Pourquoi les Français sont beaucoup plus libéraux qu’ils ne le croient eux-mêmes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pourquoi les Français sont beaucoup plus libéraux qu’ils ne le croient eux-mêmes
©Reuters

Inconscient libéral

Si le modèle économique et social de la France se cherche encore, pour certains, le libéralisme à la française est aujourd'hui un modèle inabouti souffrant du manque de confiance des Français à l'égard de leur économie. Pourtant ces derniers semblent disposés à aller au-delà du canevas actuel.

Guillaume Sarlat

Guillaume Sarlat

Polytechnicien et Inspecteur des Finances, Guillaume Sarlat, a fondé et dirige à Londres une société de conseil en stratégie aux entreprises.

 

Voir la bio »

Atlantico : Vous venez de publier "En finir avec le libéralisme à la française" ce mois d'avril aux éditions Albin Michel, là où d'aucuns dénoncent les conservatismes et l’interventionnisme français au regard de la fiscalité française ou du droit du travail par exemple. Dans ce cas peut-on réellement parler de libéralisme ? 

Guillaume Sarlat : Oui ! Vous avez raison, en France l’Etat est partout. Dans la sphère sociale, le paritarisme n’existe plus, et c’est l’Etat qui est désormais seul responsable de la protection sociale et de l’organisation du travail. Et dans la sphère économique l’Etat est également omniprésent, avec les aides aux entreprises, BPI France etc.

Mais distribuer de l’argent est une chose, avoir une bonne compréhension de l’économie et une stratégie en est une autre. Aujourd’hui l’Etat distribue des subventions, fait des coups comme ces derniers jours avec Renault, mais il n’a pas de vision sur le rôle et les responsabilités des acteurs économiques.

>> Lire également : Comment en finir avec ce "libéralisme à la française" qui maintient aujourd’hui le pays et les Français dans la crise

De ce fait, les grandes entreprises et les investisseurs se retrouvent dans un environnement très libéral, régi par les seules lois du marché. Et lorsque l’Etat s’en préoccupe, c’est toujours dans l’urgence, comme lors de la crise bancaire ou encore des difficultés d’Alstom ou d’Areva.

C’est ce système très particulier, où une partie de l’économie est très libérale, et où l’Etat s’est replié sur la sphère sociale et sociétale, que j’appelle le « libéralisme à la française ».

Est-ce sa version française uniquement ou l'ensemble du modèle qui est selon-vous vicié ? Pour quelles raisons ? 

De manière générale, le libéralisme économique pose problème quand seules les lois du marché régissent les rapports entre les acteurs économiques.

Un problème économique d’abord : livrés à eux-mêmes, les acteurs économiques se concentrent sur leurs seuls intérêts propres, essentiellement de court-terme, ce qui n’est pas efficace.

Un problème politique également : lorsque l’économie échappe à la société, la réponse de la société est souvent brutale. Karl Polanyi dans La Grande Transformation attribue ainsi la montée des fascismes dans les années 30 à la phase de libéralisme économique de la décennie précédente : l’impression d’impuissance et d’inutilité du politique favorise les options radicales.

Dans le cas particulier du libéralisme à la française, nous avons en quelque sorte le libéralisme le plus bête du monde, avec toute la violence sociale et l’inefficacité d’une économie très libérale, pour une partie de l’économie tout au moins, et un Etat social et central qui bride l’innovation et l’esprit d’entreprise.

En quoi cette version française du libéralisme empêche-t-elle d'agir ?

Ce qui est très pernicieux dans le libéralisme à la française, c’est cette dynamique, constante depuis 30 ans, de libéralisation d’une partie de l’économie, qui vient justifier l’étatisation du social.

Il faut comprendre cette dynamique pour pouvoir en sortir. De ce point de vue, je pense que tous ceux qui essayent de s’attaquer frontalement à l’Etat social et central n’ont aucune chance d’y arriver : il s’agit du symptôme, pas du mal en tant que tel. Il sera très difficile de réunir une majorité de Français autour d’un projet de diminution du pouvoir de l’Etat social et central, dès lors que celui-ci les protège du libéralisme économique.

C’est pourquoi dans ce livre je propose des mesures simples, très structurantes, pour que la société reprenne la main sur l’économie, et pour que les Français reprennent confiance dans l’économie. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut nationaliser ou planifier, mais simplement redonner des rôles et des responsabilités aux acteurs économiques vis-à-vis de la société.

