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Marseille sous perfusion gouvernementale mais l’argent est-il vraiment la clé des problèmes de la cité phocéenne
©Reuters

Valls des millions

Manuel Valls s'est déplacé vendredi 29 mai à Marseille où il a dévoilé le détail des 1.6 milliards d'euros alloués au développement de la métropole Aix-Marseille. Pourtant, ce n'est pas le premier plan de soutien financier à la cité phocéenne, sans amélioration perceptible de la situation.

Thierry Get

Thierry Get

Thierry Get est ingénieur. Il est membre du bureau politique de La Droite libre et du CNIP. Son groupe sur Facebook ici

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : En quoi ce type d'approche par seule injection de fonds publics est-elle inadaptée aux problèmes des marseillais ? 

Gérald Pandelon : La réponse à la spécificité marseillaise devrait être moins d’ordre financier qu’articulée à une réflexion sur ce qui constitue la culture locale, son communautarisme rampant, donc également le cultuel, autrement dit une réelle réflexion de fond. Tout élève de première année de sociologie ou de sciences politiques apprend que la partie émergée, donc visible, d’un iceberg  est largement inférieure à sa partie immergée, invisible, celle du pouvoir. Que, par conséquent, la nature même du pouvoir est de fonctionner au non-dit, c’est même la condition de son efficacité, car le secret renforce le lien ;  un pouvoir paradoxalement secret pourtant car la République est étymologiquement la chose visible, res publica. 

Je crois, en effet, que cette aide financière importante ne résoudra, comme bien souvent, pas grand-chose. Ce n’est effectivement pas la première fois qu’un soutien financier est accordé à la cité phocéenne sans amélioration perceptible. Pourtant, avec un investissement de moindre ampleur, il serait possible de pénétrer au sein des quartiers "sensibles" de cette ville pour juguler ou tenter, à tout le moins, de juguler les divers trafics de stupéfiants. On peut donc légitimement aujourd’hui se poser la question de savoir pourquoi de telles mesures ne sont quasiment jamais envisagées. D’ailleurs, c’est une socialiste, la courageuse Samia Ghali, sénatrice des Bouches-du-Rhône, qui avait préconisée l’année dernière une intervention de l’armée pour mettre fin à ces zones de non-droit. 

À ce propos, il n’est pas totalement exclu de penser que les gouvernants successifs n’aient aucun intérêt stratégique à voir endiguer ces réseaux, ne serait-ce que parce qu’ils ne souhaiteraient  pas que cette délinquance non seulement se déplace géographiquement vers le centre-ville mais également qu’elle opère une mutation. En effet, si les réseaux de trafics de stupéfiants étaient démantelés, le risque serait réel que les atteintes aux biens et aux personnes augmentent alors que ce type de délinquance a plutôt tendance à légèrement diminuer depuis quelques mois. En outre, et surtout, ladite mutation risquerait d’être néfaste pour l’avenir politique de celles et ceux qui en seraient à l’origine.  Autrement dit, le trafic de stupéfiants spatialement bien délimité (dans les quartiers Nord de la ville) est l’allié objectif des gouvernants en quête de conservation du pouvoir, par conséquent de légitimation. 

Thierry Get : Je note que vous évoquez la future métropole Aix-Marseille dans votre question. Six intercommunalités existantes, qui rassemblent les 92 communes, sont incitées à se regrouper au sein d'une seule. Ce projet montre qu’une part des mesures apportées par le gouvernement  n’est pas seulement financière puisque la mise en place prévue pour 2016 de la métropole Aix Marseille est censée répondre au déficit de gouvernance globale entre Marseille et les 92 communes à proximité. Il y a, par exemple, dix autorités organisatrices de transport dans le secteur. Elles n'ont même pas réussi à mettre en place un billet unique. Cela ne facilite pas le développement des transports en commune de la zone.

Mais en fait, la plupart des entités devant composer cette future métropole contestent ce projet. En effet, elles ne veulent pas hériter des problèmes de Marseille et ne pas céder leurs ressources  pour résoudre les problèmes de Marseille. Ce financement massif par l’Etat a pour objectif de leur faire « avaler la pilule ». Et ce d’autant que les évolutions démographiques à venir de la cité phocéenne conduisent à anticiper une aggravation des problèmes actuels.

