Superhumain : le scientifique qui pensait que les riches allaient accoucher d’une nouvelle espèce d’homme <!-- --> | Atlantico.fr
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Nous devenons, sans en être conscients, des transhumains, c’est-­à-­dire des hommes et des femmes technologiquement modifiés.
Nous devenons, sans en être conscients, des transhumains, c’est-­à-­dire des hommes et des femmes technologiquement modifiés.
©Reuters

Mutation blinbling

Un chercheur israélien a récemment affirmé que des cyborgs devraient voir le jour d'ici 200 ans chez les plus riches grâce aux innovations médicales et technologiques.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico. Très récemment, Yuval Harari de la Hebrew University of Jerusalem, a affirmé que d’ici 200 ans, les plus riches seront en mesure de se transformer en "semi cyborg", les humains étant éternellement insatisfaits. Il s'appuit sur le fait que le progrès technologique nous fera changer à tel point, que dans 200 ans, les hommes seront aussi différents de ceux d’aujourd’hui que nous sommes différents des chimpanzés. Est-ce vraiment réaliste ?

Laurent Alexandre : On peut raisonnablement penser que l'homme de 2200 n'aura plus grand chose à voir avec nous. La vitesse à laquelle nous acceptons les prothèses, les biothérapies fait penser que nous allons devenir des transhumains c'est-à-dire des hommes et femmes modifiés par la technologie NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et cognitique).

Quelles seront les conséquences pour les personnes n’ayant pas les moyens de s’offrir ces "améliorations" ? Faut-il s’attendre à la naissance d’une classe de citoyens de "seconde zone" qui seraient tout simplement moins performants ?A quel point faut-il s’attendre à une généralisation de ce phénomène ? Parle-t-on ici de quelques personnes particulièrement fortunées ou bien d’une des populations aisées en général ?

Laurent Alexandre : Le coût des technologies NBIC baisse très rapidement. Ainsi, le coût du séquençage ADN a été divisé par 3 millions en 10 ans et celui des enzymes permettant de modifier l’ADN par 10.000 en 7 ans. Le problème ne sera pas économique mais moral et philosophique : jusqu’ou doit-on modifier l’humanité pour moins souffrir, moins vieillir et moins mourir. Les techniques permettant de modifier génétiquement l’embryon humain seront opérationnelles dans dix à quinze ans. Nous devons réfléchir à l’immense pouvoir dont nous allons disposer sur notre identité génétique. Pourra-t-on empêcher les parents de concevoir des "bébés à la carte" à partir de 2030 quand la technologie sera au point ?

N’est-ce pas le rôle de l’éthique médicale d’empêcher une telle utilisation des progrès de la médecine et de la technologie ? Comment peut-on limiter le post-humanisme ?

Laurent Alexandre : En théorie, oui. Mais l’opinion est profondément transhumaniste ! La manipulation technologique de l’homme a déjà bien commencé avec l’accord de la population. Une Suédoise de 36 ans née sans utérus a accouché, en septembre 2014, d’un petit garçon. Elle a bénéficié d’une greffe de l’utérus d’une amie de 61 ans, ménopausée depuis plusieurs années. Le Parlement britannique s’apprête à autoriser les bébés ayant trois parents génétiques (deux mères et un père), pour combattre les maladies liées à certaines anomalies cellulaires. En mai 2014, l’administration américaine a autorisé les implantations de bras bioniques directement branchés sur les nerfs des amputés. Le 18 décembre 2013, le cœur artificiel électronique autonome "Carmat" était implanté sur un patient en insuffisance cardiaque terminale : le premier homme­cyborg était applaudi par la société française. En septembre 2013, l’équipe du professeur José­Alain Sahel implantait une rétine artificielle, "Pixium Vision", à une patiente aveugle qui a recouvré ainsi une vision partielle.

Les technologies de bricolage du vivant  sont de plus en plus spectaculaires et transgressives mais la société les accepte avec une facilité croissante : l’humanité est lancée sur un toboggan transgressif. Nous devenons, sans en être conscients, des transhumains, c’est-­à-­dire des hommes et des femmes technologiquement modifiés. D’ici 2030, des chocs biotechnologiques encore plus spectaculaires vont secouer la société : régénération des organes par les cellules souches, thérapies géniques, implants cérébraux, techniques antivieillissement, design génétique, fabrication d’ovules à partir de cellules de peau...

Je pense que la société va accepter le posthumanisme et s’asseoir sur nos principes moraux traditionnels.

