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Najat Vallaud-Belkacem
Najat Vallaud-Belkacem
©Reuters

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Portrait d’une icône plébiscitée par les socialistes alors que 66% des Français estime qu’elle n’a pas de "vision pour l'école" et que 74% pense qu'elle ne les écoute pas, selon un sondage Ifop pour Atlantico.

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Dans une interview accordée à La Vie en 2012 (voir ici), Najat Vallaud Belkacem se définissait comme "sociale-démocrate sur le plan économique [et] sur les sujets de société, je suis progressiste". Depuis qu'elle porte la réforme du collège, la ministre de l'Education cristallise les tensions autour d’elle, au point que le Premier ministre en appelle à la solidarité gouvernementale. Selon un sondage Ifop pour Atlantico (voir ici), 56% des Français estiment qu'elle incarne bien les valeurs de la gauche. Mais que représente-t-elle réellement, de quelle gauche Najat Vallaud-Belkacem est-elle le nom ? 

Vincent Tournier : Najat Vallaud-Belkacem représente globalement une tradition de centre-gauche. Sa carrière a d’ailleurs été lancée par Gérard Collomb, le maire de Lyon, dont elle a été chargée de mission en 2003, puis adjointe à la mairie en 2008. Or, Gérard Collomb incarne plutôt la tendance droitière du Parti socialiste.

Il est toutefois difficile de cerner son positionnement idéologique parce qu’elle a rarement tenu des propos très forts. Elle a su rester dans un certain flou, au moins sur les questions économiques et sociales. Que pense-t-elle de l’intégration européenne ou de l’euro, de la mondialisation, des syndicats et de la démocratie sociale ? Comme ses prises de position se sont cantonnées à la question de l’égalité hommes-femmes, et comme elle n’a pas d’implantation électorale, elle ne représente pas un point de polarisation au sein du PS, où elle n’a manifestement pas d’ennemis déclarés.

Elle incarne donc assez bien une gauche libérale, européenne, féministe et multiculturaliste. C’est une gauche modérée, qui a tendance à mettre en avant les questions de société pour se donner un certain contenu. Christiane Taubira a eu le mariage pour tous, Najat Vallaud-Belkacem s’est chargée de l’égalité entre hommes et femmes. Malgré tout, cette gauche doit affronter d’énormes contradictions, notamment entre un projet d’émancipation des femmes et une volonté de courtiser les minorités ethniques. D’un côté, Najat Vallaud-Belkacem entend lutter contre les stéréotypes de genre ; de l’autre, elle autorise le port du voile pour les mères qui accompagnent les sorties scolaires. On retrouve cette tension avec la réforme actuelle des programmes du collège. L’une des mesures de ce projet est de donner une place particulière à l’islam puisque cet enseignement sera le seul, dans le bloc en question, à être obligatoire. Ce choix peut se justifier. Mais on aimerait savoir comment la ministre compte neutraliser les messages machistes du Prophète et du Coran puisque, rappelons-le, Mahomet a eu une dizaine d’épouses, dont l’une avait à peine 9 ans.

Lire aussi - Pour 66% des Français, Najat Vallaud-Belkacem manque de vision pour l’école et pour 74% d’entre eux, elle n’est pas à leur écoute

Quels projets concrets a-t-elle personnellement porté tout au long de sa carrière politique ?

Vincent TournierIl est délicat de dire à quel ministre revient exactement tel ou tel aspect de l’action gouvernementale car les grandes décisions sont souvent très encadrées par le Président et le Premier ministre. Officiellement, l’action de Najat Vallaud-Belkacem a surtout concerné l’égalité entre les sexes. Sa grande œuvre est la loi pour "l’égalité réelle entre les hommes et les femmes", loi qui a été symboliquement promulguée le 4 août 2014 en référence à la Nuit  du 4 août. On peut évidemment trouver que cette référence est un peu excessive, grandiloquente même. Etait-il vraiment nécessaire de mobiliser tout l’imaginaire révolutionnaire ?

