Aujourd'hui Tintin aurait plus de chance d'être pigiste que reporter<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Aujourd'hui Tintin aurait plus de chance d'être pigiste que reporter
©

Bouleversement de la presse

L'adaptation cinématographique de Tintin par Steven Spielberg sort ce mercredi. L'occasion de revenir sur l'univers du célèbre héros belge. C'est notre feuilleton de la semaine. 6ème épisode : le métier de Tintin en question...

Michel Moutot

Michel Moutot

Michel Moutot est reporter à l’Agence France Presse (AFP). Il est lauréat du 61ème Prix Albert Londres en 1999 pour son travail sur le Kosovo et du Prix Louis Hachette 2001 pour sa couverture du 11 septembre 2001.

Voir la bio »

Atlantico : Alors qu’on célèbre Tintin cette semaine, pensez-vous que de nos jours, un jeune reporter pourrait aujourd’hui s’absenter si longtemps, pour écrire si peu et être rentable pour un journal ?

Michel Moutot : Je ne suis pas sûr que Tintin soit un bon exemple. Car quand on lit Tintin, on se rend compte qu’il n’est que très vaguement reporter. On ne le voit jamais vraiment écrire. On ne sait jamais vraiment sur quoi il enquête. Le journalisme est plus un prétexte qu’autre chose !

Je crois qu’on peut en revanche établir un parallèle entre Tintin et Albert Londres. Les grands reporters de cet époque ont connu un âge d’or révolu où le grand reportage était rare, les médias étaient puissants, les journaux avaient beaucoup d’argent grâce à leurs énormes tirages. Ils avaient donc les moyens d’envoyer des gens en reportage.

Curieusement, Albert Londres bénéficiait d’un rapport de force plutôt en sa faveur car les journaux se battaient pour avoir ses reportages. Il pouvait se montrer extrêmement intransigeant. Si on coupait ou déformait son papier, il menaçait en disant : « je n’ai qu’à traverser la rue… ! » pour vendre ses articles à un journal concurrent. Cela arrivait rarement car ses articles se vendaient très bien.

Évidemment tout cela a disparu. Le modèle économique de la presse est en train d’être totalement bouleversé…. Mais il y a encore des médias –comme l’AFP où je travaille- qui envoient toujours des journalistes à l’étranger. Mais c’est l’exception qui confirme la règle car moins les journaux envoient de reporters à l’étranger, et plus nous travaillons ! Pour les journaux, cela revient toujours moins cher d’utiliser une dépêche de l’AFP que d’envoyer quelqu’un ! J’ai passé plusieurs semaines en Egypte et en Libye et je m’apprête à y retourner. Il est évident que la Libye va retomber dans l’actu. Nous serons parmi les rares à couvrir les probables dissensions à venir.

Qui avez-vous croisé en reportage, en Libye, par exemple ?

Il y a un mélange. Il y a les gens comme moi –ce qu’il reste des « grands médias »-, les envoyés spéciaux du New York Times, la presse anglaise, nos concurrents des agences, (vous avez des « journalistes » coupés très court qui, en fait, appartiennent à la DGSE) et une multitude de freelances. Parmi eux, on croise de plus en plus de journalistes multimédias : des photographes qui sont aussi cameraman, des pigistes qui tirent le diable par la queue. On ne croise plus beaucoup de reporters de médias car en période de crise, le poste « reporter » est le premier éliminé…  Mais paradoxalement, il y a plus de monde en raison des freelances !

Plus de freelances et moins de reporters ? Les statuts sont-ils si différents ?

Oui. Quand on parle avec eux, on apprend que certains dorment dans la voiture parce qu’ils en sont de leur poche. Alors que nous avons des budgets journaliers, des locations de voiture, des satellites ! Avant la chute de Tripoli, la dernière fois que j’y étais, on pouvait payer des pleins d’essence à 150 $. Ça n’est pas à la portée d’un pigiste. Dans le Djebel, on a croisé un journaliste français qui travaillait… à pieds parce qu’il ne pouvait pas payer un chauffeur. Ces pigistes profitent d’un vide, ils sont nombreux. Mais j’ai parlé avec une jeune journaliste qui était en Libye de son propre chef. Elle avait perdu déjà 2000 euros depuis son arrivée…  On lui a conseillé de s’en aller. Elle prenait trop de risques en plus… Elle avait quitté des piges peu intéressantes en France pour sentir l’exaltation de la « grande actu ». On l’a hébergé un peu et après,  il a presque fallu qu’on la mette de force dans l’avion…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !