La force paradoxale des années 1980 : pourquoi la décennie la moins diverse musicalement est pourtant la plus créative (et ce sont des ordinateurs qui le prouvent) <!-- --> | Atlantico.fr
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Les Beatles détiennent toujours, aujourd'hui, un record absolu avec plus de 209 millions d'albums vendus aux Etats-Unis.
Les Beatles détiennent toujours, aujourd'hui, un record absolu avec plus de 209 millions d'albums vendus aux Etats-Unis.
©Flickr / Luis Fernando et Sonia Maria

On nous aurait menti

Des universitaires anglais ont analysé 17 000 chansons qui apparaissent dans le Billboard Hot 100 américain entre 1960 et 2010.

Des scientifiques anglais de l'Université Queen Mary et de l'Imperial College de Londres ont étudié les styles musicaux des années 1960 à 2010 grâce à un ordinateur. Ces deux chercheurs ont mis en exergue ce qu'ils nomment le "paradoxe des années 1980". Selon leur logiciel, la musique de cette décennie est la plus homogène. Et d'expliquer : "Ces sons et styles de l'époque Reagan, qui ont ont inondé la scène musicale, ont relegué au second plan des genres comme la country et le folk." Malgré cette homogénéité, cela ne veut pas dire que la musique était de mauvaise qualité ou peu créative mais plutôt que l'on avait trouvé quelque chose de suffisamment entraînant et que tout le monde s'est aligné. 

Voici un extrait de cette musqiue des années 1980, "Ordinary World" du groupe Duran Duran :

Selon le quotidien britannique The Guardian, les chercheurs ont analysé les tendances musicales figurant en tête des ventes entre les années 1960 et 2010. Ils ont étudié les accords, les harmonies et les tonalités des chansons. Ils se sont basés sur 30 secondes de 17  000 chansons qui apparaissent dans le fameux Billboard Hot 100 américain. Armand Leroi, un biologiste spécialiste de l'évolution à l'Imperial College de Londres, et Matthias Mauch, chercheur en informatique à l'Université Queen Mary de Londres, ont retranscrit en algorithmes et graphiques informatiques les différentes caractéristiques de ces morceaux.

"Pour la première fois, nous pouvons mesurer les ventes musicales sur une échelle large, explique Matthias Mauch, l’un des auteurs de l’étude. Nous pouvons aller plus loin que ce que les experts en musique nous disent, en regardant directement dans les chansons, en mesurant leur composition et en comprenant comment elles ont évolué." Ces deux chercheurs n'ont pas peur de créer un véritable scandale outre-Manche. En effet, ces derniers ont eu l'audace de déclarer que, d'après leur étude publiée dans le journal Royal Society Open Science, les Beatles n'auraient pas eu une telle influence sur la musique des années 1960. Il est tout de même intéressant de rappeler la chronologie du succès du groupe avant d'aller plus loin.

Le 13 janvier 1964, I Want to Hold Your Hand des Beatles sort aux États-Unis. Moins d'un mois plus tard, la chanson est numéro 1. Les "Fab Four" arrivent à New York le 7 février. Quelques jours plus tard, ils interprètent cinq chansons dans l'émission The Ed Sullivan Show. Plus de 73 millions de téléspectateurs regardent en direct le programme qui explose ainsi son record d'audience. Après avoir conquis tout le royaume britannique, Paul, John, Ringo et Georges séduisent les Etats-Unis. Suite à ce succès, les Beatles sont rapidement suivis sur le sol américain par les Rolling Stones, les Kinks et les Who. La "Beatlemania a donc franchi l'Atlantique. En 1964, le classement du Billboard Hot 100 aux Etats-Unis fait apparaître cinq titres des Beatles aux cinq premières places.

Mais, les conclusions de l’étude de 2015 sont sans appel. Alors que l'on a souvent parlé d'une révolution musicale, venue du Royaume-Uni, la pop britannique du début des années 1960 a certes fait évoluer la musique, mais n’a pas provoqué de chamboulement dans les charts américains. Et de comparer le style musical des Beatles à celui des Beach Boys par exemple, qui caracolaient déjà en haut des charts avec Surfin ' USA. Ce titre, écrit par Brian Wilson, est le premier gros succès des "garçons de la plage". Il est sorti en 45 tours le 4 mars 1963, soit un an avant la "vague" Beatles.

Selon les deux scientifiques trois "révolutions" ont été mises en évidence : en 1964, donc mais aussi en 1983 et en 1991, la dernière étant de loin la plus importante, à leurs yeux. Celle de 1964 a été marquée par le développement de plusieurs styles en même temps, notamment la soul, le rock et le doo wop, une variante du rhythm and blues. Celle de 1983, par le new wave, le disco et le hard rock. Ces styles sont apparus avec l'adoption des synthétiseurs, typique du chanteur Phil Collins. Les changements d'accords, eux, sont caractérisitiques de groupes comme Mötley Crüe, Van Halen, Queen, Kiss... 

Enfin, nouvelle révolution due au hip-hop, selon Armand Leroi, avec une nette augmentation des chansons aux "discours énergiques" et "sans accords". Cette étude montre aussi que plus que le funk ou le disco "l’émergence du hip-hop, qui est arrivé dans les charts en 1991, a réinventé le paysage musical comme jamais auparavant", note The Guardian. "Cette révolution est la plus importante, explique le docteur Mauch à la BBC." Il va plus loin encore en analysant le rythme du rap : "nous avons regardé les harmonies, et le rap et le hip-hop n’en utilisent pas beaucoup. L’accent est mis sur la voix et le rythme. C’était une vraie révolution : tout à coup, c’était possible d’avoir une chanson pop sans harmonie." Il affirme aussi que "le rap et le hip-hop ont permis aux "chars" d'être moins fades".

Les résultats de cette étude sont loin de convaincre tout le monde. Mike Brocken, maître de conférences à la Liverpool Hope University est sceptique : "la musique populaire ne peut pas être mesurée de cette façon", il faut aussi prendre en compte d'autres facteurs déterminants comme "la réception, l’économie politique, et les sous-cultures". Et d'ajouter : "Je ne pense pas que cette sorte d'analyse musicale formaliste serve à quoi que ce soit. Les Beatles ont apporté beaucoup de choses aux gens. Que ce soit par le biais d'un accord en La majeur ou en La mineur, cela ne fait aucune différence."

Pour Matthias Mauch, l'étude fournit des données scientifiques rares sur l'évolution de la pop. "Certains experts et scientifiques prétendent que la musique s'uniformise", dit-il, "mais en analysant les données récoltées, nous n'observons pas ce phénomène". Ainsi, même si les critiques ont encensé les compositions du duo Lennon-McCartney des Beatles, l'influence des grands du hip-hop tels Afrika Bambaataa, Run-DMC et plus récemment Jay Z est plus forte. Une chose est sûre, cette étude a fait couler beaucoup d'encre au Royaume-Uni. "Beaucoup de bruit pour rien ?" comme dirait Shakespeare.

Voici un des tubes de Run DMC "It's like that" :

Lu sur PBS

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