La menace nucléaire des califoutraques de l’Etat islamique est-elle crédible ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Daech pourrait être prêt, d'ici un an, à acquérir une arme atomique en passant par le Pakistan.
Daech pourrait être prêt, d'ici un an, à acquérir une arme atomique en passant par le Pakistan.
©Reuters

Abu Bakr al-Badaboum

Dans le numéro 9 de son magazine de propagande anglophone "Dabiq", l'Etat islamique publie un article dithyrambique concernant son organisation. On peut y lire que Daech pourrait être prêt, d'ici un an, à acquérir une arme atomique en passant par le Pakistan. Mais le groupe terroriste semble prendre ses rêves pour des réalités.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Dans un article de son magazine de propagande, l'organisation Etat islamique affirme être en mesure de récupérer une bombe atomique pakistanaise. Cela vous semble-t-il crédible ?

Alain Rodier : Tout d'abord, l'annonce par l'EI, à travers son magazine DABIQ n°9, de son désir d'acquérir une arme nucléaire n'apparait que dans les dernières pages de la revue en ligne. Cela tend à démontrer que nous sommes là dans un sujet de rhétorique auquel Daech n'accorde, pour l'instant, qu'une importance secondaire. Si on lit bien ce qui est écrit (et il convient de toujours prendre avec sérieux les publications de Daech qui dit ce qu'il fait et qui fait ce qu'il dit), l'option retenue est très vague. L'EI souhaite acheter une arme nucléaire sur le marché parallèle pakistanais avec la complicité d'officiels corrompus. Certes, ces derniers ne manquent pas mais ils n'ont certainement pas accès aux armes nucléaires pakistanaises qui sont gardées comme les "joyaux de la couronne". Le plan de Daech est ensuite exposé : amener clandestinement cette arme atomique en Libye puis au Sud du Nigeria. De là, en utilisant dans l'autre sens les routes du trafic de cocaïne qui provient d'Amérique latine (routes qui existent bien), transférer le "joujou" sur le continent sud-américain. Là, la "bête" sera acheminée clandestinement en Amérique centrale puis au Mexique. Elle passera ensuite aux États-Unis via un des nombreux tunnels qui servent aux trafics de drogue et de migrants clandestins vers les USA (ces tunnels sont une réalité, gérés par les cartels mexicains). La suite n'est pas détaillée mais il est légitime de supposer que cette arme devrait être convoyée dans une ville américaine où les activistes la feraient exploser. Beau roman déjà écrit à de multiples reprises dans le passé.

En dehors du fait qu'il est impossible à 99,99% d'acheter une arme nucléaire au Pakistan, il faudrait ensuite convoyer cette "pièce" qui pèse plusieurs centaines de kilos à travers le continent africain, puis par mer (ou par les airs) vers l'Amérique latine pour ensuite traverser ce continent jusqu'en Amérique du Nord. Cela devrait se réaliser sans attirer l'attention de tous les services de renseignement et de police qui sont à l'affut de ce type de trafic. Certes les cartels mexicains et autres Maras (groupes criminels sud-américains présents sur l'ensemble du continent américain) sont prêts à tout pour faire de l'argent, mais je doute qu'ils aient une grande sympathie pour les islamistes radicaux de Daech (même si ce n'est pas une question de religion puisque le Hezbollah libanais a su, depuis des années, se faire accepter dans la zone). Les sicarios (tueurs) latino-américains sont sans pitié, mais ils affichent leur appartenance à la chrétienté d'une manière ostensible (et quelque part gênante sur le plan de la morale). Les décapités (spécialité également mexicaine) risquent de changer de camp si des activistes de Daech commencent à écumer la région.  

Enfin, il y a un côté technique incontournable: même si Daech obtient une arme atomique, encore faut-il être capable de la mettre en œuvre. Les multiples sécurités et codes en vigueur rendent l'exercice impossible. Si Ben Laden avait une bibliographie importante à Abbottabad, al-Baghdadi pour sa part, a trop lu Tom Clancy.  

