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Fusillé à la batterie anti-aérienne parce qu’il avait baillé face à Kim Jong Truc… : pourquoi il ne faut pas croire toutes les horreurs que l’on raconte sur la Corée du Nord
©Reuters

Mais oui bien sûr

Le ministre de la Défense nord-coréen a récemment fait la Une des médias internationaux pour sa fin sinistre: pulvérisé par une batterie anti-aérienne. Mais la Corée du Nord n'a pas forcément les moyens de s'offrir un tel luxe, et cette mise en scène semblerait plutôt alimenter les fantasmes occidentaux sur le pays le plus fermé du monde.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot est historien et directeur de l'Institut d'histoire sociale

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Atlantico: Les informations diffusées sur la Corée du Nord, de la condamnation à mort d'une ex-compagne de Kim Jung Un à l'assassinat par missile anti-aérien d'un haut dignitaire qui baillait devant le leader, sont-elles crédibles?

François-Bernard Huyghe: Bien qu'on manque d'élément de vérification, elles se sont répandues comme une trainée de poudre! La photo qui appuie cette déclaration des services secrets sud-coréens est celle d'une batterie anti-aérienne pointée vers un poteau, qui pourrait alors être un poteau d'exécution. Mais de par son aspect totalitaire, toute les information concernant l'Etat nord-coréen sont à prendre avec beaucoup de précaution, car on ne peut vérifier ses sources, ni compter sur des témoignages tangibles. Bien que la tyrannie de Kim Jung Un soit indéniable et que le mouvement de purge des anciens dignitaires du Parti véridique, les moyens utilisés sont eux invérifiables. Bien que techniquement parlant, une exécution par un canon anti-aérien soit possible, on ne peut pas vraiment s'assurer que ce soit possible psychologiquement parlant. Donc on ne peut être sûr ni dans un sens, ni dans l'autre.

Pierre Rigoulot: En effet, ce qui est crédible et ne fait aucun doute, c'est la liquidation des supposés adversaires du numéro 1 du régime; et l'exécution de l'oncle a par ailleurs été confirmée. Dans les régimes totalitaires, qu'on a pu étudier largement après la chute de l'URSS, la pratique de purge est indéniable. En revanche, pour ce qui est de la méthode utilisée, de grandes réserves sont permises! Il apparaît en effet qu'il y a eu un amalgame entre une photo diffusée montrant une batterie anti-aérienne et l'annonce de l'exécution. Mais le rapprochement fait par les services secrets est aujourd'hui remise en doute par ces mêmes services secrets.

En réalité, le prix d'une telle exécution serait bien trop lourd à porter pour ce pays qui en général ne prend pas la peine de dramatiser ces exécutions quand une balle suffit. Donc cette information paraît très peu crédible, et le bon sens aurait voulu que les journalistes remettent en question cette information, mais , et c'est humain, l'attrait du scoop est naturel. D'ailleurs, cette dramatisation alimente les fantasmes nourris sur la Corée du Nord, et l'opinion raffole de ce qui confirme la monstruosité de son dirigeant. Cependant, nous n'avons aucun élément qui nous permettent de démentir absolument l'utilisation de ce canon anti-aérien.

Pourquoi ces informations ont-elles du crédit dans les médias? Comment expliquer qu'elles soient crues et reprises y compris dans des médias sérieux?

François-Bernard Huyghe: Tout d'abord, les sources sur la Corée du Nord sont extrêmement rares et repose très largement sur l'imaginaire, sur un côté folklorique du régime qui balance entre l'horrible et le ridicule, qui construit l'image d'un Barbe-Bleu sanguinaire. Et plus on raconte des histoires horribles, plus la confirmaton de l'atrocité d'un régime qu'on repousse est confirmée. En ce sens, la multiplication des informations choquantes est emblématique, allant de la dévoration d'un opposant par des chiens à l'assassinat d'une ancienne petite amie du dirigeant. Par ailleurs, notre système médiatique repose sur la construction d'un ennemi, d'un "Hitler de l'année", ennemi de l'occident et de nos valeurs démocratiques. Enfin, lorsque les médias ont une source unique d'information, ils se devraient de mettre au conditionnel les faits avancée. Cependant l'effet d'excitation du sordide et l'effet d'entraînement créé par la reprise des autres médias aboutit souvent à une construction purement médiatique de scandales: on se souvient de la chute de Caucescu et du charnier découvert, que l'on avait immédiatement attribué aux tortures du régime qui chutait. Or il s'est avéré plus tard que l'état des cadanres ne laissaient en rien présumer une telle histoire. Mais les médias avaient dans un premier temps affirmé les faits, avant de douter puis de démentir.