Quelles ont été les différentes approches de la part des pouvoirs publics jusqu'à aujourd'hui ? Y a-t-il eu prise en compte des résultats précédents ? 

Gérald Pandelon : Pour simplifier, on peut avancer que les pouvoirs publics considèrent, à tort, qu’il suffit de donner un travail à un individu pour que son penchant pour la délinquance baisse. C’est essentiellement à partir de cette problématique que se sont structurées les différentes approches depuis plus de 20 ans. Cette même vision est encore à l’œuvre aujourd’hui en dépit de son échec patent. 

Pourtant, non seulement le fait de dispenser une activité professionnelle à un délinquant ne constitue pas le sésame absolu permettant sa conversion définitive (tous les juges d’application des peines de France savent que le taux de récidive reste important même parmi les personnes disposant d’un travail, d’une famille, etc), mais cela permet également de détourner le regard donc de ne pas affronter la réalité. Car la vérité, manifestement indicible, c’est que les seules mesures urgentes à prendre risqueraient de conduire à une situation de chaos encore plus important que celui qui prévaut  aujourd’hui, peut-être même à l’embrasement de la ville, en toutes hypothèses, à une forte déstabilisation  de la cité phocéenne. Le scénario de guerre civile entre les forces de l’ordre et celles et ceux qui, par idéologie ou intérêt, se rangeraient du côté des voyous n’est pas davantage à exclure. Il est donc urgent, pour nos édiles locaux, de ne rien faire, tout en laissant croire que l’on fait beaucoup. Au fond, cette posture a un nom, la politique politicienne.

Les fonds apportés par Manuel Valls serviront notamment à des aménagements urbains, des transports publics, et de la construction de logements sociaux. N'y a-t-il pas une contradiction entre le fait de continuer d'alimenter une telle ville de fonds publics alors que de la part de plusieurs observateurs tels que Xavier Raufer, criminologue, le vrai problème de Marseille "'est une monumentale corruption" ? Qu'en est-il réellement ?

Gérald Pandelon : Xavier Raufer a raison de considérer que l’un des problèmes récurrents de la cité phocéenne réside dans son niveau de corruption. En même temps, j’observe que l’électeur marseillais a pleinement conscience de ce mal endémique qui ronge sa ville, mais qu’invariablement il continue pourtant à voter pour ceux-là mêmes dont il pense le plus grand mal. De deux choses l’une, soit l’offre politique est insuffisante ou de mauvaise qualité, et, au fond, on vote pour ceux qui se présentent aux élections ("on fait avec ce qu’on a"), le choix n’étant pas suffisamment diversifié, soit l’électeur marseillais continue volontairement à voter, en pleine connaissance de cause, pour des élus qu’il sait corrompus et alors il se fait le complice de ses élus. Quoi qu’il en soit, il existe effectivement une contradiction entre le fait de continuer à alimenter la cité phocéenne en fonds publics alors que par ailleurs on l’estime hautement corrompue. 

En réalité, il convient surtout de donner le sentiment d’une réaction ferme face à une situation dont on sait pertinemment qu’elle est insoluble car on ne peut pas avouer qu’on ne la maîtrise pas.  En effet, je crois que les choses ne pourront pas changer facilement ;  en toutes hypothèses, il faudra du temps, car fondamentalement la question de la corruption des décideurs publics locaux n’intéresse  pas les marseillais qui, ce qui est compréhensible, sont davantage préoccupés par leurs problèmes quotidiens. Je rajoute que Marseille ne détient pas le monopole de cette corruption politique qui touche bien d’autres villes européennes. 

Thierry Get : Effectivement, la corruption est présente et amortira les effets des dépenses publiques. Je pense tout de même que les principaux problèmes de Marseille sont les défaillances de la gouvernance de la métropole et surtout l’insécurité et l’image générée par la violence auprès des investisseurs et des différents acteurs.