Avec cette loi, Najat Vallaud-Belkacem a voulu promouvoir une "troisième génération" des droits des femmes : après les droits civiques obtenus à la Libération (le droit de vote) et les droits économiques et sociaux des années 70 et 80, elle propose d’aller vers "l’égalité réelle et concrète, notamment en imposant la parité à tous les niveaux de la société, y compris dans les fédérations sportives. Sur le plan théorique, ce raisonnement est discutable, notamment parce qu’il confond l’égalité juridique et l’égalité réelle. Mais le plus intéressant est de constater que cette loi s’éloigne de l’esprit qui avait présidé à l’instauration de la parité en 1999. A l’époque, l’idée était que, en facilitant l’entrée des femmes en politique, la parité allait entraîner une évolution positive dans le reste de la société. Aujourd’hui, le gouvernement semble dire que cette stratégie a échoué puisqu’il considère qu’il revient à l’Etat d’imposer la parité à tous les niveaux de la société. Evidemment, les mauvaises langues se demanderont si ce beau projet anti-sexiste n’est pas contradictoire avec la façon dont le président de la République mène sa vie privée. Mais plus sérieusement, il serait surtout intéressant de savoir ce que Najat Vallaud-Belkacem pense du récent rapprochement diplomatique de la France avec le Qatar et l’Arabie Saoudite, deux pays qui ne brillent pas sur la lutte contre les stéréotypes de genre.

En 2012, le magazine Le Point rapportait des propos de Ségolène Royal (laquelle les a démentis) selon lesquels Najat Vallaud Belkacem n'aurait pu être nommée porte-parole du gouvernement si elle s'était appelée "Claudine Dupont". Femme, issue de l'immigration, ses missions ont surtout concerné les luttes contre les discriminations et pour l'égalité hommes-femmes... Comment utilise-t-elle le fait de correspondre au "moule" idéologique de son parti ?

Vincent TournierCette remarque de Ségolène Royal a même donné lieu à une rumeur sur Internet. La rumeur disait que le vrai nom de Najat Vallaud-Belkacem était Caroline Dupont mais que celle-ci a préféré en changer pour des raisons électorales, ce qui est évidemment faux.

Cela dit, avec sa petite pique, Ségolène Royal n’a fait que souligner une évidence. Mais au-delà du cas de Najat Vallaud-Belkacem, il faudrait s’interroger sur les logiques qui entourent désormais la composition des gouvernements. Autrefois, la répartition des postes gouvernementaux consistait surtout à satisfaire les différentes composantes de la majorité nouvellement élue. Cet objectif est toujours présent, mais il est désormais complété par le désir d’utiliser les caractéristiques physiques des personnes pour envoyer des messages aux électeurs et aux médias. Bien sûr, cette préoccupation a toujours un peu existé, mais elle semble beaucoup plus présente aujourd’hui. Cela a commencé avec les femmes. Souvenons-nous par exemple des "jupettes" quand Alain Juppé était Premier ministre. Aujourd’hui, non seulement le respect de la parité hommes-femmes est devenue la norme, mais cette logique de l’affichage s’est généralisée à d’autres caractéristiques, ce qui s’explique par le fait que la compétition électorale doit désormais intégrer la conquête des minorités ethniques. C’est là l’une des conséquences de la diversification ethno-raciale de la société française.

Pour autant, il demeure parfois difficile de la distinguer idéologiquement. Une approche par ce qu'elle n'est pas permet-il d'en savoir plus ? Que n'est pas Najat Vallaud-Belkacem ?

Vincent Tournier : Il faut reconnaître à Najat Vallaud-Belkacem un certain talent pour éviter les sujets qui fâchent. Je ne lui connais pas de déclarations tonitruantes ou de prises de position audacieuses. A-t-elle dit quelque chose sur l’Europe ou sur la mondialisation, sur la crise économique, ou même sur la loi Florange et la crise de l’industrie ? C’est finalement quelqu’un qui reste discret sur le plan politique, qui évite de s’exposer. Elle est certes très présente dans les médias parce qu’elle passe très bien à la télévision, mais aussi parce que les journalistes sont peu offensifs. Mais son discours est très mesuré, presque lisse. Elle se contente d’intervenir sur les sujets qui font consensus au sein du Parti socialiste. Elle peut donc être à la fois très présente dans l’actualité et relativement transparente. Cette stratégie est sans doute judicieuse : elle lui permet de maximiser ses chances pour la suite.

