pays sera confronté à une situation où cette même population atteindra 35,4 millions de personnes en 2060. D’autre part, et concernant la France, la hausse de la population en âge de travailler atteint 1,5 million sur la même période, pour atteindre un total de 39,4 millions de personnes en 2060.

Cette lourde divergence est un défi posé à la monnaie unique, et donc, à la Banque centrale européenne. Car la mission d’une autorité monétaire est de permettre un développement économique optimal en fonction du potentiel de la zone couverte ; ici, la zone euro. Or, le potentiel économique d’un pays dont la capacité de travail augmente avec le temps s’oppose évidemment au potentiel d’un pays dont la population en âge de travailler décline. C’est-à-dire que la capacité d’un pays à générer de la croissance est lestée ou améliorée par l’évolution de sa population en âge de travailler. Reste une question; celle de l’homogénéité de la zone euro.

Cette problématique pourrait être contournée par la mobilité des travailleurs au sein de la zone euro, c’est-à-dire si les citoyens européens pouvaient s’établir sans contrainte dans d’autres pays de la zone, et ce, en fonction de ces mêmes dynamiques démographiques. Afin d’en lisser les divergences. Mais au sein de la zone euro, les populations des différents pays membres ne sont pas aussi mobiles que l’est, par exemple, celle des Etats Unis. Entre les barrières de langues, de diplômes,  de culture, de la diversité des régimes de protection sociale, ou, plus largement, de la volonté de travailler dans son pays natal, le niveau de mobilité des travailleurs au sein de la zone euro reste très faible. Ce que confirmait un rapport réalisé par Natixis au début de l’année 2014 :

"La mobilité des travailleurs était l’une des priorités stratégiques définies dans le cadre de l’agenda de Lisbonne (2000). Dix ans plus tard, l’échec est patent : la mobilité géographique au sein de l’Union Européenne reste marginale puisque seuls 2,3% des citoyens européens vivent actuellement dans un pays de l’UE 27 autre que leur pays d’origine".

Ainsi, en l’absence de mobilité géographique des travailleurs de la zone euro, la Banque centrale européenne se trouve confrontée à une problématique insoluble. Si la BCE calque sa politique sur les besoins de l’ensemble de la zone euro, c’est-à-dire une baisse de 12,6% de la population en âge de travailler d’ici à 2060, elle provoquera le mécontentement de l’Allemagne, dont la baisse atteint plus de 28%, mais également celle de la France, avec sa hausse de 5%. Les intérêts des uns et des autres sont tout simplement divergents. 

A l’échelle de la France, l’écart schématique entre le potentiel économique du pays et la politique menée atteindrait alors 6 millions d’emplois. De la même façon, si la BCE se calquait sur les seuls besoins de l’Allemagne, le différentiel atteindrait 12 millions d’emplois. Dans les deux cas, ces 6 ou 12 millions de personnes seraient amenées à quitter la France pour trouver un emploi, ailleurs, ou, plus probablement, à faire grossir les rangs des chômeurs du pays. Inversement, si la BCE calquait sa politique sur les besoins de la France, c’est-à-dire sur une augmentation de la population en âge de travailler, l’Allemagne serait condamnée à subir un niveau d’inflation bien supérieur à sa limite de tolérance. En effet, la politique monétaire menée par la BCE serait alors bien trop souple par rapport aux besoins de croissance du pays, ce qui produirait un résultat inflationniste. 

Cette dynamique démographique différentielle des pays membres pose la question essentielle de la viabilité à long terme de la zone euro. Car seules deux solutions sont réellement envisageables à un horizon lointain : une véritable intégration européenne permettant de transformer le continent en un tout proche de celui des Etats-Unis, ou une fin. Mais le statut quo actuel produit déjà ses effets, et ne peut être considéré comme une solution.

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