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La télépathie, ça n’est plus de la science-fiction (et du coup, la capacité à ce qu’on puisse lire dans vos pensées non plus…)
©Flick'R me_maya

Tête-à-tête

De nombreuses études scientifiques ont permis de transmettre des pensées d'un cerveau à l'autre par le biais d'ordinateurs. Quelques impulsions électriques ou lumineuses envoyées au cerveau permettent de transférer une idée entre deux individus, d'une pièce à une autre comme d'un bout à l'autre du monde. Une prouesse prometteuse pour la médecine mais qui pose aussi un réel problème éthique.

Romuald Ginhoux

Romuald Ginhoux

Romuald Ginhoux est ingénieur et docteur en robotique médical. Il est le co-fondateur de la société Axilum Robotics.

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Fabrice Lorin

Fabrice Lorin

Fabrice Lorin est psychiatre au CHU de Montpellier. Il a travaillé sur les rapports entre psychanalyse et télépathie.

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Atlantico : Il y a quelques mois, vous avez participé à une étude scientifique internationale qui a mené à l'invention d'un système permettant de transmettre depuis l'Inde de courts messages mentaux d'une personne à une autre qui se trouvait en France, à Strasbourg. Peut-on parler de télépathie ? Quelles sont aujourd'hui les méthodes qui existent pour la transmission de pensées ? Concrètement, comment cela fonctionne ?

Romuald Ginhoux : On ne peut pas vraiment parler de télépathie car il y a des machines interposées qui transmettent les messages : c'est de la télépathie assistée par ordinateur, en quelque sorte. Il s'agit de transmettre un message d'un cerveau à un autre sans faire intervenir les cinq sens : le goût, l'odorat, l'ouïe, le toucher, la vue. Personne d'autre autour n'est conscient qu'un message a été transmis : seule la personne qui la reçoit s'en aperçoit. Le message se forme directement dans le cerveau du destinataire par une série d'impulsions lumineuses.

Une équipe de Washington a récemment utilisé la stimulation magnétique transcranienne par ordinateur pour transmettre une information d'un ordinateur vers un cerveau. Ils ont visé le cortex moteur et le cortex visuel, alors que notre expérience se limitait au second. Il s'agit de cibler différentes parties qui ont différents effets quand on les stimule. On applique sur la tête du patient un boitier de la taille d'un livre de poche rempli de fils électriques enroulés les uns autour des autres. On y envoie par le biais d'un stimulateur des impulsions de courant très puissantes, de plusieurs milliers d'ampères, ce qui créé par induction un champ magnétique. Le cerveau étant principalement constitué d'eau (la matière grise, la matière blanche et le liquide céphalo-rachidien), ces variations de champ magnétique vont traverser  cette matière et créer un courant électrique qui va modifier le fonctionnement des cellules. Cela excite ou inhibe le fonctionnement des neurones dans des zones du cerveau. Dans la zone motrice, par exemple, cela va avoir un effet sur les muscles dirigés par cette zone. On peut ainsi créer un mouvement réflexe.

Dans ces domaines de recherche, on parle de "brain to computer interface" (du cerveau vers l'ordinateur) et de "computer to brain interface" (de l'ordinateur vers le cerveau). La première méthode est la plus développée, c'est pourquoi nous avons creusé la seconde en mettant en place pour notre expérience de transmission de pensée entre l'Inde et la France. L'équipe de Washington a continué de la développer.

Quelles en sont les applications possibles ?

Romuald Ginhoux : Elles sont principalement d'ordre médical. Cela peut permettre de communiquer à des personnes qui ne peuvent utiliser ni la parole ni les gestes pour s'échanger des messages. Cela peut aussi nous permettre d'entrer en contact avec des personnes dans le coma ou à des paralysés suite à des attaques cérébrales. Dans le sens du cerveau vers l'ordinateur, cela permet déjà de contrôler des prothèses. Des électrodes implantées dans le cerveau ou posées sur la tête permettent alors de mesurer l'activité du cortex moteur, pour savoir s'il est au repos ou en activité. On peut déduire de ces signaux la volonté d'activer tel ou tel membre et ainsi la prothèse s'active en fonction des pensées.