Selon une enquête Odoxa du mois de décembre 2012, NVB est dans le trio de tête des personnalités politiques préférée des sympathisants de gauche. En quoi remplit-elle selon-vous les attentes de cet électorat, dans un contexte de repositionnement sur des thèmes fondateurs de la pensée de gauche ?

Vincent Tournier Pour le gouvernement actuel, Najat Vallaud-Belkacem est la personne idoine. Elle est jeune, c’est une femme, elle est d’origine modeste et elle a réussi par son travail personnel, donc elle correspond bien à l’idéal de la méritocratie républicaine. De surcroît, elle est issue de l’immigration et se déclare musulmane. On pourrait presque dire qu’elle incarne à elle seule la stratégie "Terra Nova", du nom de cette fondation socialiste qui prônait en 2012 la formation d’une nouvelle coalition électorale autour des jeunes, des femmes et des minorités.

Najat Vallaud-Belkacem a aussi l’avantage d’avoir un style personnel beaucoup moins agressif que celui de Christiane Taubira. Avec sa voix douce et son calme olympien, elle peut se présenter comme quelqu’un de modéré, alors même qu’elle a pu défendre des positions idéologiques radicales, inquiétantes mêmes, par exemple lorsqu’elle souhaitait que les manuels de littérature mettent en avant la sexualité des auteurs, ou lorsqu’elle voulait éradiquer toute différence entre garçons et filles.

Pour les électeurs de gauche, elle est d’autant plus séduisante que ce n’est pas une personnalité remuante au gouvernement. Ce n’est manifestement pas quelqu’un qui va provoquer un clash comme ont pu le faire Benoît Hamon ou Arnaud Montebourg. Est-ce un choix tactique de sa part, de façon à conserver toutes ses chances pour l’avenir ? Est-ce la conséquence d’une carrière qui doit tout à ses mentors ? Najat Vallaud-Belkacem a du talent, mais force est de constater que son poids politique est faible. Ses succès électoraux personnels restent limités : c’est tout juste si elle peut aligner un modeste mandat de conseiller général. En 2012, elle n’a pas osé franchir le pas puisqu’elle a finalement a retiré sa candidature à la députation lorsque Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre de l’époque, a annoncé que les candidats vaincus aux législatives devraient quitter le gouvernement. C’est un peu le problème de ces ministres sous la Vème République qui doivent tout au prince qui les a nommés.

Le sondage Ifop montre que 58% des Français ne lui attribuent pas d'autorité. Quelle est sa place au sein du Parti socialiste ? Et sur quelle capacité d'influence peut-elle compter ?

Bruno Jeudy :Najat Vallaud-Belkacem est connue pour son assez grande prudence politique. Porte-parole en 2007 et 2011 de Ségolène Royale, puis auprès de François Hollande et enfin pour celui du gouvernement Ayrault, elle est également reconnue pour sa loyauté vis-à-vis de ses patrons successifs, dont elle respecte la ligne et les éléments de langage.

Cette spécialisation de son rôle en tant que porte-parole fait qu'il est difficile de la marquer dans un courant particulier de la gauche. Si l'on a du mal à situer ses positions économiques entre celles d'un Manuel Valls ou d'une Ségolène Royal, celles sur les thèmes sociétaux sont quant à eux très clairs. 

Aujourd'hui, au sein du Parti socialiste, il est difficile de dire qu'elle détient un pouvoir politique déterminant. Les cadres du parti n'ont pas intervenus pour la défendre de manière spontanée : il a fallu attendre que le gouvernement fasse un rappel à l'ordre pour voir émerger une solidarité partisane. 

Propos recueillis par Alexis Franco

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