Psychodrame autour du cas Proglio : dans les méandres du tortueux système français de composition des conseils d’administration<!-- --> | Atlantico.fr
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Henri Proglio a renoncé à la présidence non exécutive de Thales.
Henri Proglio a renoncé à la présidence non exécutive de Thales.
©Reuters

Grandes entreprises

Le renoncement d'Henri Proglio à la présidence non exécutive de Thales sous la pression de Bercy en dit long sur les coulisses du système français des conseils d'administration. La raison : son implication dans l’agence russe du nucléaire civil et militaire Rosatom, incompatible avec les activités de défense du groupe d'électronique spécialisé dans l'aérospatial.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Divine surprise et théâtre antique sont les deux premiers mots qui jaillissent de la source gazeuse qu'est l'affaire de la non-nomination d'Henri Proglio à la présidence non exécutive de Thalès.

Divine surprise ? Oui, car l'Etat a montré son goût pour le bâton et fait acte d'autorité. Une fois n'est pas coutume si l'on songe aux questions de gouvernance qui se posent parfois dans le secteur public. Et pourtant Thalès est bel et bien privé...

Triste surprise car l'Etat prive donc Thalès de la compétence incontestable d'Henri Proglio au moment où ce groupe doit être en plein état de marche du fait des commandes de ses donneurs d'ordre : Airbus et Dassault via les ventes de Rafale.

La surprise, pour divine qu'elle soit pour les amateurs de coups de menton du top-management du versant Macron de Bercy est une perte de chance pour un groupe qui est dans l'expectative depuis le départ, en octobre 2014, de Jean-Bernard Lévy pour la présidence d'EDF.

Mais, l'Etat "empereur des injonctions contradictoires" pour reprendre le mot délicat de Stéphane Richard, président d'Orange (iTélé, 29 avril 2015), a fait mieux : il a voulu mimer le théâtre antique et sa célèbre trilogie en faisant revêtir au ministre Macron non pas la voix d'un chanteur sous les ors du Sénat (Joe Dassin !)  mais le rôle de coryphée de Bercy qui répète en chœur qu'il n'a eu aucune influence majeure dans le retrait de candidature d'Henri Proglio. Qui le croit ?

Savoir jeter l'éponge quand d'autres vous traitent comme "une serpillière" (propos récents, dans un autre domaine, de Jean-Paul Huchon) et voir un conflit d'intérêts démenti par des analyses juridiques dont celle du pertinent Jean-Pierre Mignard pose question.

En l'état actuel du dossier, la rationalité et les textes (Code de Commerce, charte AFEP, etc.) conduisaient à la bonne et valable proposition de la nomination de l'ancien président d'EDF.

Les faits (ses mandats avec des intérêts russes) et l'état du droit autorisaient la bonne fin de cette opération. Sauf à imaginer qu'il soit avéré que Docteur Henri et Mister Proglio seraient tellement bipolaires qu'ils n'auraient su que cultiver le mot de trahison des intérêts nationaux une fois nommé (s). L'hypothèse doit être évoquée, testée et répudiée au nom du sillage professionnel et personnel de ce grand capitaine d'industrie.

Clairement, Henri Proglio est tombé sur un accès de macronite, cette maladie que l'on contracte parfois avant 40 ans quand la jubilation du pouvoir l'emporte sur le sang-froid et quand le narcissisme (tellement décelable : France 2 : "Des paroles et des actes") finit par altérer les séquences cognitives fondamentales.

Au lieu de chercher des poux dans la tête d'un dirigeant, un ministre ferait mieux d'expliquer au pays pourquoi il lui faut tant de mois pour faire aboutir un texte de loi très incertain en qualité et en opportunité.

En fait par-delà le cas d'Henri Proglio qui n'est pas le cœur de notre propos, il est patent que l'Etat stratège veut se muer en grand sélecteur pour ne pas dire sélectionneur des capitaines d'industrie.

L'ancien conseiller industriel de Georges Pompidou, Bernard Esambert, (qui n'aura pas un boulevard à son nom contrairement à Monsieur le ministre Macron) savait proposer des noms avec minutie et cohérence. Loin du jeu des accointances que le ministre Sapin n'a jamais effectué lorsqu'il était ministre de plein exercice. Question de panache.

Le président François Mitterrand, ancien élu du Morvan, a indiqué à plusieurs reprises que le principal pouvoir du Président de la République, "c'est celui de nommer". Le président Hollande a parfaitement compris cette réalité : il est surprenant, navrant que des membres du Gouvernement de Manuel Valls s'arroge le droit – nous voulons dire s'arrange avec le droit – pour jouer au hochet avec une prérogative présidentielle souvent constitutionnellement encadrée. Et qui ne s'applique pas à Thalès.

La France a connu le capitalisme barbichette – l'endogamie – avec la composition des noyaux durs issus des privatisations d'Edouard Balladur en 1986. Des années plus tard, grâce à l'action de Marc Viénot ou du président Daniel Lebègue qui fonda l'Institut Français des Administrateurs (IFA désormais présidé par Agnès Touraine), grâce à la loi Zimmerman sur la parité, nous étions tous en droit d'escompter du mieux.

Par un jeu que nous nommons les "obligeances mutuelles", un ministre de l'Economie a perturbé un écosystème. Mais dans quel but final ? L'effet boomerang risque d'être au rendez-vous via des castes d'écoles, des clans à goulot étroit, des nuances intra-obédiences. C'est ainsi. La nature humaine ne va pas aimer le sort fait à Proglio.

Pour quelqu'un qui aime l'argent et la banque d'affaires, il faut à l'appui de cette tragédie à la française qu'il a générée citer un prince de la banque d'affaires, à savoir Antoine Bernheim (ancien associé-gérant de Lazard Frères et président de Generali) : "La reconnaissance est une maladie du chien non transmissible à l'homme".

Laurent Fabius a proclamé, post 2012, qu'il fallait "un patron à Bercy". Chasser le patron du privé ne nous semble pas avoir été dans son " track-record" : question de conception de cette si délicate notion que l'on nomme l'élégance.

Enfin, il est patent qu'avant 40 ans, on croit que l'homme de pouvoir remplit sa musette personnelle de la reconnaissance de ses inféodés. Erreur. Oui, erreur !

C'est feu Bernheim qui a sorti la vérité de son esprit aussi fécond que sagace.

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