Des militaires en opération qui doivent être impérativement silencieux auraient ainsi un moyen de partager des informations essentielles sans avoir à se parler ou à faire des mouvements.

Il y a aussi des applications plus gadget, surtout dans le sens de la transmission du cerveau vers l'ordinateur. Certains jeux vidéo le permettent d'ores et déjà, pour faire bouger une balle dans un sens ou un autre par exemple.

Serons-nous un jour capable de lire dans les pensées des autres ?

Romuald Ginhoux : L'expérience de Washington avec le cortex visuel et l'envoi d'impulsions lumineuses permet une sorte de lecture de la pensée. La personne qui recevait les flashes lumineux à l'écran était capable de dire à distance laquelle des deux lumières l'autre regardait et donc de deviner ses pensées car 12 flashes par secondes signifiaient "Oui" et 13 flashes par seconde "Non". Dans notre expérience, nous avons fait en sorte que le message qui se formait dans la tête de la personne en Inde soit compris instantanément par la personne à Strasbourg.

Le fait de lire dans la pensée est une chose déjà courante en médecine, sans que l'on ne la nomme ainsi, avec l'IRM fonctionnelle ou lors de mesures électroencéphalographes utilisées pour diagnostiquer les épileptiques ou des schizophrènes. On regarde ce qui se passe dans certaines zones de leur cerveau pour comprendre leurs pensées.

A-t-on intérêt à ce que ces méthodes de télépathie se démocratisent ? Lire les pensées des autres nous permettra-t-il de mieux les comprendre ? Quels en sont les dangers ?

Romuald Ginhoux : Aujourd'hui, cela se concentre sur le domaine médical. Peut-être qu'il y aura une démocratisation, mais il y aura alors un danger majeur : pouvoir lire la pensée de quelqu'un sans son accord. Dans les expériences menées jusqu'à présent, tous les patients étaient consentants. La télépathie est pour le moment assistée par ordinateur, ce qui nécessite du matériel lourd et compliqué à faire fonctionner. Donc seules des personnes volontaires en font l'expérience. On ne peut pas encore lire les pensées des gens sans leur accord, et cela n'est pas près d'arriver. Seuls les mentalistes et les médiums peuvent s'en vanter, mais sans qu'aucun lien scientifique ne soit fait jusqu'à maintenant…

Fabrice Lorin : Si la télépathie venait à se démocratiser, cela signifierait que l'on puisse lire soit nos pensées conscientes et contrôlées, soit nos pulsions inconscientes. Dans le deuxième cas, c'est la guerre assurée. Une étude anglaise a montré il y a quelques années que l'être humain mentait environ 200 fois par jour. Cela ne veut pas dire que nous sommes naturellement hypocrites, mais que certains mensonges sont vitaux, cela a une fonction sociale. Si l'on disait tout ce que l'on pense, on s'entretuerait. Cela pourrait déclencher des cyber-guerres télépathiques : si l'on peut contrôler le cerveau d'autrui, on peut lire mais aussi modifier ou supprimer ses pensées, voire le tuer.

Sommes-nous capables de gérer une telle intrusion dans notre intimité?

Fabrice Lorin : Quand j'ai des patients qui ont l'impression que je lis leurs pensées, ils peuvent le vivent très mal. C'est très intrusif. Il faut une grande confiance. C'est le problème de l'espace public et de l'espace privé que développait Hannah Arendt : le totalitarisme, c'est la suppression de l'espace privé. C'est une effraction absolue. De plus, les pervers maîtrisent tellement bien leur structure mentale qu'elle est quasiment impénétrable et ils sont au contraire très forts pour pénétrer celle des autres.

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