Quand les Allemands retrouvent (un peu) le goût du leadership politique de l'Europe... <!-- --> | Atlantico.fr
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Au sommet de Strasbourg jeudi, Angela Merkel a persisté dans son refus de modifier le rôle de la BCE.
Au sommet de Strasbourg jeudi, Angela Merkel a persisté dans son refus de modifier le rôle de la BCE.
©Reuters

Thérapie de couple

Sommets après sommets, face à la pression des marchés, la solidité du couple franco-allemand est mise en scène comme l'ultime rempart de l'unité d'une Europe prête à sauver l'Euro. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel soulignent leur capacité à s'entendre mais désormais c'est l'Allemagne qui paie... et qui n'hésite plus à dépasser le champ de son leadership économique de l'Europe.

Brigitte Lestrade

Brigitte Lestrade

Brigitte Lestrade est Professeur de civilisation allemande contemporaine à l’Université de Cergy-Pontoise. Ses activités de recherche portent sur les aspects économiques, sociologiques et culturels de l’Allemagne de nos jours, plus particulièrement de l’évolution du monde du travail.

Elle publié de nombreux articles, ainsi que six ouvrages sur les aspects les plus divers concernant les mutations du travail.

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Le sommet de Strasbourg de ce jeudi 24 novembre l'a confirmé : Angela Merkel ne s'en laisse pas conter par ses partenaires européens. Contre l'avis de Nicolas Sarkozy et de Mario Monti, et plus largement de nombre d'économistes ou de responsables politiques dans le monde (et notamment aux Etats-Unis), la chancelière allemande a persisté dans son refus de modifier le rôle de la Banque Centrale Européenne afin que celle-ci puisse venir directement en aide aux pays en difficulté. Pas d'évolution non plus sur la position de l'Allemagne sur les eurobonds.

Déjà au G20 de Cannes les 3 et 4 novembre dernier, Mme Merkel avait mené la vie dure à Nicolas Sarkozy, président en titre de ce groupe des 20 pays les plus riches de la planète, et qui devait être l’occasion pour le gouvernement français de redorer son blason, mis à mal par les incessantes tergiversations autour de la crise grecque.

Ce sommet sous présidence française avait tout à fait vocation à souligner le rôle joué par la France dans la gouvernance mondiale, moment crucial avant le top départ de la campagne pour les élections présidentielles. Ne s’agissait-il pas de trouver des réponses à des sujets brûlants tels que la réforme du système monétaire international ou la régulation des marchés financiers ? Mais voilà, suite à l’initiative du Premier ministre grec Georges Papandréou d’organiser un référendum sur l’aide européenne apportée à la Grèce, la crise financière sévère que traversent les pays de la zone Euro a fait irruption sur la scène internationale pour rappeler à la France que, en Europe, ce n’est plus elle qui donne le ton, c’est l’Allemagne. Quelle inversion de la situation depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale !

Le passé en écho douloureux

L’amitié franco-allemande, qu’on invoque à tout propos en France - surtout depuis qu’elle paraît plus tiède -, repose depuis 50 ans sur les bonnes relations entretenues par les Présidents français et les Chanceliers allemands en exercice. C’est en 1963 que le président Charles de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer ont signé le Traité de l’Élysée pour permettre à la coopération franco-allemande de prendre corps dans la réalité quotidienne, réel geste d’amitié de la France qui a contribué à l’intégration de l’Allemagne dans la communauté des pays européens.

Il allait de soi, dans l’esprit du Général de Gaulle, qu’il s’agissait en l’occurrence d’un tandem inégal, la France occupant la place de « senior partner ». Rappelons toutefois que Ludwig Erhard limita d'emblée la portée du Traité de l'Élysée, marquant son refus de la position de « junior partner ». Les relations entre les deux premiers couples franco-allemands qui ont succédé à de Gaulle - Adenauer, à savoir Willy Brandt et Georges Pompidou (1969-1974), Helmut Schmidt et Valéry Giscard-d’Estaing ( 1974-1981) se sont inscrites dans la même logique, fidèles à l’image que donnait l’Allemagne d’alors d’un « géant économique » doublé d’un « nain politique ».

