Traitement miracle contre le cancer ? Ce qu’il faut savoir avant de succomber aux sirènes de l’immunothérapie <!-- --> | Atlantico.fr
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Une récente étude montre des résultats encourageants sur le potentiel de l'immunothérapie dans le traitement de certains cancers.
Une récente étude montre des résultats encourageants sur le potentiel de l'immunothérapie dans le traitement de certains cancers.
©REUTERS/Ricardo Moraes

Panacée ?

Une étude récemment publiée, et relayée dans la presse anglo-saxonne, montre des résultats encourageants sur le potentiel de l'immunothérapie dans le traitement de certains cancers. Mais ce sont les laboratoires, plutôt que les malades, qui s'en frottent les mains.

Nicole  Delépine

Nicole Delépine

Nicole Delépine ancienne responsable de l'unité de cancérologie pédiatrique de l'hôpital universitaire Raymond Poincaré à Garches( APHP ). Fille de l'un des fondateurs de la Sécurité Sociale, elle a récemment publié La face cachée des médicaments, Le cancer, un fléau qui rapporte et Neuf petits lits sur le trottoir, qui relate la fermeture musclée du dernier service indépendant de cancérologie pédiatrique. Retraitée, elle poursuit son combat pour la liberté de soigner et d’être soigné, le respect du serment d’Hippocrate et du code de Nuremberg en défendant le caractère absolu du consentement éclairé du patient.

Elle publiera le 4 mai 2016  un ouvrage coécrit avec le DR Gérard Delépine chirurgien oncologue et statisticien « Cancer, les bonnes questions à poser à mon médecin » chez Michalon Ed. Egalement publié en 2016, "Soigner ou guérir" paru chez Fauves Editions.

 

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Atlantico : Selon cette récente étude, 60% des personnes traitées selon cette méthode auraient vu leur cancer régresser. L'immunothérapie serait-elle l'avenir de l'oncologie ?

Nicole Delépine : Précisons d’emblée pour nos lecteurs que vous citez des résultats préliminaires d’une revue non-médicale, au sujet de mélanome malin sans chiffrage du nombre des patients traités et des durées de rémissions etc., donc d’un flou artistique sur les informations fournies [1].

Néanmoins l’idée de l’immunothérapie dans le traitement du cancer reste passionnante mais n’est pas récente du tout. Elle date des années 50. En médecine sur une cinquantaine d’années, il est remarquable de voir les "mêmes" jeter aux chiens des hypothèses intéressantes, en insultant quasiment ceux qui explorent cette voie, et les voir ressortir, quelques décennies plus tard, comme une grande invention révolutionnaire (cf. le titre de l’article cité! ). J’invite ainsi les jeunes étudiants et médecins à ne pas rejeter (comme il leur est préconisé), la littérature médicale dite ringarde, qui date de plus de  4-5 ans, et au contraire de se plonger dans les publications anciennes singulièrement pour les sujets présentés comme neufs. Cela leur permettra de gagner du temps pour approfondir les voies actuelles dans le domaine sans surestimer leurs supériorités.

II y a plus de trente ans le professeur Georges Mathé, hémato-cancérologue et immunologiste à l’hôpital Paul Brousse (Villejuif), prônait la modulation immunitaire dans certains cancers après avoir été le premier à avoir réussi une greffe de moelle osseuse dans les années 50. Il fut largement moqué mais suivi par certains.[2]Il fit une synthèse encore en 2001 [3] de l’intérêt dans les rémissions à long terme des leucémies de l’enfant.

Cette approche s’est révélée utile dans certains cas de cancers (ostéosarcome [4], rein, vessie..) en particulier avec l’utilisation de l’interféron et de l’interleukine. Mais, sauf exception, les résultats à long terme restent minimes et exceptionnellement curateurs et inférieurs à l’association chimio-radio thérapie et chirurgie. Prétendre que l’immunothérapie sera la clef du traitement du cancer relève actuellement plus de la croyance ou de la voyance que de faits scientifiquement établis. Elle peut s’avérer être un adjuvant intéressant à ne pas négliger mais la présenter comme "révolutionnaire" est méconnaitre l’histoire (qu’on n’enseigne plus y compris en médecine), même récente, et le comportement du cancer. Cela relève de la naïveté si on est gentil ou de la manipulation à visée financière si on est plus lucide.

