Caitlyn Jenner en couverture de Vanity Fair : pourquoi la vraie vie des transgenres est beaucoup moins glamour <!-- --> | Atlantico.fr
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Bruce "Caitlyn" Jenner fait la Une de "Vanity Fair"
Bruce "Caitlyn" Jenner fait la Une de "Vanity Fair"
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Retour à la réalité

La transition de Caitlyn Jenner est largement médiatisée. Mais la vie de cette star, vivant dans un univers relativement ouvert s'agissant de l'identité de genre, n'est en rien comparable à la réalité des autres personnes transgenres.

Emilie Garçon-Dauby

Emilie Garçon-Dauby

Emilie Garçon-Dauby est responsable pour la région Ile-de-France de l'ANT – l'Association nationale transgenre.

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Atlantico : Quelles sont les principales données dont on dispose sur l'intégration économique et sociale des personnes transgenres en France ? Que sait-on du niveau de chômage, du nombre de personnes en dessous du seuil de pauvreté par exemple ?

Emilie Garçon-Dauby : Il n'y a officiellement aucune statistique comptabilisant ces problèmes, et Pôle emploi ne cherche pas particulièrement à savoir ce qu'il en est puisqu'il délègue à d'autres organismes ou associations le cas des personnes transgenres. Et ces structures expliquent qu'en général elles n'ont pas vraiment de solutions à proposer. Le principal problème, au-delà de la seule question des discriminations, c'est que dès qu'une personne trans postule à un poste et qu'elle n'a pas pu effectuer son changement d'état-civil, et donc que son apparence ne correspond pas à cet état-civil, c'est quasiment toujours éliminatoire. Si vos papiers disent que vous êtes un homme, et que vous ne ressemblez pas à un homme, vous n'avez pas grand-chose à espérer. Alors que lorsqu'un changement d'état-civil est possible, pratiquement tous les problèmes liés à l'emploi s'envolent. En premier lieu parce que l'intéressé ne fera pas mention de sa transition et qu'il pourra ainsi éviter les discriminations. 

Comment expliquer cette discrimination ? Qu'est-ce qui dans la question transgenre met des barrières pour une intégration harmonieuse dans la société ?

Les discriminations à l'égard des personnes trans sont très peu sanctionnées. Si vous vous faites agresser, notamment verbalement, les procureurs classent rapidement les affaires. Le problème des personnes transgenres, expliquant selon moi des discriminations plus importantes que ce que les homosexuels peuvent connaître, c'est que l'on touche à la question du genre, qui rend globalement mal à l'aise. D'ailleurs, pour vous parler même d'une expérience personnelle, assumer totalement sa féminité peut vous faire perdre des amis qui ne supportent pas ce qu'ils considèrent comme une "trahison". D'ailleurs, j'ai remarqué qu'un homme qui "devient" une femme reste mal perçu alors qu'une femme "devenant" un homme est beaucoup mieux accepté. Etre une "femelle" est dévalorisant, et nous souffrons donc d'une double sanction : être femme et trans.

Il y a aussi la question des agressions physiques. J'ai personnellement été victime d'un acte de violence dans le RER qui m'a mené directement à l'hôpital, après avoir été frappée violemment à la tête. La police nationale n'enregistre pas l'aspect transphobe d'une agression, nous n'avons donc aucune statistique pour mesurer le phénomène.

Et je vous parlais de la question de l'état-civil, mais il faut rappeler qu'en France, il n'y a pas de loi définissant ce changement, c'est une jurisprudence de 1992 qui le permet. Le Conseil de l'Europe a pris une résolution en ce sens également en 2010, et une nouvelle a été adoptée également en 2015. Mais toujours rien directement au niveau français, les autorités pensant que "ce n'est pas adapté à notre droit".

Hormis la question de l'emploi, quels sont les autres domaines de la vie quotidienne où la différence apparence / état-civil pose de sérieux problèmes ?

On pense spontanément à quelques problèmes assez classiques d'envoi de courrier administratif avec une mention "Monsieur" et non "Madame", mais l'impact est assez mineur. Le plus gros problème, c'est la Sécurité sociale. J'ai moi-même une carte vitale commençant par le "1". Et cela peut poser de sérieux problèmes. Par exemple, j'ai moi-même une poitrine assez développée. Comme j'ai plus de 50 ans, il faudrait en principe en tant que femme que je fasse une mammographie de dépistage du cancer du sein. Or, comme nous sommes considérées comme des hommes, nous ne pouvons pas y avoir accès, il faut avoir une carte de Sécurité sociale de femme. Le seul moyen que j'ai de contourner cet obstacle, c'est de me faire prescrire cette mammographie en justifiant d'une ALD – une affection de longue durée – pour "transsexualisme" considéré comme une maladie mentale... Je peux alors avoir accès à cette mammographie de dépistage. On en est là…    

Vous avez enfin comme autre grave problème la difficulté à trouver un logement, toujours à cause de cette question de pièce d'identité. Typiquement, un "trans" qui présente une pièce d'identité qui ne correspond à ce à quoi il ressemble physiquement va entraîner un refus du propriétaire. C'est le constat que nous faisons en tout cas. A part les agressions, tous les problèmes sont liés à la difficulté de changer d'état-civil en France. Alors que même un pays pourtant assez conservateur comme Malte vient d'autoriser le changement d'état-civil sur simple déclaration. Etonnamment, la seule identité que j'ai pu faire changer sans difficultés majeures, en insistant un peu seulement, c'est le nom sur… ma carte bancaire.

Une étude de l'Institut de veille sanitaire soulignait également que les personnes transgenres étaient plus souvent confrontées que la moyenne à des pratiques à risques : MST, utilisation de drogues etc. Pourquoi une telle sur-représentation ?

A mon sens, ces conclusions sont globalement fausses. J'estime par contre qu'environ 10% de la population trans se prostitue. Mais c'est malheureusement en très grande majorité de la prostitution alimentaire issue de la misère économique liée à l'absence de travail et l'impossibilité d'en décrocher un. Et il existe encore des cas de mise à la rue par les parents d'enfants mineurs qui annoncent à leurs parents ce qu'ils sont, et leur volonté éventuelle de commencer un parcours de transition. Il y en a de moins en moins, mais nous en voyons encore. Et pour ces personnes vulnérables, quand elles n'ont aucune alternative, le recours à la prostitution est parfois leur seule solution.

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