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Au cœur du scandale HSBC  : une absence totale de contrôle (et des règles en faveur des évadés fiscaux ?)
©Reuters

Bonnes feuilles

En février 2015, au terme d’un an d’enquête, qui mobilise plus de 150 journalistes de 50 pays, SwissLeaks révèle l’existence d’un système international de fraude fiscale et de blanchiment d’argent qui aurait été mis en place par la banque HSBC à partir de la Suisse. À l’origine de ce scandale d’ampleur internationale, il y a un homme : Hervé Falciani. Informaticien à la HSBC Private Bank de Genève, il est celui qui a décidé de rompre le sacro-saint secret bancaire helvétique. Extrait de "Séisme sur la planète finance", publié aux éditions La Découverte (1/2).

Hervé  Falciani

Hervé Falciani

Hervé Falciani, 43 ans, Franco-Italien né à Monaco d'un père banquier est ingénieur informatique. Il est l'homme par qui l'affaire HSBC et les révélations SwissLeaks sur le système international de fraude fiscale ont été rendues publiques. Un scandale qui n'en est sans doute qu'à ses débuts.

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Un jour, au cours d’un apéritif, un gestionnaire de portefeuilles m’a confié que la banque lui avait demandé de vérifier si la société d’un entrepreneur qui avait déposé deux millions de francs suisses existait vraiment. Les responsables du bureau juridique voulaient une photo de l’usine pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une opération de blanchiment d’argent sale.Mais le gestionnaire m’a dit sans détour qu’il n’en avait rien eu à foutre, et qu’il était allé à Milan assister à unmatch de foot.

Tel était le mode de raisonnement des gestionnaires. Dans ces années-là, on n’accordait pas beaucoup d’attention à l’évasion fiscale et on ne savait rien du rôle des paradis fiscaux. À la banque, ils avaient intérêt à continuer à travailler ainsi, sans contrôle et sans laisser de traces, parce que si vous ne laissez pas de traces, vous ne risquez pas qu’un délit apparaisse plus tard au grand jour. Aujourd’hui encore, malgré la crise économique, ce problème reste trop souvent ignoré.

L’absence de contrôle engendre un régime d’impunité, surtout si la banque n’a de comptes à rendre qu’à elle-même. Et quand c’est vous qui gardez la porte d’entrée de la finance et que vous savez que, dans votre pays, il n’y a pas de système judiciaire qui viendra vérifier ce que vous faites, vous aurez alors une excuse pour dire que vous ignoriez, par exemple, que tel client était un dictateur et qu’il n’était pas autorisé à posséder tout cet argent hors de son pays. Vous direz que vous n’êtes qu’un gestionnaire de portefeuilles et que vous ne saviez pas. Vous soutiendrez qu’il n’est pas interdit d’avoir comme client le fils d’un ministre qui possède la principale entreprise pétrolière de son pays. À moins que l’ONU ne décide que cette personne est un criminel de guerre, la loi vous y autorise.

C’était ce qui se passait : le gestionnaire devait évaluer la réputation de chaque client et communiquer à la banque les risques potentiels, mais sans aucun contrôle. Les gestionnaires bénéficiaient du soutien de la banque et ne risquaient pas de voir quelqu’un dénoncer les failles.

En Suisse, pour pouvoir travailler, vous avez besoin d’une lettre de recommandation de votre ancien employeur, sinon personne ne vous donnera un nouvel emploi. Si vous êtes impliqué dans un scandale ou si vous dénoncez votre entreprise, vous êtes fini, vous ne pourrez plus travailler. Voilà pourquoi personne n’a jamais osé dénoncer ce qui se passe dans les banques suisses. Si, pour une raison ou une autre, vous perdez votre travail, vous devez rester discret : vous devez faire attention à ce que vous dites et à ce que vous faites si vous voulez en trouver un autre. Mais la pire des règles, c’est celle qui interdit aux employés de dénoncer leur société. Cette interdiction empêche immédiatement toute possibilité d’agir légalement. La terreur est la meilleure façon de faire régner le silence.

Des règles en faveur des évadés fiscaux ?

Bien que ce soit un paradis fiscal, la ville de Genève est très différente de Monaco. À Monaco, je vivais aux côtés des milliardaires et, en même temps, avec des personnes de condition modeste. À Genève, au contraire, les riches ne se mêlaient pas aux pauvres, et cette division se reflétait aussi dans la façon de travailler à la banque, où chacun accomplissait toujours la même fonction et ne connaissait qu’une petite partie de l’activité complexe de la HSBC : c’était la logique du puzzle, exactement le contraire de ce qui se passait à l’époque de mon père.

Une attitude était très répandue : ne pas se demander ce qui se passait au-delà de l’écran de son ordinateur. Alors que mon père m’avait enseigné que la confiance n’existait pas dans le monde bancaire, à Genève, tout le monde se faisait confiance et personne ne mettait jamais en doute le moindre aspect de l’organisation. J’ai très vite compris que j’étais arrivé dans un autre monde, subdivisé en compartiments étanches qui ne communiquaient pas entre eux. Les personnes qui travaillaient dans un secteur ne savaient pas ce que faisaient les autres. Pour moi, c’était différent : je devais connaître tous les systèmes de la banque pour comprendre quelles conséquences le moindre changement pouvait entraîner.