Quelles réserves peut-on émettre quant à la méthode ?

L’article présenté n’est manifestement pas écrit selon les règles scientifiques médicales : aucune référence d’une étude exposant un nombre suffisant de malades traités selon un protocole thérapeutique parfaitement défini et suivi suffisamment longtemps n’est citée. Il s’agit vraisemblablement d’un texte rédigé par le service de communication d’un laboratoire pour valoriser cette approche et faire croire aux investisseurs boursiers que le jackpot est là s’ils investissent au bon moment.

La revue "Le revenu", revue boursière, ne s’y est pas trompée [5]. Le choix d’une revue d’investissement pour présenter des soit-disant  "progrès médicaux " démontre clairement ce qui domine maintenant les grands congrès médicaux, dont le plus grand en cancérologie : l’argent. Il y a encore dix ans l’ASCO était un congrès médical, sans analyste financier. C’est devenu une foire commerciale comme la foire de Paris, mais c’est de santé qu’il s’agit.

Comme toutes les "révolutions" annoncées chaque année à l’occasion de l’ASCO, il s’agit d’une opération publicitaire dont on ne connaitra l’évolution médicale que des années plus tard. En 2005, le journal de 20h ouvrait sur la "révolution" du traitement du cancer avec l’Avastin qui allait effacer l’ère de la chimiothérapie. Ce fut une révolution, il est vrai, pour les portefeuilles des actionnaires et dix ans plus tard le chiffre d’affaires mondial est encore de plus de cinq milliards d’euros annuel malgré la grande déception dans la survie des malades cancéreux supposés en bénéficier. L’indication a été supprimée en 2011 aux USA pour le cancer du sein métastatique pour insuffisance de résultats .[6] Mais il continue son parcours gagnant.

Puis il y eu la révolution des thérapies ciblées sur la mutation trouvée sur quelques cellules de votre cancer. Médecine personnalisée qui allait effacer, elle aussi, la chimiothérapie. Déjà en déroute malgré les milliards qu’elle coute à la sécurité sociale. On passe à la médecine "de précision", et à l’immunothérapie qui revient .

Cette étude est-elle totalement fiable ? Quelle est d'ailleurs la position des autorités de contrôle ?

Aucun médicament, aucune technique n’est parfaitement fiable. La fiabilité ne peut être déterminée qu’avec un nombre de malades et un recul suffisant, et des publications détaillées des essais encore en cours.

En l’absence de publications contrôlées il s’agit actuellement d’une méthode expérimentale dont ni l’efficacité ni l’absence de toxicité ne peuvent être déterminés.

Les experts des autorités de contrôle, à ce stade, ne sont pas consultés. Ils ne le seront qu’au moment de la demande d’autorisation de mise sur le marché après les études cliniques et précliniques non encore réalisées, semble-t-il.

Comment, pourtant, expliquer de si bons résultats ?

De fait on ne les connait pas ! On vous montre une femme, qui en plus a rechuté, et basta.

Publicité pure et dure sans complexe ni limites. Comme celles qui vous démontrent que l’on peut empêcher les rides, rayer un mur en béton avec ses cheveux imbibés de gel coiffant ou les mutuelles qui prétendent vous garantir la "santé" (et non pas vos dépenses de santé).

Cet article vend du rêve ou plutôt de l’illusion. Il le vend d’abord aux investisseurs potentiels. Il prépare le marché (les malades) aux produits miracles.

Qui sont les acteurs de ce secteur ? Quels sont leurs intérêts ?

D’une part certains chercheurs, en quête de crédits, qui savent qu’ils n’en obtiendront que si on parle d’eux dans la presse et qui, faute de découvertes utiles pour les malades, inventent des rêves en or et fondent chaque année des milliers de petites start-up dont seulement quelques dizaines survivront.

Des journalistes, peut-être, qui ne vérifieraient pas les textes qu’on leur remet tout cuits et trop confiants, et qui espèreraient se faire connaitre par le scoop.

Des publicitaires payés par les laboratoires, c’est leur boulot.

Et les actionnaires.

