Moyen Âge chrétien : "Ce dont on ne veut pas dans le présent, on fait mine de l’effacer du passé. Un exemple parfait de mentalité magique"<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans la réforme des programmes qui se profile, l’étude du Moyen Âge chrétien deviendra un enseignement facultatif au collège.
Dans la réforme des programmes qui se profile, l’étude du Moyen Âge chrétien deviendra un enseignement facultatif au collège.
©Capture d'écran du site du Dailymail

Série : réforme des programmes

Après la publication du décret de réforme du collège et alors que la circulaire d’adaptation est encore en débat, Atlantico prend de la hauteur en revenant avec les quelques-uns des meilleurs spécialistes sur ce que peuvent nous apporter l’étude du Grec, du Latin, du Moyen-Âge et des Lumières. Aujourd’hui, entretien avec Rémi Brague.

Pauline de Préval

Pauline de Préval

Pauline de Préval est journaliste et réalisatrice. Auteure en janvier 2012 de Jeanne d’Arc, la sainteté casquée, aux éditions du Seuil, elle a publié en septembre 2015 Une saison au Thoronet, carnets spirituels.

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Rémi Brague

Rémi Brague

Membre de l'Institut, professeur de philosophie à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne et à la Ludwig-Maximilians-Universitat de Munich, Rémi Brague est l'auteur de nombreux essais dont Europe, la voie romaine (1992), la Sagesse du monde (1999), La Loi de Dieu (2005), Au moyen du Moyen Age (2008), le Propre de l'homme (2015) et Sur la religion (2018).

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Atlantico : Dans la réforme des programmes qui se profile, l’étude du moyen-âge chrétien deviendra un enseignement facultatif au collège. Quelle est votre réaction à la disparition programmée de cette période de notre histoire ?

Rémi Brague : Pour commencer, il ne faudrait pas se représenter la période médiévale avec des couleurs trop roses. Le contraire d’un mensonge, en l’occurrence celui des ténèbres qui auraient précédé les « Lumières », n’est pas un mensonge contraire, mais la vérité. Une vérité sobre, acquise peu à peu, toujours à corriger, bref, le travail des historiens de première main. La période médiévale n’était pas chrétienne de part en part. N’oublions pas qu’un chrétien est toujours un converti, dans l’immense majorité des cas à partir du paganisme. Et les survivances païennes ne manquaient pas au Moyen Age.

Le résultat pourrait être une ignorance voulue qui s’ajouterait à l’ignorance subie, laquelle est déjà considérable. Aujourd’hui, pour les gens qui font semblant de nous gouverner comme pour ceux qui font semblant de nous informer, l’histoire commence en 1968, pour les érudits les plus calés en 1929, et en tout cas il n’y avait rien avant 1789…

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Comment l’expliquez-vous ?

Par le même raisonnement idiot que celui qui a fait que le gouvernement français a naguère refusé, dans le projet de constitution européenne, que mention fût faite de l’héritage judéo-chrétien de notre civilisation. Ce dont on ne veut pas dans le présent, on fait mine de l’effacer du passé d’un coup de gomme. C’est un exemple parfait de mentalité magique. 

La France, tout en rejetant son héritage chrétien, en aurait-elle conservé la propension à culpabiliser ?

Le christianisme n’a aucune propension à culpabiliser ; s’il le fait, c’est uniquement dans ses perversions. De nos jours, le rejet de l’héritage chrétien va de pair avec une formidable montée de la culpabilité. Le christianisme représente au contraire une formidable machine à déculpabiliser ; il est une religion du pardon. Certes, il prend le péché au sérieux, comme une blessure qui paralyse la liberté humaine et que, en conséquence, on ne peut pas traiter en se contentant d’effacer l’ardoise. Dieu respecte la décision de la liberté humaine, même lorsqu’elle va contre lui, et il monte tout un dispositif (ce que les théologiens appellent « économie du salut ») pour retourner du dedans cette liberté malade. Cela passe par l’alliance de Dieu avec l’homme, qui culmine dans l’union des deux natures, humaine et divine, dans la personne du Christ.

Ce qui nous tue en ce moment, c’est une sorte de confession doublement perverse. D’une part, parce que nous y accusons, non pas nous-mêmes, mais nos ancêtres, voire des monstres anonymes comme « la société » ou « le système ». D’autre part parce que l’aveu des péchés n’y débouche sur aucune absolution. Nous restons avec sur le dos les fautes, réelles ou non, de nos ancêtres. Rien d’étonnant à ce que cela nous écrase et nous paralyse.

Nous sommes loin de Bernard de Chartres disant au XIIème siècle : « Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux. » Que devons-nous aux hommes de ce temps ?

La liste est assez courte, mais elle comporte des progrès énormes. Pour commencer par le plus visible, c’est au Moyen Age que l’on a construit les cathédrales. Tout aussi concrètement, le Moyen Age est l’époque des grands défrichements qui ont formé le paysage actuel de la France et d’une bonne partie de l’Europe. C’est celle des grandes améliorations des techniques agricoles (collier de poitrail pour les chevaux de labour, charrue à versoir, assolement triennal) qui ont permis l’accroissement de la population. C’est celle des grandes inventions nautiques (boussole, gouvernail d’étambot), reçues de la Chine et passées par le monde arabe qui ont permis la découverte de l’Amérique. En exagérant un peu, on pourrait dire que nous vivons encore sur un capital médiéval.

Qu’ont-ils encore à nous apprendre ?

Je mentionnerai une seule chose, qui peut être de la plus brûlante actualité : l’articulation heureuse des deux idées de Nature et de Création par Dieu, à savoir de l’idée qui rend possible la philosophie, et avec elle la science, et de l’idée fondamentale de la religion. Un Dieu qui crée une nature qui a ses lois propres et dans laquelle il n’intervient que de façon exceptionnelle, lorsque c’est strictement nécessaire. Les auteurs de ladite Ecole de Chartres, au xiie siècle exprimaient cela à travers l’image de la Nature comme « vicaire général » de Dieu. L’idée, sans l’image, rend possible la grande scolastique d’un Thomas d’Aquin. Nous avons aujourd’hui un urgent besoin de trouver une nouvelle combinaison de ces deux idées : une nature stable et autonome, et du coup la physique (et la technique) qu’elle rend possible ; un monde voulu par un Dieu bienveillant, dans lequel nous ne sommes pas simplement jetés, mais dont nous sommes les enfants légitimes.   

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