Comment François Rebsamen a été obligé de détricoter son projet après l’épisode Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre du Travail a dû revoir sa copie.
Le ministre du Travail a dû revoir sa copie.
©Reuters

49.3 et coquille vide

Déjà utilisé pour la loi Macron, l’article 49.3 ne peut être dégainé une nouvelle fois. François Rebsamen a donc dû affiner son texte sur le dialogue social discuté cette semaine à l’Assemblée afin de ne déplaire à personne, et surtout pas aux Frondeurs.

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Sa fourchette est restée en suspens quelques instants, bloquée là, entre l’assiette et la bouche. En silence, le ministre a cherché du regard sa conseillère, assise à l’autre bout de la table. A peine a-t-il pali alors que, sur la pointe des pieds, le messager quittait la salle. Puis il a lancé, mystérieux : "Si c’est ce que je crois, ça change tous nos plans" ! Ce mardi 17 février, le ministre du Travail vient d’apprendre qu’il est convoqué à un conseil des ministres extraordinaire. But de la manœuvre : autoriser Manuel Valls à engager la responsabilité du gouvernement afin de faire passer la loi Macron. Or l’article 49.3, à moins de concerner le même texte, ne peut être utilisé qu’une seule fois par session parlementaire, ce qui n’a pas échappé à ce fin connaisseur de la vie parlementaire qu’est François Rebsamen.

L’arme nucléaire qui permet de se passer de vote pour faire adopter une loi vient de lui échapper, du moins pour la première lecture à l’Assemblée. Le texte sur le dialogue social, que François Rebsamen imaginait ambitieux et pas forcément du goût des frondeurs, devra convaincre à droite comme à gauche. Depuis ce 17 février fatidique, le ministre et ses équipes se sont donc employés à le détricoter afin de lever les points de crispation et satisfaire tout le monde, les entreprises et la gauche du PS, la droite et les syndicats…  Et le ministre a beau fanfaronner dans Le Monde du week-end : "Je ne suis pas opposé au recours au 49-3", afin d’entretenir encore quelques instants d’illusion d’un débat houleux sur un texte d’importance, il sait que son projet de loi ne fâchera personne. A droite, la semaine dernière, on parlait de "robinet d’eau tiède" alors qu’un frondeur expliquait : "Rebs a déminé en amont, sur les seuils sociaux, c’est gentillet".

Les seuils sociaux à partir desquels les entreprises sont obligées d’avoir des instances représentatives du personnel étaient, en effet,  l’un des pierres d’achoppement entre François Rebsamen, l’aile gauche du PS et les syndicats. Conscient des risques de blocages, le ministre a lui-même avoué : " Le seuil de 50 salariés est un frein à l’évolution des entreprises, mais comme les syndicats ne voulaient pas les supprimer, j’ai rangé ma proposition".

Même chose sur le contrat de travail unique. Alors qu’en octobre, Manuel Valls expliquait : "Le fonctionnement du marché du travail n'est pas satisfaisant car il ne crée pas assez d'emplois, il génère des inégalités importantes entre, d'une part, des salariés très protégés en CDI et, d'autre part, des salariés très précaires en CDD et en intérim" et que François Hollande demandait, en mars, à son ministre de réfléchir à un contrat intermédiaire, il ne fera pas parti du nouveau projet de loi.

Projet de loi qui devrait, en outre, permettre aux très petites entreprises (TPE, moins de 11 salariés), de bénéficier des représentants du personnel grâce à la création de commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Les membres de ces commissions, appelés médiateurs, pourraient avoir accès aux locaux des entreprises sur autorisation de l’employeur. Ces mêmes commissions pourront jouer un rôle de médiation entre les employeurs et les salariés afin d’éviter les conflits individuels ou collectifs. Une véritable avancée pour le ministre alors que les petits patrons craignent une remise en cause du dialogue direct entre le chef d’entreprise et ses salariés.

La commission des affaires sociales de l’Assemblée a, elle aussi, travaillé et adopté un amendement qui obligera désormais toutes les entreprises de plus de 5000 salariés en France a accueillir un ou deux représentants du personnel lors de leur Conseil d’administration. La gauche du PS aimerait abaisser ce seuil à 1000 par voie d’amendement.

Mais il ne s’agissait pas, pour François Rebsamen, de ne donner des gages qu’à son aile gauche, loin de là. Les patrons et la droite devaient, eux aussi, y trouver quelques bénéfices. Principale satisfaction pour la droite : le compte pénibilité sera remanié. Sur les 10 critères qui permettent de déterminer la pénibilité, seuls trois sont aujourd’hui pris en compte (le travail en équipe alternante, le travail de nuit et le travail en milieu hyperbar), les 7 autres ne le seront pas avant janvier 2016, a annoncé hier Manuel Valls et ne seront pas personnalisé, mais définis, de façon fixe, par branche professionnelle. Un recul qui ne satisfait qu’à moitié le Medef qui souhaiterait une remise à plat pure et simple du compte pénibilité. Mais impossible pour le gouvernement d’aller plus loin et d’abandonner ce marqueur de gauche inclus dans la loi Touraine sur les retraites et âprement négocié avec la CFDT.

Autre geste en faveur du patronat, la suppression du caractère obligatoire du CV anonyme. Jamais appliquée faute de décrets d'application, la loi de 2006 généralisant le CV anonyme dans les entreprises de plus de 50 salariés "sera abrogée", a annoncé mardi François Rebsamen.

Enfin, la réforme prévoit aussi d'élargir la possibilité de recourir à la délégation unique du personnel (DUP) à toutes les entreprises de moins de 300 salariés. Ce dispositif permet de regrouper les instances : délégué du personnel, Comité d'entreprise et Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Les entreprises de plus de 300 salariés pourront aussi y recourir via des accords majoritaires.

Reste malgré tout deux points litigieux : l’un porte sur la prime d’activité. A compter du 1er janvier 2016, elle remplacera la prime pour l'emploi (PPE) et le volet "activité" du revenu de solidarité active (RSA). Elle sera ouverte aux jeunes actifs à partir de 18 ans. Son accès a été élargi en commission à certains étudiants et apprentis mais, pour 13 organisations, cette prime reste "discriminatoire".

Le second concerne l’amendement défendu par Benoit Hamon sur la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle. Cette reconnaissance permettrait d’en basculer le coût sur la branche "accident du travail et maladie professionnelle", financée essentiellement par les cotisations patronales alors qu’elle est aujourd’hui à la charge de l’assurance maladie. Et c’est bien le but des députés à l’origine de l’amendement qui, en décembre dernier, expliquaient que le financement du burn-out devait être imputé à "ceux qui en sont responsables, c'est-à-dire aux employeurs". Reste à savoir si les députés de la majorité iront dans le sens du chef de file des frondeurs afin d’apaiser les tensions, à la veille du congrès du PS mais  au risque d’entamer un nouveau bras de fer avec le patronat. Où s’ils préfèreront, repoussant l’amendement, prendre le risque de ne pas trouver de majorité pour voter le projet de loi. Les frondeurs pourraient, en effet, conditionner leur vote à l’adoption de cet ajout. Or sans les frondeurs et sans 49.3 point de salut. A moins de se résoudre à faire adopter ce texte par des voix… de droite.

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