Quand le PS pourtant réuni en congrès n’éprouve absolument pas le besoin de se pencher sur la proposition d’Emmanuel Macron et du vice-chancelier allemand sur la zone euro<!-- --> | Atlantico.fr
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La proposition d'Emmnuel Macron n'a pas trouvé d'écho au PS.
La proposition d'Emmnuel Macron n'a pas trouvé d'écho au PS.
©Reuters

Esprits en jachères

Emmanuel Macron et son homologue allemand ont présenté leur projet de loi pour la zone euro, projet majeur puisqu’il pourrait redéfinir clairement les jeux de puissance au sein de l’espace économique européen. Le Parti Socialiste, qui ne manque pas de tacler son ministre de l’économie et son rapport aux valeurs de gauche, ne prend pas position sur le sujet.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Quel écho a reçu la proposition d’Emmanuel Macron de la part du gouvernement ?

Christophe Bouillaud : Il est difficile de croire que le Président de la République et le Premier Ministre n’aient pas tenu au courant de cette initiative. Ils sont donc d’accord, et cette proposition ne peut en fait que plaire aux socialistes parvenus aux plus hautes responsabilités. Elle correspond en effet à l’objectif de longue période des dirigeants actuels du Parti socialiste. Depuis le "tournant de la rigueur" en 1983, l’objectif stratégique des dirigeants socialistes français, tout particulièrement Mitterrand et Delors dont F. Hollande défend en fait parfaitement l’héritage, est de recréer au niveau européen les moyens de réguler le capitalisme au profit des travailleurs. Il s’agit de compenser au niveau européen le fait que ces mêmes moyens de régulation du capitalisme au profit des travailleurs – ce qu’on appelle "le compromis social-démocrate" - se sont évaporées au niveau national à la fin des "Trente Glorieuses" (1945-75). E. Macron et S. Gabriel sont donc parfaitement dans la ligne qu’ont adoptée les socialistes et les socio-démocrates de l’Ouest du continent dès les années 1980 : accepter à court et moyen termes la construction libérale de l’Union européenne avec tous les renoncements  que cela supposait, pour ensuite passer à force d’interdépendances ainsi créées entre économies nationales à une obligation de créer un Etat social et régulateur européen. C’est toute l’idée de la création d’une monnaie unique vu du point de vue d’un Delors : l’interdépendance créée par la monnaie obligera à terme à créer l’Etat correspondant, et les possibilités de régulation du marché au niveau continental qui vont avec.

De fait, les propositions Macron/Gabriel sont d’ailleurs assez audacieuses, puisqu’elles reviendraient à créer les débuts d’un vrai Etat fédéral européen au niveau de la zone Euro, avec un vrai budget commun. Je ne suis pas sûr qu’A. Merkel apprécie entièrement l’idée. Plus généralement, la volonté de transférer au niveau européen une part de l’Etat social traine dans l’air du côté socialiste européen depuis quelques années, en particulier l’idée de créer une assurance-chômage européenne qui puisse compenser les chocs asymétriques sur les pays membres. Il est par ailleurs très significatif que les deux Ministres fassent allusion à la création d’un salaire minimum européen, tenant compte toutefois des capacités économiques, le fait que l’Allemagne ait enfin adopté son propre salaire minimum facilite bien sûr les choses. Ce n’est cependant certes pas demain, même avec l’application de cette proposition, qu’un travailleur slovaque ou letton sera payé comme un travailleur belge, mais cela ouvrirait la voie à une réelle convergence des revenus salariaux dans toute la zone Euro.

Comment expliquer qu’au moment où Emmanuel Macron porte son projet de réforme de l’espace économique européen,  le Parti Socialiste ne fasse aucun commentaire ?

