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Ce que les questions et les réponses du live tweet Sarkozy révèlent de l’état de la politique
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Participatif/défiance

Nicolas Sarkozy répondait vendredi 15 mai aux questions d'internautes sur Twitter. La tonalité des questions ou des interventions ont parfois pris une tournure quelque peu loufoque notamment lorsque l'ancien président est interrogé sur ses animaux domestiques ou pour des conseils de lecture...

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans quelle mesure est-ce que cette « pipolisation » -que l'on constate aussi avec Marine Le Pen à New York, ou encore la multiplication des interviews personnelles des membres du gouvernement (Hollande et Royal actuellement) - est-elle symptomatique d'une crise des politiques, qui peinent à évoquer un vrai projet ?

Christophe Bouillaud : En tout cas, cette situation, que l’on retrouve plus ou moins dans toutes les démocraties avancées, traduit la demande du public de savoir à qui il a vraiment affaire. Comme le grand public a quelque expérience désormais après deux siècles et plus de démocratie des tromperies des hommes ou des femmes politiques, il cherche à estimer si cette personne est fiable, honnête, ayant vraiment au fond les convictions affichées. Cependant, les hommes ou les femmes politiques ont appris de leur côté à anticiper cette demande du public en proposant leur propre présentation de leur « moi » intime soit disant véritable. Quand N. Sarkozy échange avec l’un de ses jeunes fils sur Twitter, il montre son sens du contrat, du donnant-donnant, sous-entendu, si je gère (bien) mes enfants ainsi, je saurais (bien)  gérer le pays.  Dans la mesure où les programmes socio-économiques de la gauche modérée et de la droite modérée sont en réalité très proches sur de nombreux points – le fameux « UMPS » dénoncé par le FN -, que ce sont en réalité les experts des différentes politiques publiques ou les lobbys concernés qui les déterminent, il est difficile de faire la différence sur le projet, il est alors plus simple de jouer sur l’attrait de sa personnalité, et il faut bien dire que N. Sarkozy a eu en 2007 un avantage sur ce point, qu’il essaye visiblement actuellement de récupérer, d’où entre autres cette intervention  sur Twitter.

Selon une enquête d'opinion réalisée par Ipsos pour le Monde sur les fractures françaises, la défiance envers les politiques demeure considérable. Pour autant les attentes des Français envers ceux qui les gouvernent (ou y concourent) sont elles aussi plus importantes que la moyenne européenne.  Cette divergence pourrait-elle expliquer la prime à l'émotionnel, de plus en plus importante ?

Sans doute. Il se trouve qu’en France, avec le régime présidentiel de la Vème République et ses réussites initiales dans les années 1960 en matière économique et politique (croissance économique et fin de la « guerre d’Algérie »), il existe un mythe de la Présidence toute puissante, ou plus simplement de l’ « homme providentiel ». Chaque élection présidentielle a contribué  au renouvellement de ce mythe, surtout depuis que la gauche s’est rallié au régime dans les années 1970. Or la réalité des contraintes institutionnelles, européennes en particulier, qui pèsent sur l’action du Président de la République française et de sa majorité législative, ne peuvent qu’entraîner des déceptions. Paradoxalement, elles n’empêchent pas pourtant l’espoir un peu fou désormais d’un véritable renouvellement de la société et de l’économie française par le simple effet de l’élection d’un Président. Probablement, cette situation explique le déchaînement émotionnel qui entoure les personnalités des Présidents et des présidentiables. Si rien ne va, c’est la faute hier à Sarkozy, aujourd’hui à Hollande, et demain tout ira mieux si Sarkozy revient ou que Hollande rempile. Il y a là un « rêve », une illusion. Le magnifique slogan de N. Sarkozy en 2007, « Ensemble tout devient possible », était la parfaite instrumentalisation de ce mythe, parce qu’en réalité, même si nous étions vraiment ensemble, le réel imposerait ses impossibilités à la volonté, si elle existait, d’une population comme celle de la France. Par exemple, rien ne fera changer le niveau d’éducation des adultes actuels, et pourtant c’est sans doute largement cela qui détermine notre niveau de vie.

Les politiciens y trouvent-ils leur intérêt ? Comment ?

Au moins pour ce qui est de la conquête de la Présidence de la République, qui est à la fois l’enjeu électoral le moins concret et le plus généraliste de toutes les élections, et qui provoque encore aujourd’hui la plus grande participation électorale, tous les politiciens doivent faire rêver. En effet, c’est le seul moyen d’attirer aux urnes les électeurs les moins intéressés par la politique, et ce sont bien eux qui font la différence. En effet, les électeurs les plus intéressés par la politique savent bien au fond que tout ce qui fait changer le monde est bien plus compliqué que cette seule élection, et ils s’impliquent sans doute plus directement dans une action collective qui fait avancer la ou les causes qui leur tiennent à cœur. L’élection présidentielle au suffrage universel est vraiment, passez-moi l’expression, un « piège à cons », mais c’est le seul moyen d’arriver au pouvoir actuellement, et chaque politicien doit jouer selon ses règles en faisant rêver. 

L'émotion a de tout temps été utilisée par les figures publiques, à travers leurs discours, leurs programmes. Le fait que les politiciens ne se démarquent plus que sur des points marginaux, en comparaison aux visions qui s'opposaient au XXème siècle, pourrait-il participer à cette perte d'intérêt des Français pour les projets politiques d'aujourd'hui ?

Il ne faut pas exagérer la perte de vision au niveau des citoyens : par exemple, entre un électeur du FN et un électeur des Verts, il y a de vraies oppositions de valeurs, et cela correspond aux programmes tout de même très, très, très différents des Verts écologistes et multi-culturalistes et du FN  productiviste et xénophobe. Par contre, il est vrai que les politiciens des partis de gouvernement  traditionnels ne sont plus très opposés en réalité. Ils partagent souvent les mêmes objectifs, ils divergent sur les moyens simplement, car ils n’ont pas exactement les mêmes clientèles. Le mode de scrutin majoritaire à deux tours en empêchant les partis extrémistes ou simplement nouveaux d’exister au niveau des élus tue en quelque sorte le débat, mais ce débat existe bel et bien de manière plus souterraine : entre la France souhaitée de  Cécile Duflot et celle voulue de Marine Le Pen, ce n’est pas du tout la même chose. Les oppositions sont au moins aussi importantes qu’au XXème siècle, mais elles sont stérilisées en partie par le mode de scrutin. Plutôt que d’obliger les électeurs à aller voter, le retour à un scrutin proportionnel intégral serait un bon moyen de réveiller l’intérêt des Français pour la politique – au risque bien sûr d’avoir 25% d’élus FN à l’Assemblée nationale.

En 2007, Nicolas Sarkozy s'est fait élire par un véritable programme. Une candidature pour des élections telles que des présidentielles peut-elle vraiment se passer d'une vision du monde différente ?

En réalité, le génie de N. Sarkozy en 2007 a été de faire croire qu’il incarnait « la rupture ». Si on regarde ce programme en détail, comme je suis en train de le faire pour une recherche en cours, il n’était pas autre chose qu’une habile synthèse de ce qui trainait dans les rapports de diverses commissions, enrobé d’une belle rhétorique, parfois très droitière. Pour gagner la présidentielle, il ne faut pas avoir une vision du monde différente, parce qu’en réalité, les électeurs sont majoritairement craintifs, âgés et fondamentalement conservateurs, qu’ils se voient eux-mêmes comme de droite ou de gauche d’ailleurs.  Il faut donc faire croire que l’on va changer tout sans pour autant blesser personne, sans qu’aucun électeur ne doive faire de vrais efforts. C’était là la prouesse de N .Sarkozy en 2007, et tous les futurs présidentiables devront le copier : promettre un grand changement de façade, sans rien déranger dans cette maison de retraite, encore riche, qu’est notre vieux pays.  Il ne faut jamais oublier que, désormais, en France, comme ailleurs en Europe, les grandes masses électorales sont orientées vers les électeurs d’âge mûr. 

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