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Ce que n’a pas vu Todd : les catholiques qui ne sont pas Charlie
©Reuters

Spectre du passé

Une critique du livre polémique de l’historien et démographe Emmanuel Todd "Qui est Charlie ?", un livre réquisitoire contre une France pétrie de bonne conscience, déconnectée de son monde populaire selon lui.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Les familiers des travaux d'Emanuel Todd savent ce qu'est pour lui un catholique "zombie" : quelqu'un qui a eu une éducation catholique,  qui n'a plus la foi, mais en garde cependant des structures de comportement inconscientes.  Voltaire, Diderot, Renan, Emile Combes étaient en ce sens des catholiques zombies : tout le contraire, on le voit, d'enfants de Marie !

il y a aussi des protestants zombies, des juifs zombies (et pas n'importe qui : Marx, Freud, Marcuse, Derrida  et tant d'autres fondateurs de la culture contemporaine) et déjà,  modernité oblige,  Todd y insiste, des musulmans zombies.

La particularité des catholiques zombies est que c'est parmi eux que se recrutent les plus fanatiques adversaires du catholicisme, ce qui n'est, semble-t-il, pas le cas pour les autres groupes. Même en comptant Marx, il ne semble pas que les juifs émancipés aient jamais été les pires antisémites ! 

C'est dire que le dernier essai de Todd qui insiste tant sur les "catholiques zombies"  crispera  sans doute autant les dits zombies que ceux qui ne le sont pas. Nous  éviterons donc cette expression.

Ceci posé, il n'y a rien à objecter à la thèse centrale de Todd : le groupe dominant en France aujourd'hui est celui des classes moyennes issues du monde catholique,  que ce soit en termes sociaux ou géographiques (le grand Ouest), mais déchristianisés. Qu'on les appelle "bobos" ou "deuxième gauche", ils tiennent le parti socialiste et ont soutenu le choix de l'euro ;  tributaires d'une culture catholique désormais inconsciente, ils imposent une austérité doloriste (et deloriste !)  et  un néo-libéralisme à l'anglo-saxonne à caractère inégalitaire. Quoique brandissant les valeurs de la République, ce sont de faux républicains. François Hollande, de parents catholiques mais qui a viré au laïcisme le plus raide (souvenons nous de son refus de dire que les Egyptiens massacrés en Libye étaient des chrétiens) en est une figure emblématique.

Chesterton disait que "le monde moderne  est rempli de valeurs chrétiennes devenues folles". Tout ce qui fait aujourd'hui la sensibilité de gauche : l'Europe, l'écologie, l'ouverture à l'homosexualité, les langues régionales,  le multiculturalisme peut être en effet assigné à une sensibilité chrétienne dégénérée.

Que les manifestants de janvier aient profité de l'affaire Charlie pour exprimer un anti islamisme inavoué, refoulé par les bons sentiments de gauche, est aussi probable.

Todd n'a pas non plus tort de penser que la grande manifestation "Je suis Charlie" du 11 janvier 2015 a été faite principalement par les pro-euro. Une manifestation de dominants qui laisse de côté deux groupes dominés : la vieille classe ouvrière française et l'immigration musulmane et qui réclame rien de moins que le droit pour le groupe dominant de blasphémer la religion d'un groupe plus faible !  

Ces pro-euro sont  des ex-chrétiens, soit, mais que pourraient-il être d'autre ? Pierre Chaunu aimait à dire que de la France cléricale qui représentait la moitié de la population en 1905, descendaient les trois quart  de la France de 1960 du fait du différentiel de natalité entre une France catholique féconde et une France républicaine malthusienne (cf. le triste Paris sans enfants des années trente dans les romans de Simenon). Mais une partie des catholiques, transfuges, venait à mesure reconstituer le vivier républicain dans une France où les Lumières étaient toujours hégémoniques, au sens gramscien du terme. Deux générations après, et l'accélération de la déchristianisation dans le dernier tiers du XXe siècle aidant, les néo-républicains n'ont pas seulement pris la place des anciens dans la rue, ils l'ont prise dans la France elle-même. La classe ouvrière où Todd voit le reste des républicains d'autrefois est en fait le résultat  d'un brassage complexe où l'immigration ancienne a  sa part. Même ralliée au  Front national, elle  est une  survivance.

Les catholiques qui ne sont pas Charlie

Persuadé que le catholicisme est en voie d'extinction en France (les constituants de 1789 le pensaient déjà !), Todd, cependant, ignore ou sous-estime  l'existence d'une frange de catholiques qui ne sont pas "zombies" et  dont la plupart ne s'est  nullement reconnue dans  Charlie,  beaucoup ayant  perçu dans  la  manifestation du 11 janvier  un rejet subliminal, non seulement de l'islam mais  de  toutes les religions.

Cette frange de catholiques "non zombies", de plus en plus nombreuse à chaque génération, d'autant  que les déperditions y  sont sans doute plus limitées que dans lé génération de  1968, explique l'ampleur de La Manif pour tous,  sans équivalent dans le reste  de l'Europe : en privant, par vengeance,  les classes moyennes de  prestations familiales, Valls ne s'est pas trompé de cible. Mais cette frange explique surtout   le différentiel  qui  fait de la  France le seul grand pays d'Europe où le population se renouvelle  encore.

Les Français ne font en effet  pas exception à la règle posée par Adolphe Landry : les sociétés athées sont  vouées à l'extinction. Ils ne sont pas, contrairement à ce que pense Todd, des athées heureux qui "font"  des  enfants quand-même. La population française se perpétue mieux que d'autres par des minorités religieuses arc-boutées sur un sentiment identitaire fort, en particulier une minorité catholique, qui fournit d'ailleurs l'essentiel des cadres de son Eglise et de son armée et, avec ou  sans apostasie, une grande partie de ses élites, même de gauche. 

Il y a donc bien trois pôles dans la société française  mais pas tout à fait ceux que voit Todd : le pole dominant, post (et anti)-catholique,  pro-euro, pro-homo et  antirusse, un pole catholique persistant, généralement prorusse,  pro ou  anti-euro, selon  sa position sociale, et un pole musulman. Si  les musulmans de France s'intègrent  plus qu'on ne croit, il faut le confirmer par  d'autres  indicateurs  que les  mariages mixtes : un jeune Français issu de l'immigration qui épouse sa voisine de palier étudiante  en  jean moulant, c'est un mariage franco-français; s'il préfère, comme cela se fait de plus en plus, aller chercher  au bled une cousine vierge, c'est un mariage mixte ! Lequel intègre mieux ?

Les musulmans de France,  qui avaient voté à 90 % Hollande, se sont abstenus massivement aux municipales, révulsés par le mariage unisexe et l'hypocrisie socialiste à leur égard. Seule la maladresse insigne de l'UMP - qui a mis  l'Islam à l'ordre du jour de  son prochain congrès -, empêchera qu'ils finissent à la droite modérée.   

Dommage car c'est de ce groupe désormais central de la politique française, qui va  de DLF au MODEM,  que dépend  l'issue du dilemme  justement posé  en conclusion par Emmanuel Todd: une confrontation suicidaire excitée par l'ultra-laïcisme ou un compromis fondé sur la  tolérance du fait religieux.

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