Ces savants qui ont eu raison trop tôt : comment Copernic découvrit que la Terre était en mouvement (et pourquoi tenait-il tant à rester discret sur ses recherches)

« Cet homme ferme sur lui-meme ne l’etait pas sur le monde, ou tout au moins sur la vision du monde. Il ne fut pas pour autant un grand mathematicien, comme le souligne l’historien de l’astronomie Jean-P erre Verdet. ≪ La lecture de l’outil mathematique revele un Copernic plus faible mathematicien que Ptolemee et que les astronomes arabes du Moyen Age. ≫

Et pourtant, a la simple lecture des textes existants, sans l’once d’une observation exceptionnelle ou d’un bouleversement des outils mathematiques, ce chanoine efface va changer la place de l’homme dans l’univers. Une singularite que Jean-Pierre Verdet explique par une simple formule : ≪ Chez Copernic, l’univers s’harmonise. ≫ Insensiblement, il fait sauter les verrous de la physique tout en se defendant de tout chambouler. Dans sa celebre dedicace au pape Paul III, il explique comment, naturellement, l’idee d’une Terre en mouvement lui est venue. D’abord par la lecture des textes anciens, de Ciceron ou de Plutarque, ou il est deja question d’une Terre qui se meut. ≪ Lorsque j’eus admis les mouvements que, dans l’ouvrage ci-apres, j’attribue a la Terre, je decouvris enfin, apres de longues et serieuses recherches, que, si l’on rattachait les mouvements des autres planetes a la rotation de la Terre et si on les calculait d’apres les revolutions de chaque astre, non seulement lesphenomenes constates sur eux s’expliqueraient logiquement, mais la succession et la grandeur des dits astres ainsi que tous leurs mouvements et le ciel lui-meme presenteraient un ordre si harmonieux qu’il ne serait plus possible de modifier quoi que ce fut nulle part, sans embrouiller tout le reste de l’univers tout entier. ≫

Avant son grand oeuvre, il fit circuler un manuscrit, le Commentariolus, dans lequel on trouve deja tout. Il s’agit d’un bref resume des hypotheses de Nicolas Copernic sur les mouvements celestes, qui reprend les sept points principaux de la theseexposee dans De revolutionibus :

1. Tous les corps celestes ne se deplacent pas autour du meme centre.

2. La Terre n’est pas le centre de l’univers, mais seulement de l’orbite de la Lune et de la gravite terrestre.

3. Le Soleil est le centre du systemeplanetaire, et par consequent de l’univers.

4. Comparee a la distance des etoiles fixes, la distance de la Terre au Soleil est negligeable.

5. La revolution apparente diurne du firmament est due a la rotation de la Terre autour de son axe.

6. La revolution apparente annuelle du Soleil est due au fait que la Terre, comme les autres planetes, tourne autour du Soleil.

7. Les ≪ stations et regressions≫ apparentes des planetes sont dues a la meme cause.

De telles propositions auraient du mettre l’Eglise en ebullition. Pas du tout. Le chanoine, tres discret, ne voulait pas remettre en cause un quelconque pouvoir spirituel. Un theologien lutherien du nom d’Andreas Osiander se chargea de surveiller l’impression du traite d’astronomie. Il le fit si consciencieusement qu’il y ajouta une preface anonyme – c’est Kepler qui en identifia le redacteur – contraire aux propos tenus par l’auteur ! Copernic ne cherchait pas la revolution qui porta son nom. Il le dira au pape Paul III : ≪ Je peux presumer, Tres Saint Pere, que certaines gens, en apprenant que dans ce livre des révolutions des orbes célestes j’attribue certains mouvements a la Terre, vont s’ecrier que, pour avoir de telles opinions, je devrais aussitotetre chasse de la scene a coups de sifflet. ≫

Ce sera le cas bien plus tard. Le livre fut mis a l’index soixante-treize ans apres sa publication, et le proces de Galilee eut lieu quatre-vingt-dix ans apres la mort de Copernic. Luther en revanche, fut feroce avec ce ≪ nouvel astrologue qui veut prouver que la Terre tourne ≫ en le traitant d’≪imbecile qui va contre l’Ecriture Sainte ≫. Les deux hommes furent pourtant deux revolutionnaires dans leur genre, sauf que Copernic n’en savait rien… Calvin, qui lui aussi fut informe de cette theorie, la contesta vivement : ≪ Qui donc se risquerait a placer l’autorite de Copernic au-dessus du Saint-Esprit ? ≫

Extrait de "Ces savants qui ont eu raison trop tôt", de Laurent Lemire, publié aux éditions Tallandier, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.