Dans son article, l'EI admet tout de même qu'il s'agit d'une hypothèse de long-terme. Par contre Daech affirme vouloir acquérir d'autres armes de destruction massive. Par exemple quelques tonnes de nitrate d'ammonium. L'organisation a-t-elle aujourd'hui les moyens d'entrer en possession de telles armes ? Que lui manque-t-il ?

Le nitrate d'ammonium, ce n'est pas une arme de destruction massive. C'est un produit chimique civil qui permet de produire un explosif puissant. Il est fréquemment employé par les terroristes. C'est donc possible. Les fameuses archives saisies à Abbottabad démontrent qu'Al-Qaida "canal historique" qui a une certaine avance dans le domaine du terrorisme international sur Daech, avouait son incapacité à développer des armes de destruction massive, Radiologiques, Nucléaires, Bactériologiques ou Chimiques (RNBC) et qu'il était conseillé aux aspirants au suicide de concentrer sur les fondamentaux: les armes blanches et à feu, voire, pour les plus savants, les engins explosifs improvisés. Même en Irak, les terroristes sont revenus du piégeage de citernes de gaz qui ne faisaient pas plus de dégâts que les explosifs classiques. C'était un investissement coûteux pour une rentabilité relative!

S'il y a bien quelque chose qui ne manque pas, c'est l'argent. Par ses différents trafics (pétrole, antiquités etc), Daech s'est rendu riche. On sait que dès les années 90, la région (Moyen-Orient, Pakistan etc) a connu le marché noir d'armes soviétiques. Peut-on penser que l'Etat islamique puisse, illégalement, acquérir ce type d'arme ?

Tous les services secrets ont pourchassé les armes de destruction massive depuis l'effondrement du Pacte de Varsovie. C'était une véritable lubie tant la crainte de leur prolifération était immense au sein des différents responsables politiques et militaires. Résultat : quasi rien en dehors de l'arrestation de quelques trafiquants qui étaient majoritairement des escrocs qui vendaient du "mercure rouge" ou autres babioles aux appellations scientifiques douteuses. D'ailleurs, les Iraniens ont été les premières victimes de ses escrocs. Leurs services cherchaient à se procurer ce qui était nécessaire pour construire une "bombe nationale". Ils n'ont pas apprécié être roulés dans la farine et certains vendeurs ont alors connu des fins tragiques... Les pasdaran n'aiment pas que l'on se moque d'eux et surtout, que des individus partent avec une avance financière qui se révèle improductive.

L'Etat islamique pourrait-il devenir dangereux en utilisant le nucléaire militaire ou civil d'un autre pays ? Par exemple lors d'une invasion ou d'un acte terroriste ?

La seule collaboration qui me parait possible réside dans un accord entre Daech et le doux-dingue qui dirige la Corée du Nord. Je suppose que les voyageurs se rendant dans ce pays idyllique font l'objet de toutes les attentions des services secrets, chinois en première ligne, car Pékin craint également pour sa sécurité dans le domaine du terrorisme d'origine islamique.

Parallèlement, le calife al-Baghdadi a appelé tous les sympathisants étrangers de Daech dans les pays occidentaux à agir, "comme ils le pouvaient". Si dans sa propagande Daech cherche à se grossir, la vraie arme de l'Etat islamique n'est-elle finalement pas celle "des moyens du bord" ?

Malheureusement oui. Les actes isolés ne sont pas à exclure dans l'avenir. Je pense surtout aux aspirants au djihad qui ne parviennent pas à quitter leur mère patrie et qui décident de passer à l'action à domicile comme cela leur est demandé par Daech. Les armes légères et blanches ne manquent pas et la haine dirigée contre la société bisounours se développe. Certains sont certainement tentés de passer à l'acte pour sortir de leur anonymat encouragés en cela par les prêcheurs salafistes-djihadistes qui sont de plus en plus influents au sein de la communauté musulmane. Les autorités religieuses officielles n'y peuvent plus grand chose puisqu'elles ne sont pas reconnues (et encore moins écoutées) par les radicaux. Ce sont en effet ces derniers qui sont persuadés de détenir la "vérité".

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