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Pourquoi les garçons ont besoin de leur père (et pourquoi le monde féminisé dans lequel ils vivent les fait plonger dans un univers virtuel de porno et de jeux vidéo)
©Reuters

Father and Son

Les revendications féminines des décennies précédentes ont mis à mal le modèle masculin qui jusqu'alors régissait une société patriarcale. Alors que le nombre de divorces explosent, de plus en plus de jeunes garçons grandissent sans repères masculin, ce qui met en péril leur équilibre psychologique et comportemental.

Stéphane Clerget

Stéphane Clerget

Stéphane Clerget est médecin pédopsychiatre. Il partage son activité entre les consultations et la recherche clinique. Ses champs d’étude concernent notamment l’adolescence, les troubles émotionnels et les questions d’identité. Il a mis en place à l’hôpital l’une des premières consultations d’aide à la parentalité. Il est l'auteur de Nos garçons en danger (Flammarion) et Les vampires psychiques (Fayard).

Les vampires psychiques de Stéphane Clerget

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Atlantico: Pourquoi les garçons ont besoin d'une figure paternelle?

Stéphane Clerget : Lors de la construction de notre identité, on a tous besoin de repère et de représentation de son sexe. De l'autre sexe également, mais il est difficile de se construire en garçon si on n'a pas d'homme autour de soi. De plus, les relations parentales sont triangulaires, ce qui permet de défusionner avec la mère en s'identifiant à l'autre sexe. Mais il n'existe pas une figure paternelle. Il y a des pères qui s'occupent volontiers de jeunes enfants avec une tendresse maternisante, d'autres plus autoritaires et distants, il n'y a pas un père unique. Mais traditionnellement, le jeune enfant était confié aux figures féminines, puis à l'adolescence confié au père qui poussait le jeune garçon vers le monde extérieur.

Aujourd'hui l'absence de figure paternelle au sein du foyer n'est pas rare, et cependant les jeunes garçons ont du mal à s'y faire, d'autant que notre société, encore patriarcale, a supprimer de plus en plus des substitut à l(image du père: l'instituteur, le soldat ont disparu de notre environnement. Dans les familles également la femme était soumise à la figure du père, aujourd'hui l'égalité des sexes et la parité ont peu à peu effacé la place du père.

Aujourd'hui quel est la présence du père dans les foyers français?

On observe de plus en plus de situation d'enfants qui grandissent dans des foyers sans père. Les divorces notamment sont responsables de cette absence. Lorsqu'un enfant ne voit son père qu'un week-end sur deux, au cours d'activités purement ludiques, et que le père se remarie, alors l'enfant a du mal à construire des repères par rapport à cette figure. Souvent les enfants vont alors s'opposer au père et rejeter leur filiation, pour palier le sentiment d'abandon.

La féminisation du père en revanche n'est pas préoccupante. Ce qui compte c'est la présence  d'un modèle masculin référent. Le père et la mère sont toujours différentiables, et lorsque les pères sont maternant, souvent les mères le sont moins. Dans tous les cas, les activités du père seront considérées par le fils comme viriles, et ce dernier ne sera donc pas à la recherche d'une virilité outrancière.

Cependant un père dévalorisé, humilié voire maltraité par la mère peut amener des comportements troublants chez les jeunes garçons, qui dès lors auront une défiance par rapport aux figures féminines, et pourraient adopter des comportements machistes afin de rétablir l'équilibre.

Le problème majeure de notre société qui se féminise reste le fait qu'il n'y a pas de substitut au père: le corps professoral est majoritairement féminin, la classe politique se féminise également quand on réduit les effectifs de l'armée. Cette absence de modèle laisse les jeunes garçons désemparés et donc facilement happé par des modèles provenant des médias, jeux vidéo ou réseaux sociaux.

Pourquoi les garçons sont plus vulnérables à l'absence du père que les filles?

Les filles sont aussi vulnérable mais, alors que les filles intériorisent leur mal être - on observe beaucoup de cas d'anorexie mentale par exemple- les garçons ont eux une extériorisation de leur problème. Cela provient entre autre du sexe, extérieur et presque autonome chez les garçons. De plus les garçons doivent se détacher de la figure maternelle, et comme le rapport à l'action est plus récurrent chez les garçons, cela peut se manifester sous la forme de troubles du comportement. Enfin, assez tôt le garçon prend conscience qu'il ne pourra donner la vie, contrairement aux filles, et cette compréhension frustrante donne lieu à une pulsion de mort. C'est pourquoi on observe un attrait plus flagrant chez les garçons pour les jeux de guerre qui leur donne le pouvoir de reprendre la vie.

Ainsi il n'y a pas d'absence de souffrance chez les jeunes filles, mais cette souffrance s'exprime différemment : les garçons vont manifester par leur comportements parfois brutaux leur mal-être.