Depuis 2004, je continuais ma bataille contre des gens qui savaient parfaitement ce qu’ils faisaient parce qu’ils connaissaient la réalité de la banque. La bataille se menait dans l’ombre, entre deux camps opposés.

Je n’avais pas été le seul à quitter Monaco pour Genève, et je savais qu’en Suisse, d’autres personnes soutenaient mon projet de changement.

Bref, je n’étais pas seul. Et même si nous étions contrecarrés par des groupes puissants qui s’opposaient au renforcement des contrôles de la banque, nous savions bien que, pour renforcer la sécurité, il fallait poursuivre le travail sur le « Workflow » que nous avions engagé à Monaco. Ce travail était important parce qu’il offrait une plus grande protection aux clients. Mais il l’était aussi pour cette autre raison : si personne ne contrôle la banque, cela veut dire que personne ne contrôle la finance. C’était comme au casino où, en l’absence de contrôles efficaces, on pouvait recycler de l’argent sale en payant 20 % d’intérêts.

Des milliers de milliards circulaient par l’intermédiaire des banques. Les commissions liées à la vente d’armes ou de pétrole, les pots-de-vin aux policiers, l’argent des mafieux passent tous, nécessairement, par les banques. Quand un ensemble de sociétés s’installe dans les paradis fiscaux ou quand un contrat de fourniture d’armes est signé, ce n’est pas par hasard. Il y a toujours une raison et c’est toujours organisé. Nous le savions parfaitement et nous étions conscients que la HSBC était l’une des plus grandes banques du monde. Nous savions que nous devions nous attaquer à des intérêts qui se chiffraient en milliards et que, par conséquent, nous affronterions des adversaires organisés et déterminés.

En 2005, la directive européenne sur l’épargne, qui prévoyait la taxation des dépôts bancaires des personnes physiques dans les pays européens et en Suisse, entra en vigueur. Chaque banque devait communiquer aux autorités fiscales des autres pays le montant des comptes de ses clients non résidents. La bizarrerie de cette directive était qu’elle ne concernait que les personnes physiques : pour les comptes courants des sociétés, aucune déclaration n’était obligatoire.

Avant que la règle n’entre en vigueur, j’avais travaillé sur un projet relatif à l’introduction de la nouvelle directive européenne et je m’étais vraiment aperçu que l’unique préoccupation de la banque était de protéger tous les clients, y compris ceux qui fraudaient le fisc. Auparavant, pour encourager l’évasion fiscale, il n’y avait que l’arme du secret bancaire, maintenant, il y avait aussi la directive européenne : pour éviter les taxes, il suffisait de constituer une société écran dans un paradis fiscal et d’ouvrir un compte à son nom. Il était évident que les responsables politiques avaient promulgué cette loi dans l’intérêt des banquiers et de toute l’industrie du crédit qui pouvait maintenant vendre de nouveaux produits et de nouveaux services à ses clients. Ce n’était pas la première fois que cela se produisait, mais ce fut pour moi la goutte d’eau qui fit déborder le vase et me poussa à essayer de changer ce système.

Dans mon parcours professionnel, j’avais connu des personnes qui étaient en contact avec les services secrets. Mes anciens collègues du secteur de la sécurité du casino de Monaco m’avaient expliqué leur rôle. Nous avons convenu d’un rendez-vous et nous avons réfléchi ensemble à ce que nous pouvions faire, conscients de l’importance de l’enjeu. Peutêtre y avait-il moyen de faire exploser le système qui permettait à tant de gens d’échapper impunément à l’impôt, avec la complicité des lois européennes. L’expérience accumulée avec les années me laissait penser qu’on pouvait rassembler les informations prouvant la gigantesque arnaque couverte par la banque. Mais après ? À qui les transmettre ? Il existait à la banque une structure qui aidait les clients à échapper aux impôts, et je voulais en avoir les preuves. Je me demandais comment faire pour les obtenir et à qui les confier. Je travaillais avec des personnes qui m’avaient aidé à réfléchir dans mon métier et qui étaient avocats ou agent des douanes en France. Et tous, y compris les managers de la banque avec lesquels j’étais en contact, pensaient qu’il fallait changer les choses.

La HSBC possède le plus grand système informatique privé du monde. Avant 2007, elle avait investi 100 millions d’euros en projets de développement et, en 2014, elle a programmé 200 millions d’investissements supplémentaires, alors que les services d’enquête de pays souverains comme la France, l’Italie ou l’Espagne, ont des ressources presque inexistantes. La HSBC dépense des sommes énormes mais la guerre intestine entre ceux qui veulent un changement et ceux qui veulent que rien ne bouge dure encore (même si elle n’est plus menée par l’intermédiaire des départements Change the Bank et Run the Bank). Et cela alors que la banque avait gaspillé des millions et des millions d’euros en enterrant des projets qui avaient coûté beaucoup d’argent, comme celui du « Workflow », et en bloquant les personnes qui, comme moi, voulaient améliorer les procédures.

Extrait de "Séisme sur la planète finance - Au coeur du scandale HSBC", publié aux éditions La Découverte, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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