Arabie saoudite : malgré la maladie et ses 79 ans, le roi Salman secoue le Moyen-Orient <!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi Salman a engagé une série de réformes inattendues.
Le roi Salman a engagé une série de réformes inattendues.
©Reuters

La force de l'âge

Connu comme un solide médiateur plutôt que comme un courageux réformiste, le roi Salman a pourtant beaucoup surpris son entourage et la communauté internationale en engageant une opération militaire au Yémen et en bouleversant l'ordre de succession au sein du royaume.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Comment interpréter les opérations militaires de l'Arabie saoudite au Yémen et le soutien aux rebelles syriens décidé par le roi Salman ?

Alain Rodier : Il est vrai que sortant d'un immobilisme traditionnel dans les grands déserts, l'arrivée du roi Salman en janvier 2015 a marqué un tournant pour le royaume, à l'intérieur comme à l'extérieur. Le plus important se déroule vraisemblablement en interne avec la nomination de deux petits nouveaux à des postes clef. Mohammed Bin Nayef, à peine âgé de 56 printemps, devient le numéro un dans l'ordre successoral. Ce n'est peut-être pas inutile alors que la rumeur (les mirages sont nombreux dans la région) prétend que la santé du roi est fragile. Il n'empêche que l'héritier dans l'ordre hiérarchique était le prince Muqrin bin Abdul Aziz qui affiche 71 années au compteur. Cela dit, ce dernier ne doit pas être particulièrement enchanté de son éviction et il a encore assez de forme physique -et surtout d'influence- pour comploter à l'ombre des palmiers et des gratte-ciel. Il n'est pas impossible qu'il fasse parler de lui dans l'avenir. Il a tout de même un problème de taille: son remplaçant assure aussi les fonctions de ministre de l'Intérieur, ce qui le met en bonne position pour être particulièrement bien informé afin de déjouer tout complot en gestation. Le troisième dans l'ordre de la succession est désormais Mohamed bin Salman, un des fils du roi actuel, qui a l'outrecuidance de n'être âgé que d'une trentaine d'années (la date exacte de sa naissance n'est pas certaine, la fourchette allant de 27 à 35 ans). Il occupe aussi des charges très importantes puisqu'il est responsable de la cour royale et, surtout, ministre de la Défense.

Dans ce dernier domaine, son expérience est nulle, mais il a pris soin de se faire filmer (et photographier) entouré d'officiers qui dirigent les opérations militaires ("tempête décisive" débutée le 25 mars suivie de "restauration de l'espoir" à compter du 21 avril) menées au Yémen contre les al-Houthi et les fidèles de l'ancien président Saleh, tous des zaydites, une religion proche du chiisme. 

L'opposition avec les chiites, en particulier iraniens, est séculaire. Il faut dire que depuis la révolution de 1979, les mollahs en place à Téhéran ont montré leur volonté expansionniste souhaitant devenir les leaders du monde musulman. Il est d'ailleurs révélateur de constater que les chiites ne sont globalement pas "anti-sunnites" alors que dans le sens inverse, c'est tout le contraire.

Le paradoxe de la famille Saoud, c'est qu'en voulant contrer l'ingérence chiite qui est bien réelle en Irak, en Syrie, au Liban au Yémen sans oublier le Bahreïn (à majorité chiite mais gouverné par des sunnites), elle favorise indirectement (et parfois directement, ce qui est incompréhensible pour nos esprits occidentaux) des mouvements salafistes-djihadistes dont le souhait le plus cher est de la voir passer à la trappe. Cela fait partie des "mystères de l'Orient" ! 

Faut-il y voir une volonté d'indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, une volonté de protéger les intérêts sunnites ? 

Pour le roi Salman, il s'agit d'abord d'assoir le pouvoir de la branche Soudayri et de ses proches. Il ne faut pas oublier qu'il y aurait 20 000 princes (dont 4 000 "de sang") au Royaume (les chiffres relèvent du "secret défense"). Cela ne peut que favoriser les jeux de cour voire les complots de palais. L'objectif de Salman est donc de verrouiller tout cela.

Ensuite, il convient à ce que le peuple ne soit pas gagné par des idées de "printemps arabe" qui pourrait fragiliser la dynastie régnante. A cette fin, plusieurs moyens sont employés.

Le plus sympathique consiste à reverser une partie de la richesse issue de l'exploitation des hydrocarbures jusqu'aux plus bas échelons de natifs. Résultat, il a y peu de Saoudiens qui travaillent en dehors de la fonction publique qui, du coup, n'a pas grand chose à faire mais qui est bien rémunérée. Un rêve pour responsables syndicalistes !