Pierre Rigoulot: cela correspond à une recherche évidente du sensationnel, et le besoin des journaux de réagir vite, avant que l'information perde sa saveur. Ce qui est surprenant aussi, c'est la facilité avec laquelle l'opinion publique a intégré cette information sans la remettre en question, ce qui en dit long sur une société qui a besoin de croire et de se référer à des sources, même peu fiables.

Qui sont les auteurs de ces informations et quel est leur intérêt à diffuser de telles informations?

François-Bernard Huyghe: Si on est dans une franche désinformation, on peut imaginer que cela provienne des services secrets sud-coréens directement ou bien d'agences de communication payées par une force politique, comme on l'a déjà vu.  Au moment de la guerreen Bosnie, un cliché montrant des personnes présentées comme Bosniaques très maigres derrière des barreaux a été utilisé pour mobilisé l'opinion publique en faveur d'une interventionde l'ONU dans cette zone. En réalité il s'agissait d'une photo de Serbes souffrant du typhus, mais il est apparu q'une agence de communication payée par les Etats-Unis était l'auteur du détournement.

Mais on peut aussi être dans le cadre d'une légende urbaine, partant d'un simple amalgame qu'on attribue par la suite à la réalité. Ou encore tout simplement dans la recherche du sensationnel pur par un journaliste qui souhaiterait flatter son égo ou gagner un peu plus d'argent en faisant état d'un scoop, quitte à arranger la vérité. Dans le cas de la Corée, il n'est pas impensable que les services secrets aient monté une telle affaire afin de mobiliser l'opinion publique contre la Corée du Nord, et de rappeler aux Etats-Unis que leur mission de gardien reste à l'ordre

Pierre Rigoulot: Si les services secrets sur-coréens sont à l'origine d'une désiforamtion, ça pourrait être parce qu'ils trouvent qu'en ce moment il n'y a pas assez de tension entre les deux Corées. Mais aujourd'hui, ils reconnaissent qu'ils ne savent pas le degré de véracité de ces propos.

L'absence de démenti ou de confirmation de la Corée du Nord est intéressante: d'une part, ce n'est pas un régime qui communique beaucoup, ce qui permet l'absence de plusieurs semaine de Kin Jung Un sans qu'aucune explication ne soit avancée. D'autre part, cela permet de donner une image de régime très fort qui est importante pour maintenir sa position dans un monde qui globalement lui est opposé.

Dans un contexte de guerre hybride, peut-on imaginer que ces fausses informations servent à maintenir un climat de doute sur certains pays suspects, et peut on dès lors parler de propagande?

François-Bernard Huyghe: On peut parler de propagande dans le sens où l'on a une structure idéologique, une vision du monde partagé entre le camp du bien et le camp du repoussoir. Cette construction idéologique fonctionne en France mais surtout très bien aux Etats-Unis, et les lobbies utilisent cette rhétorique. On sait que le lobby coréen est très important aux Etats-Unis. Les informations fausses servant à la propagande sont parfois révélées, comme lors de la révélation du mensonge entourant les couveuses faussement débranchées par des soldats de Saddam Hussein au moment de la guerre du Golfe. Donc bien sûr, les propagandes utilisées pour justifier ensuite des comportement belliqueux sont couantes. Dans le cas de la Corée, on ne sait pas encore si la désinformation est avérée ou non, mais l'opinion publique internationate a bien été mobilisée contre ce régime. 

La stratégie de la Corée peut-elle être comparée à celle de la Russie ? dans quelle mesure ?

François-Bernard Huyghe: La Corée et l'URSS et, dans une moindre mesure, la Russie actuelle ont des comportements communs de mobilisation de l'opinion, d'un discours officiel simpliste qui repose sur le contrôle des médias. Cependant, ce n'est pas parce que ces régimes ont des pratiques qui ne correspondent pas aux nôtres que l'on doit mentir à leur sujet. On se doit de faire un examen de conscience. Par exemple, au moment de l'assassinat de Nemtsov, opposant à Poutine qui représentait le mieux des positions pro-occidentales mais qui ne faisait pas l'unanimité en Russie, les médias français se sont empressé de laisser peser le doute sur Vladimir Poutine. Au moment de l'arrestation du meurtrier, les médias ont eu du mal à se remettre en question. La détestation de Poutine fait recette, et on s'offusque facilement d'une loi anti-homosexuelle en Russie, avec raison, mais on ne dit rien des condamnations à mort perpétrées par l'Arabie Saoudite, alliée des régimes occidentaux.

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