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"La tentation de l'homme-Dieu" : la dangereuse diminution des naissances naturelles
©Reuters

Bonnes feuilles

Dans un essai vif et provoquant, Bertrand Vergely s’attaque aux effets dramatiques d’un fantasme qui prend aujourd’hui toute la place : le désir d’en finir avec nos limites, la tentation de l’homme-Dieu. Extrait de "La tentation de l'homme-Dieu", de Bertrand Vergely, publié chez Le Passeur Editeur (2/2).

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Le projet de mettre fin à la différence sexuée porte en lui le risque de faire disparaître la sexualité en coupant celle-ci de ses racines ontologiques. Le projet d’un utérus artificiel pour faire naître les enfants comporte en lui le risque de faire disparaître le corps.

Certes, tout n’est pas facile dans la façon dont, aujourd’hui, on met les enfants au monde. Il y a la douleur de l’accouchement. Il y a la douleur du désir d’enfant non satisfait à cause d’un problème de stérilité chez un couple. Il y a le désir d’enfant chez les couples homosexuels, à cause des limites assignées par la nature. Il y a le désir de séparer la sexualité de la procréation afin de ne plus avoir à vivre dans l’angoisse d’une naissance non désirée ; ou bien encore pour éviter d’avoir à subir le poids de la contraception ou de l’avortement. D’où ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Faire l’expérience d’une humanité nouvelle, délivrée de la procréation telle qu’elle a lieu, séduit. Une femme ne doit pas être enchaînée à la fatalité de ses organes génitaux, disait Simone de Beauvoir. Et si l’on essayait une humanité délivrée de la reproduction attachée à la nature, se demande Henri Atlan ? Question importante. Problématique, toutefois.

Il n’est tout de même pas anodin de passer par un utérus artificiel pour faire naître les êtres humains. Peut-on, comme cela, accepter un tel projet au vu des arguments développés ci-devant ? Il est possible aujourd’hui d’accoucher sans douleur grâce à une injection péridurale. Est-il indispensable de passer par un utérus artificiel pour échapper aux douleurs de l’accouchement ? L’injection péridurale ne résout-elle pas déjà ce problème ?

Beaucoup de couples souffrent de ne pas pouvoir avoir d’enfant alors qu’ils en désirent un. Et l’on comprend l’espérance que pourrait représenter pour eux l’utérus artificiel. Admettons que, demain, pour satisfaire leur demande, le législateur permette cette nouvelle forme de procréation. Quelle en sera la limite ? Aujourd’hui, un couple souffre de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Et si, demain, il souffre d’avoir un enfant blond aux yeux bleus alors qu’il en désirait un châtain avec des yeux bruns ? Que fera-t‑on ? Interviendra-t‑on sur le foetus pour changer sa programmation ? Et si tel est le cas, là encore, quelle sera la limite ? Une fois que l’on aura choisi la couleur des cheveux et des yeux, que programmera-t‑on ? Le génie ? Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes a imaginé la création d’un monde parfait avec la fabrication des bébés en laboratoire par la science 2. L’utérus artificiel n’ouvre-t- il pas la porte à cette utopie monstrueuse ? S’il est dur pour un couple de ne pas pouvoir avoir d’enfant, faut-il pour autant en conclure que la nature est injuste et corriger celle- ci en mettant en place un « droit à l’enfant » ? Si tel est le cas, que va-t- il rester de la liberté de l’enfant ? Comme l’a dit Lionel Jospin, on parle d’un droit à l’enfant, mais ne doit-il pas y avoir aussi un droit de l’enfant ? Un enfant n’est-il destiné qu’à satisfaire le désir d’enfant des adultes ?

Cette question qui se pose pour les couples homme-femme se pose sous une autre forme pour les couples homosexuels. On peut comprendre leur douleur de ne pas pouvoir avoir d’enfant, alors qu’ils en souhaiteraient un pour concrétiser leur amour. Néanmoins, puisque de droit il s’agit, si un enfant naît dans un couple homosexuel composé de deux hommes, il n’aura pas de mère, et s’il naît dans un couple composé de deux femmes, il n’aura pas de père. Il est lourd de ne pas avoir de père ou de mère. Sous prétexte de satisfaire le désir d’enfant chez des adultes, a-t‑on le droit de priver un enfant de son père ou de sa mère ? L’État s’efforce de venir en aide aux orphelins. Peut-il sans contradiction créer des orphelins ?

On veut pouvoir séparer la sexualité de la procréation. Ce qui est là encore compréhensible. Que d’angoisses évitées ! Que de violences évitées également ! Néanmoins, est-ce respecter la sexualité que de la séparer totalement de son lien avec la vie ? N’est-ce pas aller dans le sens de ce qui en fait déjà un jouet ? Il existe à l’heure qu’il est beaucoup d’irresponsabilité en matière sexuelle. Si la société décide de couper le lien entre vie et sexualité, cette irresponsabilité ne va-t‑elle pas devenir totale ? Et devenant totale, ne va-t‑elle pas, au bout du compte, tuer la sexualité en lui faisant perdre tout son sel ? La sexualité étant liée au pouvoir de donner la vie, si elle est coupée de ce pouvoir, aura-t‑elle la même puissance ? Privée de sa résonance génésique, sera-t‑elle encore sexuelle ?

Enfin, il existe un destin biologique faisant que la procréation est toujours passée par l’homme et la femme et, avec eux, par l’utérus féminin. On peut comprendre qu’existe le désir qu’il en soit autrement. Néanmoins, est-ce aussi contraignant que cela semble l’être ? Quand un enfant naît du ventre de sa mère, il a durant neuf mois un contact avec elle comme elle a un contact avec lui. Si bien que l’enfant est plongé, durant tout ce temps, dans un bain d’intimité. Il est structurant de vivre dans un tel bain. Cela nourrit. Cela rend fort. Si, demain, un enfant naît d’une machine, quel lien intime avec une mère aura-t‑il ? Quant à la mère, qui n’aura pas porté son enfant, son lien avec celui-ci ne deviendra-t‑il pas abstrait ? L’enfant étant coupé de sa mère et la mère étant coupée de l’enfant, celui-ci naîtra de la dureté de l’homme, et non plus de l’homme. Coupé de sa sensibilité profonde, il n’aura plus les vibrations corporelles que donne le contact intime avec la mère. Il sera de ce fait exclu de sa propre chair.

D’une façon générale, il est beau de naître dans un corps fait d’humanité. Cela veut dire que, dès le début de la vie, on est plongé dans la vie, dans l’humanité ainsi que dans la sensibilité. Si, demain, l’enfant naît de machines, avec la science pour seule mère et pour seul ventre, il lui manquera quelque chose : une intimité avec l’humanité, venue de ce que l’on naît du corps de celle-ci quand on naît du corps d’une mère. On ne connaîtra peut-être plus le destin biologique. Mais on connaîtra le destin de la machine et, à travers elle, du fantasme de la science comme de l’homme-Dieu de voler à la femme la maternité.

Extrait de "La tentation de l'homme-Dieu", de Bertrand Vergely, publié chez Le Passeur Editeur, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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