Ensuite, il ne faut pas que le peuple ne se fasse séduire par les salafistes-djihadistes dont l'objectif est la chute des Saoud. Le wahhabisme, qui est très proche des thèses religieuses des salafistes, est là pour cela. Il fut un temps où Karl Marx appelait cela "l'opium du peuple" (citation exacte: "La misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de choses où il n'est point d'esprit. Elle est l'opium du peuple").

Enfin, il convient de combattre énergiquement les activistes salafistes-djihadistes de Daech et d'Al-Qaida "canal historique" qui sont tentés de revenir dans le royaume. Les programmes de déradicalisation en vigueur en Arabie saoudite ne semblent pas avoir été un franc succès malgré les moyens importants engagés. Il convient pour le pouvoir d'être plus strict sur ce sujet. L'Arabie saoudite recrute donc huit nouveau bourreaux (90 condamnés ont été exécutés cette année pour meurtre ou trafic de drogue, soit autant que pour toute l'année 2014). Déjà dans le passé, les services saoudiens ont su faire preuve de leur efficacité en éradiquant Al-Qaida dans la Péninsule Arabique qui, du coup, s'est replié au Yémen voisin.

Il est aussi vrai que l'attitude de Washington inquiète sérieusement les Saoud. Mais cela date surtout du lâchage du président Moubarak en 2011. En effet, si les États-Unis sont capables d'abandonner aussi rapidement un de leur plus vieil allié, quid de la famille Saoud en cas de coup dur? La confiance a été considérablement entamée. De plus, les tractations engagées par Washington avec l'Iran à propos de son programme  nucléaire sont désormais au premier rang des préoccupations de l'Arabie saoudite et ... d'Israël. Tout le monde sait que l'Etat hébreu est doté d'une imposante force de dissuasion. Riyad pourrait être tenté de faire de même en "achetant" ce concept à son allié pakistanais. Techniquement c'est faisable, la coopération militaire entre les deux pays étant ancienne. Politiquement, il n'est pas certain qu'Islamabad donnerait suite. Dans l'affaire yéménite, les Pakistanais ont bien déçu Riyad en ne voulant pas intervenir directement au Yémen mais, uniquement, en promettant d'aider à la protection du territoire saoudien si d'aventure, il venait l'idée aux rebelles houthi d'y pénétrer. Entre parenthèses, Oman s'est aussi bien gardé de s'impliquer dans cette opération guerrière. 

Profite-t-il de la crise en Egypte pour faire de l'Arabie saoudite La principale puissance de la région ? 

Je ne pense pas que l'Arabie Saoudite souhaite être "LA" puissance de la région mais plutôt le pays "incontournable". En effet, elle si elle a d'énormes moyens financiers à faire pâlir d'envie tout ministre du commerce extérieur étranger, elle n'en n'a pas les moyens humains. Pour mémoire, il y a environ 32 millions d'habitants dans le Royaume dont 32,4% d'étrangers. Il faut comparer ce chiffre aux 78 millions d'Iraniens et aux 86 millions d’Égyptiens ! De plus, si le pouvoir a confiance dans son armée de l'air formée à l'américaine, c'est plus problématique avec la composante terrestre en dehors de la Garde nationale.  

Ces changements laissent-ils augurer une politique plus libérale en interne ? A quoi peut-on s'attendre pour l'avenir ?

Comme je l'ai expliqué plus avant, il ne faut absolument pas s'attendre à une politique plus libérale en interne mais plutôt à un durcissement pour accroître le contrôle des populations. Les attentats déclenchés contre la minorité chiite (environ 15%) qui vit principalement dans l'est du pays et revendiqués par Daech, inquiètent au plus haut point le pouvoir. Il lui faut absolument éviter le déclenchement d'une guerre communautaire interne dont nul ne peut prédire l'issue. Cela na pas empêché le pouvoir actuel de confirmer la condamnation à mort du cheikh Al-Nimr, la plus haute autorité chiite saoudienne qui est emprisonnée depuis 2012 pour "incitation à la divergence ethnique [...] manque de loyauté à la couronne".

En résumé, la famille Saoud n'a qu'un objectif (comme tous les dirigeants de la planète): rester au pouvoir. Elle met en œuvre les moyens pour cela, ayant deux adversaires distincts : les salafistes-djijadistes et les Iraniens. Or, si ces derniers souhaitent élargir leur influence au Proche-Orient (1), ils ne veulent pas renverser les Saoud. C'est peut-être là l'erreur d'interprétation des Affaires étrangères saoudiennes.

(1) Les Iraniens pensent, pour leur part, être dans une phase "défensive" se sentant attaqués via leurs alliés au pouvoir en Irak et en Syrie. Mais, comme toujours, la meilleure défense, c'est l'attaque.

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