Parce que par ailleurs ce projet d’Europe sociale est comme Godot dans la célèbre pièce de Beckett. On l’attend toujours, et on ne le voit jamais. Les électeurs, les militants et certains élus socialistes attendent depuis bien trop longtemps cette "Europe sociale" promise lors de chaque élection européenne, lors de chaque nouveau Traité, et cela depuis 1979. Cela commence à faire un peu long tout de même, une petite quarantaine d’années, et il n’est pas sûr du tout que les conservateurs et libéraux européens, qui restent bien présents dans le jeu politique européen, acceptent un tel saut fédéral. Surtout, toutes les décisions de renforcement de la gouvernance économique de la zone Euro prises depuis 2010 semblent renforcer au contraire le caractère fondamentalement "anti-social" de la monnaie commune. Le TSCG en particulier, c’est pour beaucoup de gens à gauche la promesse de l’austérité pour l’éternité, or F. Hollande et le PS l’ont accepté tel qu’il avait été signé par N. Sarkozy. Enfin, nous sommes dix ans après le référendum du 29 mai 2005, et encore sous le coup d’une crise économique européenne commencée en 2008 dont nous ne sommes pas vraiment sortis, il est donc très difficile de parler positivement d’Europe à l’électorat français, tout particulièrement à l’électorat populaire. Le Parti socialiste, tout au moins son actuelle majorité (motion A), conserve son ambition européenne, mais n’a plus vraiment le cœur de la clamer sur les toits face à une opinion hostile.  C’est un sujet qu’il vaut mieux éviter.

Emmanuel Macron solidifie le partenariat franco-allemand et rassure les marchés, tandis que le gouvernement a l’air d’être dans une attitude électoraliste, alors que les dernières élections européennes ont plutôt affiché un rejet des instances européennes. Quel est alors le soutien dont bénéficie Emmanuel Macron au sein du gouvernement ?

Comme je l’ai déjà dit, les ministres de l’actuel gouvernement, s’ils sont un minimum informés de la ligne du PS depuis 1983,  ne peuvent qu’être d’accord sur le fond. Après, il existe sans doute des différences sur l’opportunité de mettre ce genre de choses en avant au moment où la France connait de nouveau un record de chômage. Evoquer un approfondissement de l’Europe ou plutôt de la zone Euro peut sans doute apparaitre aux ministres les plus soucieux de l’état de l’opinion publique française comme une provocation inutile. Pour certains, moins les électeurs populaires français entendent parler d’Europe, mieux c’est.

S’il représente le réalisme économique, la stratégie adoptée par le gouvernement de faire voter coûte que coûte les lois qu’il propose sans pour autant avoir l’air de trop les soutenir, est-elle comprise par l’électorat ?

Il me semble que le gouvernement fait voter ses propres lois sans trop d’état d’âme par sa majorité parlementaire. Par contre, le PS entretient l’ambiguïté. Il tend à faire comme si la majorité parlementaire formée de députés PS n’était pas entièrement co-responsable des choix législatifs du gouvernement. A en juger par les sondages et les récentes élections départementales, cette stratégie d’évitement ne paye pas vraiment. En même temps, tellement de décisions des gouvernements Ayrault et Valls constituent des trahisons par rapport à ce que pouvaient attendre les électeurs de gauche dans leur majorité en 2012 qu’il est difficile de faire autrement que d’entretenir cette ambiguïté. Dans le fond, seul M. Valls est vraiment cohérent, puisqu’il voulait à un moment abandonner le nom même de socialiste pour le parti afin de bien marquer la distance prise avec ce que croient encore une partie des militants de gauche.

Ce projet pour la zone euro et porté par Emmanuel Macron est-il en cohésion avec une vision socialiste de l’économie ?