Les Français de leur côté sont-ils prêts à changer de modèle ?

Oui, je pense que les Français sont prêts, à condition de leur redonner confiance en l’économie.

Qu'est-ce qui pourrait impulser ce changement de doctrine ?

Ce n’est pas la situation financière de la France qui nous obligera à changer, en tout cas à court terme. Car la France n’est absolument pas en situation de faillite, contrairement à ce que certains affirment. Et c’est une bonne nouvelle, car cela veut dire que la France a du temps pour se réformer.

Ce n’est pas non plus la situation sociale de la France qui va imposer le changement. Il y a beaucoup de frustrations et de misère aujourd’hui en France ; du sous-emploi, du mal-logement, de la pauvreté. Mais le libéralisme à la française est un système assez stable : la crainte inspirée par le libéralisme économique diminue les velléités de changement, depuis l’allocataire de minima sociaux jusqu’au cadre d’un grand groupe.

Dans cette situation, ce qui peut changer la donne, c’est une nouvelle offre politique crédible, qui redonnerait confiance dans l’économie.

C’est en ce sens que le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été une énorme déception : avec la valeur travail, Nicolas Sarkozy avait trouvé un discours qui pouvait réconcilier les Français avec l’économie. Mais il n’a pas su passer aux actes.

Quel parti politique/homme politique pourrait aujourd'hui être capable d'une telle réforme ?

Les hommes politiques aujourd’hui ne sont pas à l’aise avec l’économie. Tout simplement parce qu’ils ne savent pas, ou mal, comment cela fonctionne. C’est normal : pour la plupart ce sont des professionnels de la politique, ou d’anciens fonctionnaires.

Certes il n’y a pas besoin d’être un spécialiste de tout, mais il est difficile d’articuler une vision de la politique monétaire, de la dette publique ou encore des banques sans une compréhension minimale de ces mécanismes. Et il est encore plus difficile de donner confiance aux Français sur ces sujets quand soit même on n’est pas à l’aise.

Dans sa version française, le libéralisme aurait créé un système d'économie parallèle, hors libre-échange, qui accueille ceux qui n'ont pas trouvé leur place dans l'économie libérale. Quelle place pour ces laissés pour compte ? Comment l'Etat pourrait-il les prendre en charge sans pour autant hypothéquer sa capacité à investir dans l'avenir ? 

Dans mon livre je me concentre sur les aspects économiques, qui sont pour moi l’urgence absolue pour casser la dynamique du libéralisme à la française. En favorisant l’investissement de long terme, en renationalisant la politique monétaire, en responsabilisant les entreprises sur l’emploi, en comblant le fossé entre les grands groupes et les PME, on améliorera la situation économique. Ce faisant, la situation des Français s’améliorera et ils retrouveront progressivement confiance en l’économie.

Mais vous avez raison, il faudra également faire évoluer les modalités d’intervention de l’Etat. Pour inciter l’Etat à investir dans l’avenir, je propose de créer une dette publique perpétuelle, destinée uniquement aux investissements publics de long terme.

Et il faudra également changer progressivement d’approche sur la solidarité, aujourd’hui accaparée par l’Etat social. En passant d’une prise en charge par des allocations, à plus d’accompagnement des projets individuels. Et en modifiant également les modalités d’organisation de l’Etat, en décentralisant son action, et en redonnant du pouvoir aux partenaires sociaux.

Des quels modèles libéraux plus vertueux pourrait-on s'inspirer ?

Je ne pense pas que l’on puisse s’inspirer de modèles étrangers en tant que tel. Aucun pays n’est confronté à cette dynamique du libéralisme à la française, cette conjonction d’un libéralisme économique et d’un étatisme social. Ni l’Allemagne, ni le Royaume-Uni, ni les Etats-Unis notamment.

Par contre on peut trouver des idées intéressantes chez nos voisins pour reprendre la main sur l’économie et redonner un rôle et des responsabilités aux acteurs économiques.

La réflexion sur l’architecture du système bancaire ou sur l’investissement de long terme est ainsi plus développée au Royaume-Uni qu’en France, contrairement à ce que l’on pourrait penser. L’Allemagne est intéressante également pour les relations entre PME et grands groupes. Et pour casser la déresponsabilisation des entreprises vis-à-vis des coûts sociaux qu’elles engendrent on peut mettre en place une modulation des cotisations sociales, qui est déjà pratiquée depuis longtemps aux… Etats-Unis.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !