Débat sur la réforme du collège : comment Najat Vallaud-Belkacem et Bruno Le Maire sont passés à côté de la question essentielle du diagnostic<!-- --> | Atlantico.fr
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Najat Vallaud-Belkacem et Bruno Le Maire ont débattu sur la réforme des collèges.
Najat Vallaud-Belkacem et Bruno Le Maire ont débattu sur la réforme des collèges.
©Charles Platiau / Reuters

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Le débat de jeudi soir 21 mai sur iTélé entre Najat Vallaud Belkacem et Bruno Le Maire a été l'occasion pour la ministre de défendre sa réforme, et pour le membre de l'UMP de présenter ses propres propositions. Mais le débat n'a pas été au fond des choses.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Majorité et opposition s'affrontent sur la réforme du collège depuis plusieurs semaines. Qu'est-ce que ce débat a permis de clarifier quant à ce qui les distingue fondamentalement ?

Eric Deschavanne : Chacun a joué une partition attendue. Najat Vallaud-Belkacem a défendu l'idéal du collège unique tel que le conçoivent les « pédagogistes inamovibles de la rue de Grenelle » (pour reprendre l'excellente formule de Jacques Julliard) : l'idéal d'un collège « démocratique » qui a pour vocation d'être la deuxième marche de l'école primaire, de « l'école du socle » comme ils disent, où l'on transmet à tous une culture commune, et au sein de laquelle il ne doit y avoir aucune différenciation, fut-ce sous la forme d'options, considérées comme des « filières cachées ».  Bruno Le Maire a proposé de substituer à ce collège uniforme un « collège diversifié », qui tiendrait davantage compte de la réalité, au sein duquel on s'efforcerait de tirer le meilleur de chacun plutôt que d'enseigner la même chose à tous. Les positions étaient claires, mais leur confrontation n'était pas de nature à surprendre.

Deux remarques, simplement. D'abord, le simple fait que ce débat ait pu avoir lieu signe le retour de la reflexion sur la politique éducative, laquelle avait disparu de la scène publique depuis fort longtemps, faute de combattants. C'est une bonne nouvelle, la nouveauté résidant dans le fait que la droite, en la personne de Bruno Lemaire, propose un projet alternatif. Pour le moment, bien entendu, ce n'est encore que l'esquisse du projet de Bruno Lemaire, non le projet construit d'une force politique. Mais il a légitimement revendiqué le droit de ne pas abandonner la réflexion aux « experts » et aux acteurs du système, tandis que Najat Vallaud-Belkacem se réfugiait volontiers derrière la légitimité institutionnelle (celle des « conseils supérieurs », le conseil supérieur de l'éducation notamment, soit-disant représentatif de la communauté éducative, mais qui n'est qu'une instance de la validation dont l'existence est ignorée du grand public).


Ma deuxième remarque porte sur le point décevant du débat : peu de choses ont été dites au sujet du diagnostic, et ce qui a été dit ne permettait pas de se faire une opinion. Les interlocuteurs auraient pu s'accorder sur le fait que le bilan actuel du collège sanctionnait quarante années de « collège unique ». Cela aurait permis de faire apparaître l'enjeu du débat et le sens de la réforme actuelle. Quel est la nature du mal dont souffre le collège, et comment y porter remède ? Au regard des réformateurs, la formule du collège unique est la bonne, les difficultés provenant de la pédagogie, jugée archaïque, des programmes, trop exigeants et ambitieux, et de l'inachèvement du projet, en raison de l'existence des « filières cachées » qu'il faut détruire. Si ce diagnostic n'est pas le bon, la réforme n'aura aucun effet positif.

Or, tel est bien le cœur du problème : ce diagnostic est l'expression de l'idéologie du collège unique, il n'est pas fondé sur l'observation de la réalité. Constater, comme l'a fait Najat Vallaud-Belkacem au cours du débat, qu'un élève sur quatre est en très grande difficulté en fin de troisième ne permet pas de comprendre pourquoi les choses sont ainsi. Rien n'a été dit par exemple sur l'écart de niveau abyssal entre collèges des beaux quartiers et collèges des zones d'éducation prioritaire. Ce n'est pas le système scolaire, mais l'évolution de la société (« l'apartheid » socio-culturel) qui constitue la principale cause de dégradation des performances des élèves. Le collège unique a par ailleurs contribué à la mise en place d'un système à deux vitesse, que la réforme va du reste conforter, en poussant les gens soit à « fuir vers le privé », soit en contournant la carte scolaire, soit surtout par une « stratégie résidentielle »visant à s'installer à proximité d'un collège public « de qualité » - ce qui signifie acceuillant un public sociologiquement homogène et de bon niveau culturel. Le problème de la réforme actuelle, à cet égard, tient principalement au fait qu'elle est fondée sur un aveuglement idéologique : si le réel est ignoré, si le diagnostic n'est pas le bon, les réponses de la politique éducative ne peuvent être adéquates, et l'on renforce ainsi le mal que l'on prétend combattre. L'opinion  - plus lucide que le gouvernement - en a aujourd'hui conscience, ce qui explique son absence d'adhésion à la réforme, alors même que personne n'ignore les maux du collège, qui représente pour les familles un sujet d'inquiétude majeur.


Najat Vallaud-Belkacem a beaucoup été attaquée cette semaine sur le "nivellement par le bas" qu'engendrerait sa réforme. Vous a-t-elle paru pertinente dans ses explications pour s'en défendre ?

Elle a répondu à côté, en affirmant que le  « nivellement par le bas », c'était la situation acturelle, l'échec scolaire au collège et l'inégalité sociale, ce qui renvoie à la question du diagnostic : ces maux résultent-ils de l'excès ou de l'insuffisance d'uniformité du collège ? La remède doit-il être de mettre fin au collège « à deux vitesses » ? Je pense à cet égard que Najat Vallaud-Belkacem et la réforme sont totalement dans l'erreur. La réforme ne produit pas directement un « nivellement par le bas », mais un « lit de Procuste » : quand on supprime les classes bi-langues, réservées à une minorité, pour mettre en place l'enseignement pour tous d'une deuxième langue vivante, on exige moins de ceux qui peuvent plus, et plus de ceux qui peuvent moins ; on ralentit les forts tout en noyant les faibles.

Le « nivellement pas le bas », à proprement parlé, n'aura lieu que dans les collèges défavorisés, là où les « filières cachées » permettaient de maintenir un peu de mixité sociale tout en protégeant les meilleurs élèves des effets du désordre ambiant. La réforme signe à cet égard la mort de ce qu'il restait d'égalité des chances d'accéder à l'élite (la mort de « l'égalité républicaine », donc) dans les quartiers défavorisés, là où le « collège à deux vitesses » est absolument nécessaire.

Si Bruno Le Maire a pu trouver une justesse dans le constat du niveau des collégiens actuellement, ses propositions vous ont-elles parues pertinentes ?

Ce n'est encore que l'ébauche d'un projet, dont on peut encore douter de la solidité. Dans le passé, la droite a souvent critiqué le collège unique quand elle était dans l'opposition, pour finalement gérer les affaires courantes lorsqu'elle arrivait au pouvoir. Car il est difficile d'introduire de la différenciation dans le cadre du collège unique. Et personne ne souhaite véritablement que l'on sépare les élèves à onze ans comme on le fait à l'entrée au lycée.

Najat Vallaud-Belkacem a attaqué  Bruno Le Maire sur ce point : « vous souhaitez, a-t-elle dit en substance, casser le collège unique, rétablir une orientation précoce qui détermine de manière irréversible le destin scolaire des enfants ». Ce n'est pas ce que souhaite Bruno Lemaire, mais dès lors qu'on propose une diversification substantielle, il faut expliquer comment on entend s'y prendre pour concilier mixité et diversité, enseignement commun et optionnel, tronc commun et filiarisation. L'une des solutions, par exemple, consiste, comme dans le cas des fameuses classes bi-langues, à distinguer classe et section (les élèves « bi-langues » sont placés dans des classes différentes pour les matières du tronc commun). On entre dans un niveau de complexité, celui de l'organisation, qui n'est pas télégénique. En vérité, Najat Vallaud-Belkacem et  Bruno Le Maire proposent deux combinaisons possibles d'uniformité et de diversification : la réforme compte sur l'autonomie et les EPI pour introduire de la diversification, tout en renforçant par ailleurs la logique de l'uniformité propre au collège unique (« la même chose pour tous »). On verra ce que cela donne à l'usage, mais les dispositifs de cette nature imaginés par le passé (les « itinéraires de découverte », par exemple) ont tous fait des flops. Bruno Lemaire, quant à lui, propose un tronc commun d'une vingtaine d'heures par semaine, et quelques grandes options qui conviennent réellement à la diversité des intelligences et des intérêts des enfants. Comment cependant, éviter de retomber dans l'ornière des anciennes 4e et 3e « technos », qu'on qualifiait de « classes poubelles » ? Comment concevoir un enseignement « technologique » qui ne soit pas, comme c'est le cas aujourd'hui, un ersatz ? Comment concilier, éventuellement, l'alternance ou l'apprentissage, avec un enseignement commun de culture générale ? C'est sur ce point que les choses demeurent encore floues, un flou qui alimente les objections des partisans du collège uniforme.