Un libéral thatchérien, un eurosceptique bon teint, vous dirait que oui. C’est exactement le cauchemar de Margaret Thatcher que ces propositions socialistes de Macron et Gabriel. Un communiste vous dirait que, comme d’habitude, les socialistes servent la soupe au grand capital, et que ce projet n’est nullement socialiste au sens fort du terme : où est en effet le contrôle des moyens de production par les travailleurs ? Il ne s’agit en effet là que de mieux réguler la zone Euro, qui resterait pleinement une économie de marché capitaliste. L’observateur de la construction européenne depuis les années 1980 vous dirait que oui, ce projet Macron/Gabriel correspond à ce qu’ont voulu tous les socialistes ouest-européens qui ont accepté d’aller de l’avant sur l’intégration européenne dans les années 1980. Les deux compères veulent transférer au niveau européen une partie de l’Etat social, et ils veulent en plus que cela soit fait sous des formes plus démocratiques qu’actuellement. C’est là du point de vue libéral pro-business ouvrir la boîte de Pandore. Ce n’est d’ailleurs pas très loin de ce que propose un Thomas Piketty par exemple. En effet, dans ce cadre-là, il arrivera rapidement qu’il ne pourra plus y avoir de paradis fiscal au sein de la "zone Euro", comme le Luxembourg, l’Irlande, etc., qu’il faudra taxer partout les entreprises de la même façon, qu’il faudra assurer les mêmes salaires ou presque partout, etc. La concurrence totalement libre et complètement faussée qui existe en Europe depuis les années 1980 et qui a fait les affaires de bien des gens disparaitra pour laisser la place à "la concurrence libre et non faussée" prévue dans le Traité de Rome. On ne se battra plus seulement à coût d’exemptions fiscales, de salaires les plus bas possibles et de conditions de travail dégradées, mais aussi avec le meilleur produit ou service.  Ce n’est pas étonnant que Macron et Gabriel sortent maintenant ce genre de projets, puisque la perspective d’un "Brexit" se précise. En effet, une fois débarrassé des Conservateurs britanniques, il serait possible de faire un Etat social européen qui ressemble à quelque chose de cohérent avec les visées socialistes en ce sens-là, un transfert de l’Etat social au niveau où se trouve le niveau du marché pertinent à réguler. Ce ne sera nullement la révolution, mais simplement un nouveau compromis capital/travail au niveau européen.

Alors que Macron est en position de force sur la scène européenne, les remarques de Cambadélis ou de Christian Paul, qui accusent Emmanuel Macron de ne pas être socialiste, sont-elles porteuses de sens ? Est-ce une volonté d’une frange de gauche du PS de prendre des distances par rapport à des lois qu’ils n’osent pas contrer, mais dont ils se laissent la possibilité ultérieure de critiquer ?

Pour ce qui est de Cambadélis, c’est là une pure posture de Congrès. Sur le fond, la motion A, soutenue par ailleurs par Martine Aubry, est entièrement d’accord avec l’action européenne et nationale d’E. Macron, et plus généralement de F. Hollande et de ses gouvernements, mais elle a des difficultés à l’assumer publiquement devant les électeurs et peut-être même devant une partie de ses propres militants les plus naïfs. Pour ce qui est de Christian Paul, il représente par contre un doute face à cette stratégie de report à terme de la régulation du capitalisme au niveau européen, qui peut apparaitre aussi comme une position d’attente interminable. Par ailleurs, celle-ci cohabite avec une tendance tout à fait immédiate à libéraliser au niveau français, comme le montre la loi Macron sur lequel "les frondeurs" se sont énervés au départ. Cette attitude des leaders de la "motion B" traduit donc un doute, voire un peu plus, sur la stratégie qu’incarne E. Macron, mais qui est celle en fait de la majorité du PS en réalité. La promesse d’un avenir européen radieux pour le socialisme fait difficilement oublier la réalité du démantèlement de tout ce qui a été gagné par les travailleurs depuis un siècle au niveau national. Rêver d’Europe sociale fait-il oublier que les possibilités de travail du dimanche vont être étendues par un gouvernement "socialiste" ? Par ailleurs, E. Macron porte toutes les stigmates du banquier d’affaire qu’il a été pendant quelques années. C’est une cible trop facile. Il entre aussi peut-être dans ces critiques quelque jalousie face à ce "premier de la classe", sans doute promis à un brillant avenir. 

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