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Comment parler à ses enfants de… secrets de famille
©Reuters

Série : comment parler à ses enfants de...

Les secrets de familles sont des sujets tabous. On ne peut en parler mais chacun peut se douter de leur existence. Ils deviennent un poids pour l'ensemble des membres d'une famille et encore plus pour les enfants.

Marie-Noëlle Clément

Marie-Noëlle Clément

Marie-Noëlle Clément est psychiatre, psychothérapeute et dirige l'hôpital de jour pour enfants du CEREP à Paris. Elle donne régulièrement des conférences sur la question des transmissions entre les générations. En 2013 elle a publié « Comment te dire ? », un livre pour parler des événements de la vie, d'une manière adaptée, aux tout-petits. 

 
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Atlantico : On entend qu’il est important de parler des secrets de famille, y compris avec les enfants. Pourtant, il peut être très angoissant pour un parent d’aborder un secret familial avec son enfant. Est-ce vraiment une nécessité de le faire, et si oui pourquoi ?

Marie-Noëlle Clément : Les secrets de famille sont les ennemis de la communication dans la famille. C’est tout un pan de l’histoire familiale que l’on passe sous silence, parfois on cesse de parler des personnes impliquées dans l’événement, et on évite d’aborder des sujets similaires même s’ils concernent les voisins ou l’actualité. Un enfant qui grandit dans une famille à secret apprend très vite à repérer les questions qui pourraient gêner ses parents, et il éteint peu à peu sa curiosité.

Pourtant, même si le secret n’est pas dit avec des mots, il s’exprime par d’autres voies : ces sujets bannis des conversations familiales, ces accès émotionnels incompréhensibles chez son entourage à l’occasion d’un film ou d’un documentaire vu à la télévision et qui vient rappeler l’événement douloureux. Dès lors, l’enfant est partagé entre les questions qu’il se pose devant ces attitudes énigmatiques, et l’interdit implicite de les formuler. C’est une source de souffrance pour lui.

Tous les secrets sont-ils bons à révéler ? Comment distinguer ceux qui peuvent concerner les plus jeunes, et ceux qui ne les regardent pas ? Un adulte peut-il ou doit-il garder un « jardin secret » ?

Il est important de parler aux enfants de tout ce qui les concerne, soit directement en changeant quelque chose dans leur vie quotidienne (par exemple la maladie grave d’un parent), soit indirectement en affectant l’humeur de leurs proches (par exemple un décès dans la famille, un accident, une période de chômage). Et il est fondamental d’aborder avec eux la question de leur origine car c’est ce qui fonde et structure leur rapport au monde : ainsi l’adoption d’un enfant, ou sa naissance par procréation médicalement assistée doivent lui être expliquées.

En revanche, il est un pan de l’existence des parents qui ne les concerne à aucun titre, c’est celui de leur  vie sexuelle et amoureuse. On a ainsi coutume de dire que le droit de savoir des enfants s’arrête devant la porte de la chambre parentale !

Ce qu'on peut dire et ne pas dire concernant un secret de famille est-il fonction de l'âge de l'enfant? Comment trouver les bons mots pour dévoiler un secret sans bouleverser l'enfant ?

A chaque âge il existe une manière adaptée de dire les choses à un enfant. Plus tôt on commence à parler à son enfant d’un événement familial douloureux, plus tôt on se familiarise avec les mots qui le désignent, même si l’enfant est encore petit et peu capable de comprendre. On évite ainsi la constitution d’un tabou qu’il n’est jamais facile de rompre dans un second temps.

En revanche, il est bien évident que la précision du propos dépend de l’âge de l’enfant : si sa tante est incarcérée pour un meurtre, on dira à un jeune enfant qu’elle est en prison car elle a fait quelque chose d’interdit, et si l’on continue d’en parler régulièrement viendra forcément un moment où l’enfant demandera ce qu’elle a fait. On peut alors questionner l’enfant sur ses propres représentations : « A ton avis, pourquoi est-ce qu’on peut aller en prison ? » Cela permet d’évaluer où il en est, quels mots il utilise, et d’éviter de répondre quelque chose qui lui fasse violence par un excès de précision.

Quel peut-être le poids d'un secret de famille ? Peut-il se transmettre de génération en génération ?

Le propre d’un secret de famille est justement de créer une rupture dans la transmission entre les générations. Ce n’est donc pas le secret qui se transmet, mais ses effets. Des symptômes liés aux troubles de la communication intra familiaux peuvent apparaître chez les enfants : troubles des apprentissages, angoisse, insécurité. Devenus adultes, en l’absence d’élaboration du secret familial, ils peuvent soumettre leurs propres enfants aux mêmes non-dits et à des formes de communication également très perturbées.

Y-a-t-il une date de péremption pour un secret, une période de temps à partir de laquelle il n'est plus nécessaire d'en parler?

Disons que le plus tôt est le mieux… mais que mieux vaut tard que jamais ! Et ce qui n’a pas été dit à une génération gagne toujours à être dit à la suivante. Avoir accès à son histoire familiale est un droit pour chacun. C’est sur cette base que nous nous construisons.

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