Il faut lire le livre de Peter Goetsche "Deadly medicines and organised crime : how big pharma has corrupted healthcare" ("Médicaments mortels et crime organisé : comment les grandes entreprises pharmaceutiques ont corrompu la santé" NDLR) récemment traduit en français. Ce professeur danois, médecin éminent, vous livre ici la réalité illustrée par ce scoop annuel de la molécule miracle .

En matière de traitement du cancer, l'opinion est dans l'attente du remède miracle. En sommes-nous encore loin ? Quelles sont aujourd'hui les pistes les plus prometteuses ?

Il n’y aura pas de molécule miracle globalement, le cancer est à multiples facettes et, sauf exception, une molécule ne guérira pas UN cancer ! Il n’est pas certain que la population soit encore dupe de ce scoop de la drogue miracle qui survient au minimum tous les cinq ans. Les patients font confiance en grande majorité à leurs médecins malgré les campagnes de dénigrement qui visent à casser notre système de santé solidaire. Ils s’orientent plutôt vers les médecines dites naturelles (en réaction à la perte de confiance envers la médecine académique trop soumise aux labos) et se méfient de plus en plus des pilules miracles que leur imposent souvent, autoritairement, leur cancérologue, lui-même soumis au diktat du plan cancer. Celui-ci impose d’entrer un maximum de patients dans les essais cliniques. Ce circuit autoritaire imposé via les agences régionales de santé ne satisfait personne et sera nécessairement remis en cause si un minimum de démocratie persiste. 

Quant aux pistes prometteuses, je les crois multiples, comme le traitement du cancer doit l’être à de rares exceptions près. Comme la piste immunologique, certains font semblant de redécouvrir la piste métabolique que de nombreux chercheurs discrets et tenaces étudient dans leurs labos sans publicité depuis des décennies. Surtout il faudrait que les jeunes cancérologues aient encore l’envie et le droit de rentabiliser en les améliorant les grandes avancées du siècle dernier qui avaient permis d’arriver en 1985 à plus de trois quart des enfants cancéreux guéris et plus de la moitié des adultes, grâce à la chimiothérapie dont on commençait à maitriser les risques de séquelles, aux magnifiques progrès de la chirurgie et de la radiothérapie beaucoup moins pourvoyeuse de sééquelles lourdes. En optimisant les traitements éprouvés et en les complétant par de nouvelles voies associées, ils pourraient guérir de plus en plus de patients. Mais il leur faudrait un peu de liberté, seule créatrice .

Beaucoup de ces avancées sont balayées, au moins en France, au bénéfice d’essais imposés de nouvelles molécules sans qu’elles n’aient eu le temps de montrer leur supériorité en termes de survie ni  d’évaluer leurs effets délétères. C’est très regrettable pour nous tous, patients présents ou futurs. Il faut retrouver notre liberté de prescrire et d’être soigné indépendamment des analystes financiers !



[1] http://www.dailymail.co.uk/news/article-3105049/New-era-war-cancer-Revolutionary-treatment-save-thousands-hailed-biggest-breakthrough-chemotherapy.html

[2]Int J Cancer. 1975 Jul 15;16(1):103-12.Intermittent chemotherapy and immunotherapy with BCG in remission maintenance of children with acute lymphocytic leukemia: effects upon immunological function.Ekert H Jose  and al.

[3] Biomed Pharmacother. 2001 Nov;55(9-10):531-42.

The roles of adoptive and active forms of immunotherapy in the cure of children suffering from acute lymphoid leukemia: a) underestimation of active immunotherapy benefit, b) its immunogenetic indications to select sensitive patients, hence prevent chemotherapy's late effects.

Mathé G1, Amiel JL.

[4]Acta Oncol. 2005;44(5):475-80.Interferon-alpha as the only adjuvant treatment in high-grade osteosarcoma: long term results of the Karolinska Hospital Müller CR and al  revue à long terme d’une étude débuté en 1971

[5]     LE REVENU publié le 04/06/2015 à 07:30 - Mis à jour le 04/06/2015 à 07:29

[6] Détaillée dans ma tribune de Maveritesur.com loi de finances 2015 des médicaments plus chers que l’or 21 10 2014

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