Où est ce que les jeunes garçons vont rechercher leur modèles masculin et quelles conséquences en découlent?

Les jeunes garçons se reportent sur les archétypes de la virilité: dans les milieux défavorisés notamment on observe une fascination de l'uniforme qui pousse à la confrontation avec les représentants de l'ordre, policiers ou agent de sécurité. Cela découle d'une recherche d'une figure parentale qui va s'opposer aux comportements du garçon. Il y a une surreprésentation des garçons en prison, qui s'explique notamment pour cet attrait de la confrontation à une autre figure masculine.

Il y a d'autres modèles, issus du rap notamment où les hommes sont bien représentés, mais aussi dans les médias, les réseaux sociaux. Enfin, d'autres garçons ne cherchent plus à s'identifier aux hommes mais plutôt aux femmes. Alors qu'au XIXème on observait surtout des femmes se déguiser en homme, aujourd'hui on observe le phénomène inverse.

Les comportements des ado au lycée Montaigne ou l'engagement dans le djihad sont ils significatifs?

Dans le cas du lycée Montaigne, l'absence de la figure paternelle joue, entre autres facteurs, un rôle: la méconnaissance d'une conduite masculine adéquate, favorisé par l'absence de modèle, empêche les jeunes garçons de comprendre les limites. Tous les enfants qui entrent dans l'adolescence sont curieux de l'autre sexe, mais l'imitation du père permet normalement de mettre en place des interdits, de comprendre la maîtrise de ses pulsions, et aussi de respecter la femme. Lorsque personne ne montre l'exemple, l'adolescent de sait pas quel est le comportement adéquat, et il peut alors se référer à des vidéos pornographiques qui n'ont pas de valeur éducative.

Le cas de l’engagement des adolescents dans le djihad est aussi significatif: le jeune va alors se créer un père imaginaire, chimérique qui porte l'image de l'homme puissant, guerrier. En général, la présence du père permet d'éviter d'être fasciné par ces modèles, mais si cette figure est absente, alors le garçon va partir à la recherche de cette construction virile. Comme la société ne propose pas d'alternative, les jeunes vont les chercher par eux-mêmes, dans un monde hyper connecté ou les liens tissés ne sont pas vraiment contrôlés, ni par la mère, ni par les autorités. Il semblerait que le rétablissement du service civique provienne de la prise de conscience de l'Etat de l'importance d'un modèle viril qui puisse servir de substitut à la figure du père.

Les jeunes garçons à l'adolescence sont sensibles et fragiles, mais semblent ne pas vouloir ni pouvoir le montrer. Les comportements qu'ils adoptent semblent vouloir montrer au contraire une grande force : cette duplication peut-elle à terme être dangereuse pour l'épanouissement d'un adolescent en adulte?

Les adolescents, et surtout les garçons ont du mal à s'exprimer. Ils retiennent leurs émotions et s'ils ne peuvent pas communiquer leurs problèmes avec leur mère, ils vont avoir tendance à se refermer. L'absence de l'expression verbale favorise le passage à l'acte. C'est aujourd'hui problématique dans une société ou l'expression des émotions et des sentiments est extrêmement valorisée.

De plus, ils ne peuvent pas parler à leur mère de leur changement physique ou affectif, de peur de ne pas trouver une bonne compréhension. La construction de leur identité en est fortement fragilisée.

Dans une société où il y a de plus en plus de divorce et une féminisation aussi des pères de famille, comment peut-on rétablir une image positive de la virilité? Quelles sont les pistes pour sauver les garçons?

La première chose est de mieux traiter les divorces: aujourd'hui, beaucoup de père ne se sentent pas légitimes pour revendiquer la garde de l'enfant, et les juges généralement accordent une garde en faveur de la mère. Il faut absolument que les pères prennent leur responsabilités et partagent à temps égal la garde des enfants. L’intérêt de l'enfant doit être primordial dans ces considérations.

Il faut également travailler sur les relais offerts par la société: la parité homme/ femme dans les milieux éducatifs est aussi importante que dans les milieux politiques!

En revanche les tentatives de changements dans les jeux vidéo ou dans les films pornographiques sont inefficaces: les adolescents ne se penchent pas vers ces médias qui semblent mieux adapter. Mais les fictions doivent arrêter de présenter des hommes incapables de changer des couches, mais ultra-violents ou criminels. Dans ces registres-là, on peut changer les narrations afin de redonner des modèles plus équilibrés aux garçons.

Il est en tout cas urgent de redonner de l'espoir, des modèles à des jeunes garçons qui sont en danger et qui se tournent de plus en plus vers des comportements dangereux, des délinquances à l'addiction aux drogues ou autres psychotropes. Nos garçons sont en danger, et c'est toute la société qui est fragilisée.

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