Pourquoi la Chine pourrait ne jamais atteindre la case démocratie <!-- --> | Atlantico.fr
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La Chine pratique la censure sur Internet.
La Chine pratique la censure sur Internet.
©Reuters

Voeu pieux

Alors que le massacre de la place Tian'anmen qui a eu lieu dans la nuit du 3 au 4 juin 1989 est toujours un sujet tabou en Chine, la question d'un régime démocratique se pose régulièrement pour la République populaire de Chine.

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio est président de l'institut de recherche Asia Centre.

Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'Université de Pékin, il enseigne par ailleurs à l'IEP Lyon, à l'Ecole Centrale Paris, à HEC ParisTech, à l'École des Mines Paris Tech et à Lille I.

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Atlantico : Dans la vulgate, la croissance économique d’un pays accouche forcément d’un régime démocratique. Pourquoi le cas de la Chine apparaît-il comme un contre-exemple ?

Jean-François Di Meglio : La vulgate s'est trompée dans le cas de l'Union soviétique et elle commence à dater, dans la mesure où de telles transformations, c'est-à-dire tout simplement l'accession progressive ou brutale à une démocratie de type occidental mûr, ne se sont pas produites depuis longtemps. C'est aussi parce que les régimes se sont complexifiés et que le modèle démocratique lui-même n'est pas uniforme. Les transformations démocratiques "heureuses" les plus récentes se sont faites dans des pays de taille moyenne déjà parvenus à un degré de développement relatif. Les meilleurs exemples sont les pays d'Asie (Corée, Taiwan) mais trop de différences les distinguent de la Chine pour que la question soit vraiment pertinente.

La Chine n'est donc pas un contre-exemple. Ce qui a inspiré les mouvements qui ont été écrasés le 4 juin 1989 tenait plus de l'utopie et surtout de la grande effervescence intellectuelle de ce moment-là en Chine que d'une prise de conscience que le degré de développement économique (encore loin d'être confirmé à l'époque) devait aboutir à une transition démocratique.

Le poids des classes moyennes, souvent à l’origine des changements de régimes politiques, serait-il trop faible ?

Ce qui caractérise la montée des classes moyennes dans la plupart des pays émergents du XXIème siècle, contrairement à ce qui s'est passé au XIX et au XXème siècle, c'est une rapidité de cette accession en nombre absolu d'années. Même si l'on considère que le "temps va plus vite" voir en une seule génération des personnes franchir plusieurs "seuils" de richesse est ce qui frappe le plus en Chine, y compris si l'on reconstitue le parcours personnel des individus (principalement en ville) ou le parcours familial des trois ou quatre générations qui "vivent sous le même toit". Contrairement à ce que l'on pourrait penser ce télescopage d'une période récente de disette absolue et de la période actuelle (en ville, faut-il le préciser encore) de relative aisance produit à la fois un sentiment de précarité (la crainte du retour des temps difficiles, toujours menaçants) et la satisfaction des aspirations matérielles qui écartent pour l'instant l'aspiration aux mouvements collectifs. Cette accession a souvent été acquise de façon individuelle. Ce qui prime c'est une préoccupation égoïste, une relative fermeture à l'autre, sauf dans des situations particulières (le tremblement de terre du Sichuan) la formation d'une identité politique commune a été le fait du "régime" précédent (avant les "modernisations") et malgré les efforts du jour, l'adhésion au modèle ou même au contre-modèle qui susciterait le changement est diluée.

L’absence de multipartisme en politique et le régime autoritaire (ou totalitaire selon les experts) en place apparaissent comme un frein à la démocratie en Chine mais cela permet aussi au pays par exemple d’expérimenter certaines mesures sans chercher à séduire des électeurs, de planifier les politiques à long terme avec les mandats de 10 ans des dirigeants politiques ou encore d’accorder une large place à la méritocratie avec l’évaluation des fonctionnaires par exemple.  Dans quelle mesure le Parti a-t-il trouvé un équilibre ?

Il est probable que ce qui nous apparaît comme un équilibre et la manifestation d'un système relativement efficace est perçu par les dirigeants chinois comme un ordre menacé et certainement pas en équilibre. La campagne anti-corruption témoigne de cette inquiétude de voir le système mis à mal. La démocratie n'a jamais été l'antidote à la planification et c'est même dans le cadre du Plan que nos démocraties d'après-guerre ont connu leurs plus belles réalisations, parfois même dans une relative instabilité politique. Il ne faudrait donc surtout pas confondre le contingent et l'invariant. L'invariant c'est sans doute le dynamisme économique en grande partie lié à la démographie (dans l'Europe de l'après-guerre comme en Chine depuis 1979) qui a jusqu'ici mécaniquement porté la croissance il est vrai dans une ouverture très libérale. L'invariant c'est la volonté et le chemin. Le contingent c'est le régime politique. Il est à nos yeux indissociable de la Chine moderne assurément, mais d'autres pays, même de taille comparable, ont connu des périodes d'expansion économique aussi spectaculaire sans recourir à l'autoritarisme de type chinois. Le Brésil est un grand pays : il a extirpé des millions de personnes de la pauvreté absolue, sans susciter finalement beaucoup plus d'inégalités que la Chine actuelle. Le Japon, assurément moins peuplé et certainement plus aidé que la Chine, a aussi connu une formidable expansion de 1950 à 1985.

Si la force sociale ne permettra pas à court ou moyen terme un passage vers un régime plus démocratique, quelles sont les améliorations en matière de libertés que le gouvernement chinois actuel pourrait faire se mettre en danger ?

Il y a et il y aura de plus en plus de "soupapes" précisément pour éviter les paroxysmes de type Tian Anmen en 1989 (spectaculaire, dramatique, faut-il le répéter, mais limité dans l'impact et la généralisation du mouvement) : effectivement, le "sentiment" de liberté individuelle, en particulier grâce à la liberté de se mouvoir (par les transports individuels et la possession d'un véhicule privé, mais aussi par la libéralisation des mouvements dans et en dehors de Chine) grâce au relatif espace de liberté créé par le relâchement de la surveillance mutuelle visible. La démocratie locale a déjà été tentée elle n'est pas encore érigée en exemple ou généralisée. C'est assurément un modèle différent qui est suggéré, celui qu'un livre récent intitule "démocrature" : le mélange d'attention à la "base" et l'imposition d'une direction autoritaire. C'est tout à fait inouï, assurément inventif et n'a rien à voir avec ce que l'on a pu appeler en son temps le "consensus de Pékin", aujourd'hui totalement dépassé et qui aurait justement accrédité l'alliance de la prospérité avec l'absence totale de démocratisation ou même de revendication en faveur d'une démocratisation.

Face aux évolutions économiques et sociales, le Parti a-t-il intérêt à faire évoluer le système politique vers plus de libertés ? Pourquoi ? 

Comme on l'a vu à Hong Kong, il existe des moyens d'empêcher sans trop de soubresauts des évolutions trop brutales. Plus de libertés, c'est une absolue nécessité, bien comprise par des dirigeants dont l'objectif principal (comme partout) est de se maintenir au pouvoir. L'expérience de l'Union soviétique et du mois d'août, puis du mois de décembre 1991 demeure cependant un traumatisme au moins aussi prégnant dans l'esprit des dirigeants du Parti : tout "lâcher" sans rien prévoir, c'est pire encore que de "tout réprimer". Il faut donc trouver la voie médiane, ce qui sera sûrement le choix de Xi Jinping, après des débuts pour le moins autoritaires.

Propos recueillis par Rachel Binhas

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