La saison des Congrès peine à épancher la soif d'unité nationale des Français <!-- --> | Atlantico.fr
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Le congrès de Poitiers du Parti socialiste.
Le congrès de Poitiers du Parti socialiste.
©Reuters

Dure réalité

"République","peuple", "nation"... Au fil de leurs congrès respectifs, l'UMP et le PS tentent de manier des concepts qui leur échappent.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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«République»,«peuple», «nation», à droite comme à gauche, l’heure n’est pas seulement à la tentative de dépasser les conflits idéologiques ou personnels des partis. Les discours manifestent une prise de conscience aigüe des fractures qui minent la société française de l’intérieur. 

Ainsi, samedi dernier, au Congrès du parti socialiste, Manuel Valls en a-t’il appelé au peuple. Alors que le week-end précédent, à celui des Républicains, Nicolas Sarkozy s’instaurait le défenseur de la République, et en réponse, son challenger pour les primaires, Alain Juppé, réactivait l’idée de Nation. Tous ont exprimé la nécessité d’en revenir à un idéal d’ «unité» contre la «diversité», pourtant glorifiée par eux depuis trente ans. C’est que depuis quatre mois, les yeux des politiques se sont décillés face aux plus cruelles conséquences logiques de leurs anciens discours différentialistes.

Les deux cents incidents, recensés par le ministère de l’éducation, dont une quarantaine signalée à la police et à la justice,[1] suite à la minute de silence demandée dans les établissements scolaires le 8 janvier 2015, ont en effet dévoilé un réel qui leur avait échappé, caché derrière les murs de l’Ecole. Aussitôt, le 11 janvier, l’organisation par François Hollande et son gouvernement d’une manifestation en soutien à Charlie hebdo, était déjà la marque d’une velléité de revirement idéologique, rendue nécessaire par une soudaine lucidité.

Le chef de l’Etat a en effet bien perçu que, faute d’inverser la courbe du chômage, il était urgent, vu l’état de détresse morale dans laquelle se trouvait plongée la société française, de recréer du lien social et si possible, citoyen. L’effet cathartique de la formule «Je suis Charlie» a du reste bien montré la persistance, dans l’imaginaire français, de cette profonde exigence d’unité sociale. Et certains politiques, de droite, comme de gauche, semblent avoir enfin compris que c’est précisément à son idéal rassembleur, «national, républicain et patriote», que Marine Le Pen doit ses explosives victoires électorales depuis 2011.

Ce constat n’a du reste pas échappé à certains fervents soutiens de François Hollande et de la gauche post-mittérrandienne, comme Emanuel Todd, pour qui «l’universalisme est un préjugé».[2] Son interprétation du «mouvement Charlie» qu’il vient de publier, accuse le gouvernement de vouloir renouer avec le traditionnel projet d’unité populaire, nationale, et républicaine, qui ne manquerait pas de conduire la gauche à renoncer à l’idéologie de la diversité. En dépit des réalités, l’idéal d’une société multiculturelle demeure, pour le sociologue, un horizon de sens indépassable, qui devrait, selon lui, contraindre à nouveau les Français à la défaite : «....l’accommodement peut réussir là où la confrontation ne peut qu’échouer». [3] Inspirateur ou inspiré par Michel Houellebecq, monsieur Todd est très proche du personnage de son roman : « Rediger (dans son livre) multipliait les accommodements (avec l’Islam) à l’intention d’un public humaniste ...»[4]. Mais là où Rediger triomphe, Todd  va-t’il sombrer ?

Si le Congrès de L‘ex-UMP a changé d’étiquette, avant même de transformer la marchandise, avec «Les Républicains», la volonté de s’approprier un message d’unité nationale est passé. En face, le PS a plus de difficultés à s’adapter à un réel social qui échappe aux grilles de lectures néo-marxistes de monsieur Todd.

Faute d’idées claires, et faute de penser, on a raconté à peu près tout et n’importe quoi au Congrès de Poitiers. Ainsi Manuel Valls n’a à l’évidence, aucune notion de ce dont il parle quand il proclame : «Nous voulons l’égalité réelle, pas l’égalitarisme».  Exprimant de deux manières différentes la même idée, le premier ministre nage en pleine tautologie. Le terme «égalitarisme», en effet, dont la première apparition date de 1863, sert à désigner une doctrine politique ou une idéologie, dont le but est de réaliser, dans la vraie vie, l’égalité réelle entre les individus. On en connait des exemples, que ce soit aux plans économique et social, le projet du communisme en Russie, ou culturel, sous la Chine de Mao.

On voit bien que la tâche est rude pour les deux grands partis français. Elle consisterait, si leurs intellectuels s’y attelaient, à déconstruire trente cinq années d’un tricotage idéologique ayant vidé de leur sens, non seulement les notions de nation et de république mais surtout leurs principes fondateurs. On est en droit, comme monsieur Todd, de douter de l’efficacité rassembleuse de nos institutions et de nos moeurs. Mais ne lui en déplaise, c’est bien un désir d’unité pour la paix sociale, qu’ont exprimé, le 11 janvier 2015, des millions de Français descendus dans la rue. Et la tâche revient aujourd’hui aux hommes politiques de lui donner un sens et un contenu.



[1]Le Parisien, 14 janvier 20015

[2]Qui est Charlie?, Seuil, 2015

[3] idem

[4]Soumission, Flammarion, 2015

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