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Le ralentissement économique surprise aux Etats-Unis et au Royaume-Uni préfigure-t-il une nouvelle méga crise ?
Le ralentissement économique surprise aux Etats-Unis et au Royaume-Uni préfigure-t-il une nouvelle méga crise ?
©Reuterts

Attachez vos ceintures

Tout juste au sortir de la crise de 2008, certaines théories économiques affirment que nous sommes déjà à l'aube d'une nouvelle crise, encore plus violente. Les semblants de reprise seraient le calme avant la tempête, et certains signes avant-coureurs ne laisseraient pas de doute. Mais tout le monde n'est pas si pessimiste.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Charles Gave

Charles Gave

Charles Gave est président de l'Institut des Libertés, un think tank libéral. Il est économiste et financier. Son ouvrage L’Etat est mort, vive l’état  (éditions François Bourin, 2009) prévoyait la chute de la Grèce et de l’Espagne. Il est le fondateur et président de Gavekal Research et de Gavekal Securities, et membre du conseil d’administration de Scor.

 

 

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  • Après 6 années de reprise, les Etats-Unis enregistrent pour la première fois une baisse de profits. De la même façon, l'économie du Royaume-Uni, la plus dynamique des pays du G8 depuis 2014 a connu un ralentissement surprise ce premier trimestre. De grands pays émergents comme la Chine commencent également à décélérer.
  • Pour essayer de soutenir la croissance, les banques centrales (dont la BCE) font marcher la "planche à billets", produisant d'importantes quantités de liquidités.
  • La dette globale mondiale a augmenté de 57 000 milliards de dollars depuis cette période. Ce qui fait craindre la faillite de certains Etat en Europe (Grèce, Italie, Espagne...). 
  • Le chômage de masse touche 210 millions de personnes et pourrait être aggravé par la révolution numérique. Cela se double, pour ceux qui ont un emploi, d'une stagnation sociale et d'inégalités qui se creusent. 
  • Les économistes les plus pessimistes font de ces indicateurs le signe d'une crise très violente, qui pourrait de nouveau frapper l'économie mondiale.

Ralentissement de la croissance aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, décélération dans les pays émergents : l'angoisse de la stagnation

Nicolas Goetzmann : Concernant les Etats-Unis et le Royaume-Uni, les chiffres de la croissance ont été très bons depuis près de trois ans, ce qui a permis à ces deux pays de retrouver un taux de chômage identique, à 5.5%. Un processus de rattrapage de la croissance perdue a donc eu lieu, pour compenser, en partie, ce qui a été perdu lors de la crise de 2008, et pour remettre la population "au travail ". Désormais, ces deux économies arrivent dans une phase différente, où il ne s’agit plus de rattrapage mais de trouver un rythme de croisière correspondant à leur potentiel de croissance. Cependant, il est tout à fait possible de regretter que cette nouvelle phase arrive trop tôt, parce que le plein emploi n’est pas encore total et que le rythme de progression des salaires n’est pas encore satisfaisant. Pour accepter un ralentissement, il faut être dans une position très forte, ce qui n’est pas encore le cas, même si ces deux pays ont bien 5 années d’avance sur l’Europe.

Concernant la Chine, il s’agit d’un processus de maturation qui était attendu, et la croissance actuelle de 7% reste encore une performance.

Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’un signe d’une crise future, mais peut-être d’un avertissement. La reprise est fragile et les autorités monétaires doivent rester vigilante et ne pas refaire le coup de 1937, qui a consisté à resserrer les conditions monétaires trop tôt après la crise de 1929, ce qui a abouti à une nouvelle plongée en dépression. C’est aussi ce qu’a fait Jean Claude Trichet en avril 2011 en Europe, avec les résultats que l’on connait. La peur de serrer trop tard conduit à replonger l’économie en récession. Il faudra voir les premières pressions de hausse sérieuses des salaires et des prix, dans le blanc des yeux,  avant de décider de resserrer l’étau. Sinon, tout ce qui a été fait avant risque de rechuter. C’est ici qu’il existe un risque.

Charles Gave : La politique économique aux USA est dominée depuis au moins 2002 par ce qu'il est convenu d'appeler la Doxa Keynesienne. Cette doxa est centrée autour de deux idées  :