La technologie a-t-elle chassée le fatalisme dans lequel les principales religions nous maintenaient jusqu’ici ? La mort va-t-elle devenir un simple problème technique ? 

Laurent Alexandre : C’est le pari des dirigeants de Google qui a annoncé, en 2013, la création de Calico, qui poursuit le but d’allonger significativement la durée de vie humaine. De grandes ambitions nourrissent cette filiale de Google, qui vise le long terme – dix à vingt ans – et compte explorer des voies technologiques innovantes jamais envisagées pour retarder puis "tuer" la mort.

Cette création n’est pas le premier pas de Google dans la biologie, puisque sa filiale 23andMe est spécialisée dans le séquençage ADN. La naissance de Calico 
est lourde de conséquences pour le monde de la santé. Si Google investit dans la lutte contre le vieillissement, c’est bien parce que la médecine repose de plus en plus sur les technologies de l’information. Comprendre notre fonctionnement biologique suppose la manipulation d’immenses quantités de données : le séquençage ADN d’un individu représente par exemple 10 000 milliards d’informations. Google pense être en mesure de domestiquer ce déluge de données indispensable pour lutter de façon personnalisée contre la maladie et le vieillissement.

Dépasser les limites actuelles de l’espérance de vie humaine suppose de modifier notre nature par des interventions technologiques lourdes en utilisant tout le potentiel des NBIC. La fusion de la biologie et des nanotechnologies donne à l’humanité un immense pouvoir.

Reste que cette accélération des sciences de la vie est porteuse d’interrogations philosophiques et politiques vertigineuses. Jusqu’où pouvons-nous modifier notre nature biologique, notre ADN, pour faire reculer la mort ? Faut-il suivre les transhumanistes, qui comptent des leaders parmi les dirigeants de Google et prônent une modification illimitée de l’homme pour combattre la mort ? Faut il banaliser complètement notre corps ? Nos enfants devront trancher cette question dans les décennies qui viennent.

Quid d’aujourd’hui, ce phénomène n’est-il pas déjà présent ? On pense notamment aux prothèses audio qui ne sont pas remboursées par la sécurité sociale et donc réservées aux plus riches...

Frédéric Bizard : C’est un phénomène déjà présent. Le périmètre d’intervention du financement publique, principalement des dépenses de santé est une question autant politique que financière. Les pouvoirs publics décident du palier du soin puisque c’est l’état qui décide de ce que l’on rembourse ou pas. Il le fait mal, mais il le fait quand même. Il y a une décision politique -et cela se retrouve pour tous les pays- pour savoir ce qui devrait être financé par la collectivité pour la collectivité. Jusqu’à aujourd’hui on remboursait tout, mais on arrive à la limite de ce système. Les Anglais sont tranchés dans leur raisonnement de ce qui doit être financé pour tout le monde et ce qui ne devrait pas. Ils considèrent qu’au-delà de 30 000 livres sterling, par année de vie gagnée, le produit n’est pas remboursé par la collectivité. Eux ont mis en plus ce système basé sur le  médico-économique avec peu de logique politique. C’est adapté à la société anglaise, beaucoup moins à la nôtre. A nous de mettre quelque chose en place qui permette de le faire de façon la plus juste possible. 

Prenez la chirurgie esthétique, c’est exactement ce phénomène-là. On est un peu dans du transhumanisme dans la mesure où on transforme certaines partie du corps des individus par la chirurgie. Là je parle de la chirurgie purement esthétique qui n’est accessible uniquement pour les gens qui ont les moyens de payer puisque le paiement se fait par paiement direct. On est là dans des phénomènes qui ne posent pas de problèmes d’éthique majeurs puisque tous ces actes-là ne sont pas considérés comme des actes essentiels à la santé et sont des actes de choix individuels.

Sur les prothèses audio, c’est légèrement différent, car comme l’optique et le dentaire, on est face à un système de financement à bout de souffle où on a un systèmes de financement par la sécurité sociale qui est concentré sur une réflexion de longue durée. C’est un système qui est devenu le financeur de l’audio, de l’optique, et des soins dentaires, sans que ces systèmes aient été adaptés pour financer les secteurs médicaux. C’est un problème d’architecture des systèmes de financements. Ce n’est pas lié à une réflexion afin de savoir si ça doit être pris en charge ou pas, de mon point de vue, la question ne se pose pas. Ces trois secteurs doivent être rendus accessibles à l’ensemble de la population. On n'est pas obligé d’avoir des lunettes de marque, mais il faut tout de même des lunettes sur le plan sanitaire. Sur ce plan-là, tout le monde doit avoir le choix parmi les meilleurs produits disponibles qui ont un impact sur la santé. La quête en matière de besoin de santé est infinie, le financement pour répondre à cette quête lui ne l’est pas. Plus les nouvelles technologies vont apporter les moyens de satisfaire cette quête de bien-être infini, plus il sera important de mettre en place des systèmes de sélection pour détermine ce qui est essentiel à la santé et ce qui ne l’est pas.

