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"Je suis Charlie" : une opération de récupération qui restera un cas d’école de manipulation politique
©Reuters

Bonnes feuilles

"La marche des lemmings", livre choc de Serge Federbusch, explique comment le pouvoir socialiste a manipulé l’opinion au moment des attentats de janvier pour escamoter ses faillites et sa responsabilité. Et comment la manifestation monstre du 11 janvier résulte elle aussi d’un conditionnement pour dévier l’émotion populaire vers le "pas d’amalgame" en niant l’évidence des progrès du fondamentalisme musulman en France. Extrait (1/2).

Google et Yahoo, internet

Serge Federbusch

Serge Federbusch est président d'Aimer Paris et candidat à l'élection municipale de 2020. Il est l'auteur de La marche des lemmings ou la 2e mort de Charlie, et de Nous-Fossoyeurs : le vrai bilan d'un fatal quinquennat, chez Plon.

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Quand l’arbre est petit, le jardinier peut encore le manipuler mais quand il est grand, il ne pourra plus le redresser. Abu Shakour, poète persan du xe siècle

Pour un beau moment d’émotion collective, ce fut un beau moment !

Un peuple uni, sans distinction de race, de religion ou de convictions ; des chefs d’État et de gouvernement du monde entier réconciliés, déambulant dans Paris aux bras d’un président de la République déconsidéré la veille encore et qui gagnait, en quelques heures, des galons de chef de guerre plané- taire ; une presse qui déversait à chaudes encres son émoi devant pareil tableau. C’était comme une ONU miniature débarrassée des discussions oiseuses qui défilait près du boulevard Voltaire, comme un gouvernement d’union nationale inédit depuis 1918 qui la suivait, comme une masse populaire soudain ressoudée. Tout cela ressemblait à s’y méprendre à l’un de ces phénomènes de communion religieuse dont la politique n’est parfois que le dérivatif.

Le surlendemain, on allait même jusqu’à entonner la Marseillaise dans l’hémicycle, pour la première fois précisément depuis 1918. Les un million sept cent mille morts français de la Première Guerre mondiale ont dû, dans leur éther, se sentir heureux d’être rejoints par la cohorte des dix-sept victimes de janvier 2015.

Certes, depuis Marguerite Duras et Hiroshima son amour, on sait que les malheurs ne s’additionnent pas et qu’un seul être meurtri peut dépeupler toute l’espérance humaine. Mais enfin, un tel hymne retentissant pour la première fois à l’Assemblée nationale en quasiment un siècle, n’était-ce pas aussi, en voulant honorer leurs victimes, donner une importance extrême à trois meurtriers abjects ? Pouvait-on s’émouvoir d’une tuerie de quelques jours comme de la pire hécatombe de l’histoire de France sans s’interroger, qui plus est, sur la raison profonde de cette tragique situation ?

Fi ! Sur le moment, les voix dissonantes étaient rarissimes et inaudibles. J’en étais néanmoins, qui osais demander s’il n’y avait pas quelque paradoxe à défiler pour la liberté d’expression quand on avait tout fait pour museler des polémistes, comme Éric Zemmour quelques semaines plus tôt.

Après tout, que font les islamistes sinon s’en prendre à ceux qui les dérangent, d’une manière il est vrai carrément plus barbare ?

Je posais également la question de l’étrange cavale des frères Kouachi qui avaient pu s’enfuir de Paris sans presque être inquiétés après avoir semé la mort et la terreur pendant plus de trente minutes au cœur de la ville. Risque-tout, j’allais même jusqu’à suggérer que la montée d’un islamisme violent en France relevait de la responsabilité de ceux qui organisaient, pour leur plus grand profit, la scénographie de ce splendide moment de vivre ensemble.

Mais nous étions bien peu à oser exprimer ces doutes. Et plutôt en mauvaise compagnie quand le conspirationniste Thierry Meyssan se hasarda à suggérer qu’on avait en réalité affaire à une entre- prise du Mossad et des Américains. Inutile de dire que, pendant près d’une semaine, il n’y eut pas foule pour s’écarter de la foule.

Tout cela me rappelait le désarroi d’un Bertrand Russell qui vit, en 1914, sitôt la guerre déclarée, ses camarades pacifistes se transformer en ardents bellicistes prêts à bouffer du boche. Un minimum de bon sens politique vous fait alors vous tenir coi, sachant qu’on ne peut rien contre un déferlement d’unanimisme grégaire. Décidément, notre époque ressemble de plus en plus à celle qui précéda la grande boucherie des tranchées et les références à ces temps troublés reviennent souvent. Ce ne peut être le fait du hasard ni de la seule commémoration du centenaire de ce conflit.

Quoi qu’il en soit, le peuple, tout au moins une partie de celui-ci, se rassembla et défila. La statue de la République à Paris fut transformée en monument expiatoire où les bobos du centre-ville et autres curieux en goguette déposaient des cierges de papier et suspendaient des ex-voto, comme dans une sorte de fontaine miraculeuse où l’on jette des pièces pour s’attirer la bienveillance astrale. Cette scène prit au fil des jours des allures de dépotoir à bons senti- ments. Pour un peu, les amoureux, dont les cadenas sont chassés du Pont-Neuf, viendront prier les âmes impies des journalistes de Charlie Hebdo pour qu’elles protègent leurs ébats coquins. Une sorte de tabernacle en mémoire des victimes fut même installé à la hâte et les dévots invités à se recueillir devant ses ciboires. Allait-on voir une forme de grotte lourdaise installée en plein Paris, honorée par les libres penseurs ?

Il fallait s’y attendre, cette touchante unanimité ne pouvait durer longtemps. Elle ne saurait évacuer toutes les questions que les massacres des 7, 8 et 9 janvier 2015 susciteraient tôt ou tard. Puisqu’on est confronté, c’est bien connu, à une forte accélération de l’Histoire, je serai à nouveau parmi les premiers à perturber dans un livre, par un retour critique sur cette semaine consternante, la litanie de la bien-pensance.

N’avons-nous pas assisté à une opération de récupération qui restera un cas d’école de manipulation politique ? Ces rassemblements, dont François Hollande a dit qu’ils formaient la garde avancée de l’unité française retrouvée, qualifiée d’« esprit du 11 janvier », n’étaient-ils pas comme une marche des lemmings, ces petits rongeurs dont on prétend qu’ils se regroupent et se serrent les épaules, pour des raisons mystérieuses, et vont cahin-caha se précipiter du haut des falaises, dans un suicide collectif aux allures processionnaires ?

La grande peur des petits Blancs qui a saisi la France au début de 2015 s’estompa presque aussi vite que la trace de leurs pas sur l’axe Nation-République, gommée par le caoutchouc des roues des automobiles engluées dans les embouteillages parisiens. Elle mérite néanmoins qu’on s’y attarde car il est hélas probable qu’elle préfigure des déboires plus fâcheux encore.

A lire : "La marche des lemmings… ou la 2e mort de Charlie - Le pouvoir de la manipulation et la manipulation au pouvoir", publié chez Ixelles Editions, 2015. Pour acheter ce livre,cliquez ici.

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