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Pourquoi quelle que soit l’issue du cas grec, le mal pour l’Europe est fait
©REUTERS/Alkis Konstantinidis

Négociation de la mort

Même si les pays membres de la zone euro relâchent la pression sur la Grèce et trouvent avec elle un arrangement, l'image laissée par cette crise interminable risque de peser. En renvoyant l'idée d'une monnaie unique gérée de manière inflexible, avec une vision moraliste "à l'allemande", c'est une défiance durable qui s'est mise en place.

Francesco Saraceno

Francesco Saraceno

Francesco Saraceno est économiste senior au sein du département Innovation et concurrence de l'OFCE. Il est également signataire de la tribune : The economist warningVous pouvez le suivre sur son compte twitter : Francesco Saraceno.

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Atlantico : Après des années d'austérité, de prêts, de menaces, de compromis, le cas grec ne semble toujours pas réglé. Même s'il devait trouver finalement une résolution, n'est-on face au constat que sa gouvernance économique et politique est très défaillante pour mettre tant de temps à régler les problèmes ?

Francesco Saraceno : Toute cette histoire montre que l'inertie qui est presque chronique dans la gouvernance européenne fait des dégâts. L'Europe a un processus décisionnel trop long et trop compliqué, et qui dépend beaucoup de considérations idéologiques déconnectés des problèmes économiques. On est par exemple totalement à l'opposé de la manière dont les Etats-Unis agissent en cas de crise, alors que ce pays est pourtant lui aussi très polarisé au niveau politique. Cela ne les a pas empêché de mettre en place une réaction face aux troubles économiques qui a été beaucoup plus efficace que la notre.

On est bien au-delà de la mauvaise image, et les risques pour la zone euro sont réels. Imaginons qu'après la crise grecque, l'Italie, par exemple, soit elle aussi dans une situation très compliquée dans quatre ou cinq ans. Que peut-il se passer ? Les dirigeants italiens vont se dire qu'avec le mode de résolution de la crise par l'Europe, ils vont perdre 25% de leur PIB, subir une déflation énorme, se retrouver avec un investissement quasiment tombé à zéro, des universités et des hôpitaux qui ferment… alors autant sortir de l'euro plutôt que de risquer cela. L'incitation a rester dans l'euro après l'image renvoyée par le gestion de la crise grecque est catastrophique et les gouvernants européens l'ont complètement sous-estimé.

Il y a trois ans, en 2012, on a réussi à mettre en place des "pare-feu" efficaces pour éviter la contagion aux autres pays de la zone euro (la Grèce d'aujourd'hui ne met plus en péril directement l'Espagne ou le Portugal comme on le craignait auparavant), mais les gouvernements et les peuples ont beaucoup moins envie de jouer le jeu de l'euro. Et d'ailleurs si la Grèce sort de l'euro et que l'on constate qu'elle tient le coup malgré une période difficile (et si l'on voit également que cela coûte moins cher aux autres pays de renflouer les pertes de leurs banques en Grèce que de sauver financièrement la Grèce elle-même), je le redis, il n'y aura plus aucune incitation à se battre pour rester dans la zone euro au premier coup dur. 

La grande majorité du débat autour de la question grecque s'est surtout axé autour de la position allemande, de son poids, et de la manière dont elle structurait et clivait le débat, même quand des instances comme le FMI ou l'OCDE reconnaissaient qu'elle n'était pas efficace. Quel signal cela envoie-t-il de l'Europe ? Peut-on de l'extérieur la considérer comme autre chose qu'une zone sous influence allemande ? 

De façon presque naturelle, la crise a amené des pays à souffrir peu, voire à sortir gagnants, et d'autres bien entendu à perdre beaucoup. Et il se trouve que dans le cas de cette crise, le pays qui a le moins souffert est aussi le plus grand. Assez spontanément, c'est donc l'Allemagne qui tient les cartes et décide à quel jeu on joue. Et, en l'occurrence, ce qu'ils ont choisi de jouer a été un très mauvais choix : ils ont incarné une posture moraliste autour de l'idée que "ceux qui sont endettés doivent payer". Or, l'économie n'est pas une fable morale. Il n'y a pas de gentils et de méchants. Cette attitude moralisante a empêché un jugement objectif sur ce qui a entraîné la crise, et l'idéologie liée à la croissance tirée par les exportations s'est révélée inadaptée.

Tout cela doit changer. Mais l'expérience va rester gravée. Et on sait maintenant que l'on ne peut pas envisager une Europe qui soit tirée par un seul pays moteur. D'ailleurs, il n'y a pas que l'Allemagne qui est responsable, d'autres pays comme la France, n'ont rien dit de peur d'être à leur tour la cible des marchés. Dans tous les cas, cette lourdeur, cette pensée moraliste, même si elle devait s'estomper après la crise grecque, n'incite vraiment pas les pays qui n'en font pas encore partie à rejoindre l'union monétaire. Mais l'Union européenne restera attractive car c'est une zone d'échanges économiques bien intégrée et performante. En fait un pays qui intègre l'UE en gardant la liberté sur son taux de change a vraiment les moyens de tirer son épingle du jeu.   

Le cas grec ne montre-t-il pas finalement qu'il est quasiment impossible de sortir de l'euro et que tout est fait pour vous y maintenir même quand votre intérêt économique vous pousserait à vous en extraire ? Cela peut-il entraver l'extension de la zone euro ?

Non. Si la Grèce fait défaut de toute façon, elle sera poussée vers la sortie. Et si j'étais le dirigeant de la Pologne ou de la Roumanie ou de n'importe quel pays qui n'a pas la monnaie unique – et je parle en fédéraliste européen convaincu ! – je ne rentrerai jamais dans l'euro. La zone euro a en effet prouvé qu'elle n'est pas capable de gérer un problème aussi complexe qu'une crise de l'ampleur de la Grèce.

La Grèce, même avec un euro en baisse et des prix du pétrole bas, est retombée en récession. Le mal est-il définitivement fait pour ce pays ?

Je ne serai pas si pessimiste. Il existe effectivement des facteurs externes favorables, à savoir l'euro et le pétrole. Et dans le compromis que l'on cherche actuellement, on s'attend à ce que les créditeurs desserrent un peu l'étau. On parle en effet de passer à un surplus primaire – ce qui est exigé pour rembourser une partie des dettes – en dessous de 1% du PIB contre 4,5% actuellement, ce qui permettra de moins couper dans les dépenses sociales. Ce que la Grèce a d'ailleurs demandé dès le début et pour lequel elle était prête à faire des réformes. On va voir également si la ligne rouge dans la coupe sur les retraites va être franchie. Si ce n'est pas le cas la Grèce peut rebondir car le retour en récession est largement due à ce que l'Etat grec a dû ponctionné pour honorer au mieux ses remboursements.

Propos recueillis par Damien Durand

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