Encore sous l’ombre de l’histoire récente, les Allemands payaient et s’écrasaient. Les bonnes relations entretenues par Helmut Kohl et François Mitterrand (1982-1995), pourtant de bords politiques opposés, comme les deux couples précédents, ont permis à l’Allemagne de sortir d’un certain ostracisme pour accéder à un rééquilibrage entre les deux pays. Personne n’a oublié la célèbre poignée de main entre François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun en 1984. C’est aussi de cette époque que date la tentative, totalement oubliée aujourd’hui, d’établir une union plus étroite entre les deux pays, allant jusqu’au principe d’une fédération, une proposition dont Wolfgang Schäuble, l’actuel ministre des Finances, était partie prenante en 1994.

Les choses se gâtent par la suite. Gerhard Schröder et Jacques Chirac (1998-2005) n’ont jamais su établir les relations entretenues par leurs prédécesseurs, tout comme le tandem actuel que tout sépare : l’origine, le tempérament, le style politique, la volonté de puissance. Il serait toutefois trop facile d’imputer les difficultés actuelles aux différences de style irréductibles des dirigeants. Depuis l’unification, l’Allemagne n’est plus un nain politique, n’en déplaise à certains commentateurs français actuels, et en matière économique, elle a largement dépassé la France, inversant du coup l’équilibre établi il y a cinquante ans : aujourd’hui, c’est l’Allemagne, le « senior partner ». Comme le disait l’hebdomadaire Der Spiegel dans son édition du 31 octobre 2011 : « celui qui paie est celui qui décide ». L’Allemagne paie - avec réticence - et elle ne s’écrase plus.

Quelques chiffres... en faveur du modèle allemand

Bien que la France reste, avec un PIB de 2 555 milliards de dollars en 2010, la deuxième économie européenne derrière l’Allemagne (3 306 milliards), la différence dans le domaine des performances économiques est considérable.

La croissance, plus forte en France dans les années 1990, est à la traîne depuis une demi-douzaine d’années, un retard particulièrement visible en 2010, année de crise, où l’Allemagne a pu se prévaloir d’un taux de croissance de 3,6% alors que la France a dû se satisfaire de 1,5%. Le commerce extérieur allemand, régulièrement excédentaire depuis la fin des années cinquante, a atteint un excédent de 154 milliards d’euros l’année dernière, alors que celui de la France a accusé un déficit de 51 milliards d’euros la même année.

La France n’est plus le premier importateur de l’Allemagne, une place ravie par les Pays Bas. Le taux de chômage, au plus bas depuis vingt ans, se situe à 6,5% en Allemagne, à 9,6% pour la France. Ces comparaisons, y compris celles portant sur le déficit et l’endettement, sont toutes à l’avantage de l’Allemagne, ce qui a conduit au renversement de la situation respective des deux pays.

Une inimitié partagée

L’ambiance créée par ce nouveau déséquilibre est malsaine. Plus l’écart entre les deux pays s’accroît, plus est soulignée en France l’étroitesse des liens qui les unit, ainsi que la nécessité de s’inspirer du modèle allemand pour redresser la situation.

Les responsables français ne cessent d’affirmer la nécessité de consolider le tissu industriel, de soutenir les PME, d’investir davantage dans la recherche, d’assainir les finances publiques, de s’inspirer du modèle allemand pour la formation professionnelle en alternance... Bref, d’accomplir les réformes entreprises en Allemagne sous le gouvernement Schröder pour rendre la France plus compétitive. Plus la France, qui ne traduit ses intentions en actes que très partiellement, s’enferre dans les difficultés, plus les références au couple franco-allemand se multiplient.