En tant que spécialiste du thème de l'éducation, de l'apprentissage, qu'avez-vous pu remarquer d'important et qui n'apparaît pas forcément aux yeux des néophytes ?

Sur ce qui a été dit, il y a deux enjeux qui n'ont pas forcément été clairement perçus par ceux qui ne sont pas familiarisés avec les débats de politique éducative. Le premier concerne la question du « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » que le collège est supposé transmettre à l'ensemble d'une génération. Comment le concevoir ? Pour Najat Vallaud-Belkacem, le socle est un programme unique pour tous, dont il faut nécessairement réduire le niveau d'exigence pour que tous puissent avancer du même pas. Bruno Lemaire a suggéré de concevoir le socle autrement, comme un « socle des indispensables », un bagage  peut-être plus restreint (une seule langue vivante par exemple), dont on garantisse à tous l'acquisition, mais qui soit compatible avec la diversification des parcours.


L'autre enjeu concerne la conception des programmes. Dans la discussion, assez confuse, chacun des protagonistes a, de manière contradictoire, affirmé la nécessité de soustraire les programmes à la mainmise politico-idéologique tout en justifiant l'intervention du politique, soit pour corriger les « dérives » de l'organisme indépendant chargé de les fabriquer, soit pour dicter le sens et les grandes orientations de ces programmes. Il me paraît sage, à l'inverse, de récuser l'intervention des politiques sur la conception des programmes, lesquels doivent être au-dessus de tout soupçon de manipulation partisanne ou idéologique. Le problème qu'il aurait fallu poser est celui de la conception et de la compostion de l'instance indépendante chargée de définir les programmes. Ce qui apparaît totalement aberrant aujourd'hui, c'est que le Conseil supérieur des programmes soit composé, pour le coup, de « pseudo-intellectuels » et non pas de véritables autorités. Il est stupéfiant, par exemple, que l'on soit conduit à consulter a postériori les grands historiens sur les programmes d'Histoire : les grands historiens devraient être dans le Conseil supérieur des programmes. Comment, sinon, celui-ci pourrait-il apparaître « supérieur » en quoi que ce soit aux grandes voix qui le critiquent ?

Par ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, il m'est apparu que le débat a occulté la question essentielle, celle du diagnostic. Comment lutter efficacement contre l'échec au collège ? Certainement pas par la réforme du collège. Bruno Le Maire a évoqué de manière très convaincante la nécessité de renforcer l'acquisition des fondamentaux, en soulignant la nécessité de donner la priorité à la réforme de l'école primaire. Pour véritablement justifier cette idée, il aurait fallu déconstruire les erreurs de diagnostic qui sous-tendent l'actuelle réforme du collège.

Une autre question fondamentale n'a pas été explicitement abordée, celle de la fonction du collège : doit-il être intégralement « primarisé », c'est-à-dire être exclusivement considéré comme la deuxième étape de la formation commune, ou bien faut-il lui assigner également pour fonction de préparer la suite des études, dans le cadre du lycée général pour les uns, du lycée professionnel pour les autres. Sur ce point également, il faudrait soumettre l'argumentation des partisans du collège uniforme et de la réforme actuelle à la critique : ils prétendent pouvoir détruire « le triage »social qu'ils dénoncent, en éradiquant options et filières au collège. Le résultat ne peut être qu'un « triage » d'autant plus brutal et perçu comme injuste en fin de troisième que les élèves auront été maintenus dans l'illusion durant l'ensemble de leur parcours au collège. Et l'uniformité des parcours au collège ne réduit en rien le déterminisme social de l'orientation en fin de troisième.

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