Qu'est-ce que cela peut laisser présager pour les futures innovations médicales, et notamment celles qui s'inscrivent dans une démarche post-humaniste ?

Frédéric Bizard : Je suis assez sceptique sur le timing de ce qui sera vraiment disponible pour transformer l’humain dans le sens du transhumanisme comme je le vois. J’ai travaillé il y a 15 ans sur la thérapie génique. On nous disait alors "c’est bien simple, dans 10 à 15 ans on remplacera les gênes défectueux dans la plupart des grandes pathologies", sauf qu’on a oublié que ce qui marche chez les souris n’est pas nécessairement applicable à l’homme. A mon avis, personne de notre génération ou de celle de nos enfants ne verra quoi que ce soit qui ressemble à du post humanisme. Sauf si on considère que les prothèses améliorées sont du transhumanisme par exemple. La personne qui par sa pensée arrive à faire fonctionner son bras robotique, est-ce vraiment du transhumanisme ? Pour moi, ça n’en est pas vraiment.  On sera dans le posthumanisme quand l’homme pourra considérer qu’il est immortel.

Il y a 50 ans, des opérations médicales aujourd’hui accessibles à tous n’étaient réservées qu’aux plus riches. Comment expliquer ce phénomène ? Faut-il s’attendre à un phénomène comparable dans le post-humanisme ?

Frédéric Bizard : En France, les opérations médicales qui étaient indispensables à la santé ont très vite été prises en charge avec la montée en puissance de la sécurité sociale et des complémentaires santés. C’est une question d’adaptation des systèmes aux innovations. Des systèmes qui financent en stock, ce stock a une croissance tendancielle qui aujourd’hui est de l’ordre de 4% alors qu’on est capable de financer une évolution des dépenses de santé de l’ordre de 2%. Les nouvelles innovations se traduisent d’abord par une hausse nouvelle en dehors de la hausse tendancielle du stock, vous voyez bien qu’on est dans un système incapable d’y faire face. Il y a 50 ans, ce qui n’était pas financé par la collectivité correspondaient aux innovations qui dépassaient la capacité de financement du système. Il y a eu correction car on est passé de 3,5% des dépenses du PIB alloués à la santé en 1960 à 12% aujourd’hui. Il y a eu un élargissement considérable des ressources disponibles pour répondre à ce développement fantastique des capacités d’investigations en matière de santé.  Si on dépensait peu il y a 60 ans, c’est qu’il y avait peu de moyens de diagnostic et de traitement.

La réflexion intellectuelle et philosophique selon laquelle il faut permettre à tout le monde d’être immortel relève aujourd’hui du domaine de la SF. J’ai conscience qu’on s’en rapproche. Il faut distinguer ceux qui ont des intérêts financiers dans ce genre de débat. Les vrais scientifiques n’ont globalement pas d’intérêts financiers dans ce genre de thèse. Eux disent qu’il y a un temps relativement important avant que cela n’arrive. Globalement, on est sur la ligne de mire de ce que peuvent apporter les NTIC entre les deux vous allez avoir un flux d’innovations exceptionnel en terme de mieux soigner et mieux prévenir.  Le séquençage génomique  va permettre de faire un bond dans la meilleure anticipation des pathologies telles que le cancer. Le phénomène le plus important dans les 50 ans à venir c’est l’ajustement du système de financement pour être capable de rendre accessible à tous ce qui a véritablement de la valeur ajoutée, il faut donc une évaluation médico économique, et ensuite faire des choix politiques.  Les Anglais ont décidé qu’à partir de 75 ans, il y a un certains nombres d’opérations qu’on ne finance pas par les dépenses publiques. En France, on pas encore fait le choix du rationnement par la dimension du palier de soin, on va être obligé de le faire. L’objectif c’est que ce rationnement n’ait pas d’impact sur l’accès pour tous aux meilleurs soins.

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