Vue d’Allemagne, la situation est différente. L’image que la presse allemande renvoie de la France est, certes, nuancée, mais dans l’ensemble plutôt négative. La France est perçue comme un pays en déclin économique, un pays qui se crispe sur son passé glorieux, et ne comprend pas que l’environnement a changé. Les interrogations portent souvent sur la prétention de la France, puissance moyenne, à jouer un rôle politique majeur, même si ces doutes s’expriment moins depuis le fiasco allemand en Libye où la France était en première ligne, alors que l’Allemagne est restée spectatrice. Le couple franco-allemand, notion chère au gouvernement français, y est moins évoqué. Si les Français continuent à considérer les Allemands comme leur premier partenaire, du moins dans le langage officiel, cette conviction n’est plus partagée par tous les Allemands. Cette indifférence accrue n’est toutefois pas nouvelle ; elle se manifeste depuis longtemps dans le délaissement de la langue du partenaire dans les deux pays, pour ne citer que cet exemple.

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, conscients de la nécessité de l'entente franco-allemande

En dépit de ce désamour larvé, l’Allemagne est consciente de la nécessité de travailler avec la France, qui est son relais indispensable avec les pays d’Europe du Sud. Perçue comme étant à mi-chemin entre le sérieux des pays nordiques et le laissez-aller des pays du sud, elle est nécessaire à l’équilibre européen.

En dépit de la perception de la France comme d’un pays qui doit encore accomplir sa « révolution économique », elle est considérée dans les médias comme le numéro deux du « duo de tête », appelé à résoudre la crise grecque. Tous sont conscients que les propositions pour sortir de la crise portent la marque du gouvernement allemand, que ce soit l’élargissement du Fonds européen de stabilité financière (FEFS), la réduction importante de la dette grecque tenue par les banques privées ou le refus des Eurobonds, mais l’Allemagne apprécie néanmoins l’attitude de la France, telle le succès du Président Sarkozy qui est parvenu à empêcher le Premier ministre anglais, David Cameron, d’imposer un veto des 27 sur les décisions des pays de la zone euro.

Si le « duo de tête », en raison des différences culturelles entre la France et l’Allemagne, a perdu beaucoup de temps à accorder ses violons pour sortir l’Europe de la crise, une tâche qui est loin d’être accomplie, l’attachement des Allemands à l’Europe est réel, mais d’une Europe à son image, celle d’une zone de stabilité qui respecte la règle d’or sous peine de subir des sanctions sévères. Dans cet esprit, le gouvernement allemand souhaite aller dans le sens d’une plus grande intégration sur le plan de la gouvernance économique, un souhait partagé par la France. Les deux pays ensemble fournissent déjà, avec 27% pour l’Allemagne et 21% pour la France, presque la moitié du fonds de stabilité européen, un gage pour une intégration plus poussée ?

Le G20, quant à lui, ne fut pas le désastre annoncé, en dépit des soubresauts grecs, mais il n’a pas débouché sur des résultats concrets. Il attendra toujours son secrétaire permanent – la plupart des pays souhaitant qu’il reste une structure informelle –, et les pays émergents renâclent à s’engager dans le FESF, ce qui n’est pas difficile à comprendre. Toutefois, petite victoire, l’Italie, le deuxième trublion de cette réunion des puissants du monde, a été mise sous le contrôle du FMI, au grand dam de son dirigeant. Pour l’Europe, le point positif de cette rencontre au sommet a moins été l’entretien entre les Présidents américain et français, tous les deux confrontés à une réélection difficile, mais l’entente confirmée entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Ils sont d’accord pour estimer que l’Europe ne survivra que s’ils restent unis. Ainsi, les relations entre l’Allemagne et la France ont subi des hauts et des bas, les sentiments – en faut-il d’ailleurs en politique ? – ne sont peut-être plus les mêmes qu’il y a cinquante ans, mais la spécificité de leur partenariat demeure, et il est plus important que jamais.

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