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Pourquoi c'est contre les injustices qu'il faut se battre pas contre les inégalités
©Reuters

Faux débat

La ministre de l'Education, notamment, semble se tromper de combat, penser à la forme et ne pas s'attaquer au fond.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Au palmarès des ministres socialistes honnis de la Droite, Najat Vallaud-Belkacem dispute régulièrement la première place à Christiane Taubira. Certains intervenants du spectacle des "Républicains" samedi 30 mai l’avaient bien compris, ponctuant leur discours des deux noms de ces épouvantails politiques pour susciter comme un réflexe pavlovien les sifflets enthousiastes d’une salle acquise. Il faut dire que l’une comme l’autre apprécient, dès qu’elles le peuvent, d’envoyer quelques flèches acérées d’idéologie, bien trempées dans le vinaigre du mépris condescendant propre à la rue de Solferino pour tout ce qui lui est extérieur (et donc, par définition, étranger au chemin du progrès inéluctable de la Raison dans l’histoire).

Najat Vallaud-Belkacem a profité d’un entretien avec le magazine QG au mois de mai pour s’en prendre à nouveau aux électeurs de droite. Selon elle, le citoyen qui vote à droite (le côté obscur) est marqué par "une forme d’indifférence ou d’acceptation voire de légitimation des inégalités". Mieux, ces braves bourgeois sans cœur épris d’égoïsme "se fichent comme d’une guigne que seuls 20 % des élèves réussissent". En clair, l’électeur de droite est un salaud.

La ministre de l’Education (comme sa collègue de la place Vendôme) adore ce genre de rhétorique facile et de raisonnement grossier : il a l’incomparable avantage de faire appel à des réflexes idéologiques de la gauche et d’en mobiliser les (quelques derniers) électeurs derrière ces égéries passionnées du socialisme hollandien.

Sur le fond, Najat Vallaud-Belkacem aborde un vrai et grave sujet pour la France : sa façon de percevoir les inégalités. Près de 8 Français sur 10 considèrent que la lutte contre les inégalités est un sujet prioritaire (sondage de 2013) et 60 % estiment qu’il faut lutter contre les inégalités entre tous les individus (sondage de 2014). Régulièrement, le sujet fait la Une de la presse, à coups de reportages chocs sur la misère qui contraste avec l’extrême richesse ou de dossiers spéciaux sur les héros de Podemos et d’Occupy Wall Street etc. On en oublie presque que la France est l’un des pays les moins inégalitaires du monde ….

Faites le tour des responsables politiques et il s’en trouvera peu (et probablement pas) pour expliquer que les inégalités ne sont pas un fléau contre lequel il faut se mobiliser et se battre, même à droite. Et c’est bien le problème ! Car la France souffre précisément de vouloir absolument lutter contre les inégalités depuis 30 ans.

Depuis qu’elle a renoncé à la croissance (et aux réformes qu’elle nécessite), la France s’est engagée toujours plus résolument dans une promotion de l’égalité. A défaut d’enclencher un mouvement, les politiques publiques suivies depuis des décennies ont tenté au contraire de figer les situations individuelles en resserrant toujours plus l’échelle des salaires et des différences sociales : pour assurer la paix sociale dans un pays qui stagne, il vaut mieux que personne ne se distingue. Le tout s’est fait à coup de subventions et d’allocations par le bas et par le rabot fiscal par le haut. L’égalitarisme est le pendant de l’Etat-Providence. Socialistes et conservateurs se retrouvent pour le défendre.

La croissance appelle, au contraire, de la concurrence, du mouvement, de la création. Elle engendre l’émergence soudaine de situations nouvelles, inimaginables auparavant, qui déstabilise en permanence l’ordre établi, menacent les moins qualifiés et effraient les bourgeois installés. La concurrence génère intrinsèquement des inégalités : si elle se fait « entre égaux » au départ, elle ne peut parvenir à produire des situations identiques à l’arrivée. Si la croissance peut pâtir d’un excès d’inégalités, comme le prétend l’OCDE, la concurrence elle ne peut exister dans un monde égalitaire.

Ce contre quoi nous devons nous battre, ce n’est pas les inégalités mais les injustices – ce qui est profondément différent. Les injustices naissent des blocages arbitraires qui sont posées sur la voie du mérite ou des fardeaux qui retiennent les plus fragiles de la société dans leurs difficultés. Lutter contre les inégalités, c’est vouloir la taxe à 75 % ; lutter contre les injustices, c’est assurer la mobilité sociale (par la réforme de l’école et du marché du travail), une solidarité efficace et l’enrichissement de tous (par la croissance). C’est, en somme, accepter la concurrence et la saine émulation. C’est accepter des inégalités justes. A ce compte là, Najat Vallaud-Belkacem se trompe une fois plus, car la droite en est très loin.

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