A cet égard, il est révélateur de noter qu’une part des fonds alloués par l’Etat (1 million d’euros) sera consacré à améliorer la sécurité de l’Hôpital du nord de Marseille suite à plusieurs pics de violence ces dernières années. 

Comme si le respect et la sécurité d’un hôpital n’allait plus de soi. Qui aurait imaginé il y a seulement 30 ans qu’il faille sécuriser à ce point un hôpital ?

Certaines valeurs universelles ne sont plus respectées par une partie de la population. Le fait que les autorités rappelle sans cesse au « vivre ensemble » montre finalement que ce dernier n’est plus de mise. A titre d’illustration, les ministres de Georges Pompidou n’évoquaient jamais le « vivre ensemble ». Nul besoin, cela paraissait évident.

 Enfin, consacrer des fonds supplémentaires à la construction de toujours plus de logements sociaux, appels d’air à l’immigration, est une erreur.  Il conviendrait plutôt de les consacrer par exemple à l’aide personnalisée au logement, de supprimer, à l’échelle nationale, les quotas de logements sociaux, de détruire toujours plus d’anciennes barres d’HLM ou de les céder à des prix modiques. Cette politique conduirait à plus de responsabilisation et à moins de trappes à pauvreté.

N'est-il pas également troublant de constater que l'Etat s'occupe d'une grande métropole, alors que la paupérisation ne se trouve pas exclusivement dans les territoires urbains ? 

Gérald Pandelon : Il ne vous aura pas échappé que Marseille est considérée comme la seconde ville de France et que les enjeux de pouvoir y sont plus importants qu’ailleurs, excepté la capitale qui les concentre. En même temps, la cité phocéenne demeure une ville pauvre. En effet, le taux de pauvreté (pourcentage des ménages percevant moins de 60 % du revenu médian, soit 977 euros par mois) se situe à 43 et 44 % dans les 1 er et 2 e arrondissements. Mais c’est dans le 3 e que le taux de pauvreté bat tous les records : 55 %. Ce qui en fait le quartier le plus pauvre de France. Seule lueur d’espoir, la renaissance de certains quartiers, notamment le 2 e, grâce à l’action d’Euromed ; mais selon ses habitants, il n’est pas certain que la mixité puisse fonctionner. 

En d’autres termes, si l’effort financier des pouvoirs publics en direction de Marseille va dans le bon sens, il faut espérer qu’il permette, tôt ou tard, de s’attaquer aux racines du mal, c’est-à-dire a une forme de duplicité générale face, précisément, à ce mal.

Thierry Get : Bien sûr, la paupérisation est largement présente ailleurs et est encore plus cruelle en dehors des métropoles. Ces mesures portent aussi, bien sûr, un objectif « politicien ». Le gouvernement, dans la lignée des recommandations de Terra Nova, laboratoire d'idées proche de la gauche, a tiré un trait sur son ancien électorat traditionnel (ouvriers ou employés) dont une grande part vit dans des zones périurbaines. Quant à l’électorat paysan, en forte diminution, il n’a jamais voté à gauche.

Les socialistes ont pour but de «remotiver» l’électorat des métropoles favorable à la gauche et notamment celui « issu de la diversité » (très présent à Marseille) qui s’est abstenu fortement aux dernières élections et ce alors qu’un sondage OpinionWay et Fiducial cité dans le Figaro du 17 mars 2013, montre que 93% des musulmans pratiquants avaient glissé un bulletin «François Hollande» aux élections présidentielles de 2012.

Ces mesures pour Marseille coïncident avec l’appel du 5 mai 2015 d’Arabie Saoudite de François Hollande suite aux déclarations de R.Ménard Maire de Béziers, avec le projet du vote obligatoire qui aurait l’avantage de pousser à la participation des banlieues, à la déclaration du ministre de l’intérieur B. Cazeneuve sur le fait qu’il y aura autant de mosquées que nécessaire (le doublement a été évoqué) et que depuis 2015, le terme contesté « islamophobie »  commence à apparaître dans les discours officiels.

Toutes ces initiatives vont dans le même sens : remobiliser une grande partie des abstentionnistes de l’électorat du parti socialiste.

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