"Halte à la pédagogie délirante, l'école maternelle n'est pas une garderie !" <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Sénat étudie ce jeudi une proposition de loi visant à rendre la scolarité obligatoire dès l’âge de trois ans.
Le Sénat étudie ce jeudi une proposition de loi visant à rendre la scolarité obligatoire dès l’âge de trois ans.
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Jardin d'enfants

Une proposition de loi sur la scolarité est discutée ce jeudi devant le Sénat. Elle vise notamment à rendre la scolarité obligatoire dès l'âge de trois ans. Mais le problème de la petite enfance se trouve ailleurs, selon Natacha Polony...

Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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[Mise à jour 04/11]

Le texte a été retiré par la sénatrice PS qui en était à l'origine. Luc Chatel avait dénoncé la charge financière qu'elle induisait, contraire à l'article 40 de la Constitution.

Atlantico : Le Sénat étudie ce jeudi une proposition de loi visant à rendre la scolarité obligatoire dès l’âge de trois ans. Est-ce une solution pour réduire les inégalités ?

Natacha Polony : Cette mesure est assez anecdotique, dans la mesure où la très grande majorité des élèves est scolarisée en maternelle en France. Il reste bien entendu, des enfants qui ne le sont pas. Mais ils sont issus de milieux défavorisés où, justement, ils auraient besoin d’être scolarisés. Dans l’idéal, rendre la scolarité obligatoire à  trois ans signifierait donc qu’elle est une véritable école et non une garderie. De ce point de vue, cette mesure est formidable et doit être encouragée.

Néanmoins elle n’est pas suffisante : outre des problèmes d'effectifs, la question est de savoir à qui va profiter cette mesure. Les enfants de milieux défavorisés auraient idéalement intérêt à être scolarisés le plus tôt possible. Mais on sait pertinemment que ceux qui en bénéficieront sont les enfants de milieux favorisés. Cette mesure ne changera, pour ainsi dire, pas grand-chose. De plus, le véritable problème tient aux méthodes d’apprentissage, telles qu’elles sont mises place à la maternelle.

Cette proposition réaffirme avantageusement le rôle de la maternelle, mais encore faut-il se prémunir contre le fait qu'elles deviennent des garderies. L’inconvénient majeur de la maternelle est que les erreurs pédagogiques ne s’y voient pas…

Pourtant, on entend souvent dire que les autres pays nous envient nos classes maternelles…

C’est vrai, mais affirmer cela coupe court à tout débat. Il est évident que personne, ou presque, n’envisage de supprimer la maternelle. Mais il suffit de se reporter à sa fondatrice pour comprendre qu’il y avait autrefois une véritable réflexion pédagogique sur ce qu'elle devait être. Cette réflexion est sortie du débat aujourd’hui. Le rôle de la maternelle, durant trois ans, est de transformer un enfant en élève. C'est une transformation lente et difficile, que n’opère visiblement plus l’école maternelle française.

Si cette mesure n’est pas efficace dans la lutte contre les inégalités sociales, comment l'école peut-elle les réduire ?

Par des pédagogies qui permettent à tous les enfants de devenir élèves. Cela signifie les préparer à apprendre en classe. Pourquoi l’école en arrive à créer et à amplifier des inégalités ? En réalité elle ne joue plus son rôle, et les enfants vont trouver à l’extérieur ce qui va leur permettre de devenir des élèves et d’apprendre. Or, seuls les enfants de milieux favorisés peuvent être, à l’extérieur de l’école, en situation idéale d’apprentissage.

Tous les enfants subissent l’échec de l’école dans sa mission, primordiale, qui est de leur apprendre à lire. Tous les milieux sociaux sont concernés par ce défaut de formation. Simplement, quand on est dans un milieu culturel favorisé, l’entourage compense : un enfant entouré de livres, dont les parents lui lisent des histoires le soir, pourra apprendre à lire plus aisément et compensera les carences de l’apprentissage scolaire. Tandis que dans les milieux défavorisés l’entourage ne compense pas. Le creuset des inégalités est là.

On peut ainsi augmenter le temps d’école obligatoire, même de trois jusqu’à dix-huit ans, cela ne changera rien si les méthodes d’apprentissage que nous utilisons ne sont pas les bonnes.

Le fait d’instaurer la maternelle obligatoire n’est-il pas une manière de décharger les parents de leurs responsabilités éducatives ?

Non, absolument pas. L’éducation est faite par les parents en dehors du temps scolaire. Attention aux confusions : l’école, même en maternelle, ne joue pas le même rôle que la famille. Toutes les deux doivent travailler de concert, tout en restant chacune à sa place. Les parents sont là pour éduquer leurs enfants, leur apprendre les règles de vie sociale, les cadrer et faire en sorte qu’ils ne deviennent pas des sauvages.

L’école est là pour l’instruire, et le rôle de la maternelle est justement de préparer la possibilité de cette instruction, en apprenant à l’enfant, petit à petit, à se concentrer, user de ses mains…Ce n’est pas à la famille, normalement, d'inculquer à l’enfant le graphisme qui va lui permettre d’écrire. La maternelle est justement là pour ça. De la même manière, le rôle de la famille n’est pas d’apprendre à l’enfant ce qu’est la concentration, ou à écouter des enseignants durant une journée. L’entourage familial prépare, normalement, ce terrain, en calmant l’enfant et en lui apprenant l’obéissance et les contraintes, mais ce sont deux choses différentes.

Il serait dramatique de s’imaginer que l’école maternelle est une garderie. Lorsqu’on lit les études de Pauline Kergomard, la fondatrice de l’école maternelle en France, on comprend qu’il y avait justement là une pédagogie que l’on doit absolument redévelopper.

Pourquoi cette pédagogie a-t-elle disparu ?

Pour les mêmes raisons qui touchent le système scolaire dans son ensemble : des théories pédagogiques délirantes, qui par exemple favorisent l’autonomie des enfants. C’est une très belle notion. Mais quand favoriser l’autonomie des enfants consiste, pour des enfants de petite ou moyenne maternelle, à les autoriser à se lever quand ils le veulent pour chercher des crayons, sous prétexte qu’ils doivent se débrouiller seuls, c’est une aberration. Parce que ça ne leur apprend pas à se discipliner, à demander l’autorisation à un adulte pour ne pas rompre le silence et la concentration de la classe. Ainsi, les enfants qui, à l’école primaire, ont été incités à être autonomes de cette façon-là, ne seront pas capables de comprendre, arrivés au CP, qu’on ne se lève pas quand on le veut dans une classe.

Ces petites choses sont simples, mais doivent être travaillées. Cela semble futile, les parents ne s’en rendent pas compte, mais ces petits détails créent de graves problèmes plus tard.  

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