  • Il faut procéder a l'euthanasie du rentier, c'est-à-dire de l'épargnant, pour reprendre la célèbre formule de Keynes. Pour cela, il faut maintenir des taux d'intêrets très bas, voir negatifs en termes réels. Personne ne discute l'idee que les taux d'intêrets anormalement bas sont bons pour la croissance. Or c'est une idée completement fausse. Des taux d'intêrets anormalement bas ne facilitent pas la croissance mais l'entravent. Il n'y a pas une seule periode dans l'histoire économique de taux anormalement bas qui ait ete suivie par une accéleration de la croissance. Toutes ont ete suivies par un ralentissement durable. La croissance économique aux USA sur les 6 dernières années est de loin la plus faible sur une période similaire  et ce depuis 1945. Et ce scenario se verifie une fois de plus aux USA. Il n y a pas eu une seule année depuis 2010 ou la croissance du PIB ait été supérieure à l'accroissement de la dette et les taux à zéro ont appauvri l' épargnant au profit du spéculateur. Ce qui crée la croissance c'est une bonne utilisation du capital assurée par des prix de marché. Or ni le taux de change ni le taux d'intérêt ne sont aujourd'hui à des prix de marché et donc les entrepreneurs ne peuvent pas prendre de décisions rationnelles.
  • Compte tenu de l'insuffisance de la demande finale, l'immense imbécillité Keynesienne, il faut que l'Etat crée de la demande à partir de rien, en payant des gars a creuser des trous un jour pour les réboucher le lendemain, ce que Keynes propose. Cela fait monter le poids de l'Etat dans l'économie de facon inexorable et toute hausse du poids de l'Etat sur le long terme entraîne toujours, et partout une baisse du taux de croissance structurel. 

Dans le fonds, ou l'on est Darwinien et on pense que la croissance a lieu grâce au processus de sélection naturelle identifie par Schumpeter sous le nom de destruction créatrice, soit on est créationniste et  l'on pense qu'un Dieu tutelaire bon, l'Etat, crée la croissance en imprimant de l'argent et en payant des gens à ne rien faire. Dans le fonds, le Keynesianisme est au Marxisme ce que le Coca light est au Coca. La Grande-Bretagne a fait l'erreur numéro un, mais pas l'erreur numero deux, donc elle va beaucoup mieux. Comme il n'y  pas de destruction créatrice dans l'Etat, si le poids de l'Etat monte, la croissance baisse, et il ne peut en etre autrement

Le déversement d'un flot de liquidités par les banques centrales : l'angoisse de la flambée des marchés financiers et du retour des bulles

Nicolas Goetzmann : Les responsabilités de la BCE ou de la Fed sont de deux ordres, différents. D’une part, la politique monétaire, et d’autre part, la politique macro-prudentielle, c’est-à-dire la règlementation du système bancaire. Et il convient de bien séparer ces deux activités. Une politique monétaire concerne l’ensemble de l’économie et ne peut viser un secteur particulier, il est possible de juger de son caractère souple ou contraignant à lecture, par exemple, des chiffres de l’inflation. A ce titre, il est aujourd’hui exclu de mettre la politique monétaire en cause pour un quelconque excès d’inflation, et ce, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, où les prix ne progressent plus. Encore une fois, la politique monétaire est ici clairement hors de cause.

Ensuite il existe la politique macro-prudentielle qui est l’activité de supervision du secteur financier, et là, évidemment, tout n’est pas parfait. Lorsque l’on pense aux subprimes, à certaines activités bancaires jugées excessives, au développement des produits dérivés, ou des ratios bancaires, c’est de politique macro prudentielle dont il s’agit. C’est une activité de régulateur totalement détachée de la politique monétaire. Ainsi, accuser la FED d’avoir créé des bulles financières lors de la crise de 2008 est tout simplement hors de propos, parce que l’inflation "core" c’est-à-dire celle qui dépend exclusivement du jeu de l’offre et de la demande, n’était pas excessive. La politique monétaire n’était pas trop souple, contrairement à ce qui est si souvent répété. Par contre l’activité de régulateur a laissé passer des titres, dont les subprimes, qui présentaient un risque. La faute vient de ce côté-là.

Il est impératif de faire très clairement cette distinction, car vouloir sanctionner le secteur financier et risques de bulles financières avec la politique monétaire est une folie. Cela reviendrait à sanctionner l’économie dans son ensemble pour les excès de quelques-uns. Par contre, il revient au régulateur de mettre en place une règlementation bancaire prévenant des risques systémiques. Mais encore une fois, ce n’est pas la même chose.

Charles Gave : Créer de la liquidité pour régler des problèmes de solvabilité est une erreur tragique. Il suffit de se rappeler de John Law en 1717, en France, avec la Banque Royale. Nous avons pendant un temps l'illusion de la prospérité, mais tout cela s'effondre inévitablement un jour ou l'autre. Chaque période de taux d intérêts bas et de création de liquidités par les banques centrales à été suivie par un ralentissement du taux de croissance structurel comme je l'ai déjà indiqué, et les taux à zero ne profitent qu' à l'Etat, ce qui permet aux fonctionnaires de continuer a faire n'importe quoi, ce qui mène raremement a plus de croissance. 

Créer plus d argent ne crée pas plus de richesse, mais fait monter le prix des actifs sans faire monter le stock de capital, pour une société, il est beaucoup plus rationnel de racheter ses propres titres que d'acheter une nouvelle machine outil ou d'embaucher des travailleurs. L'absence d'investissement  amène à une baisse de la productivité et cette baisse de la productivité empêche toute hausse des salaires, ce qui fait qu'à terme un gouffre se crée entre la valeur des actifs et leur rentabilité en baisse, et nous avons un krach.

Les séquelles de la crise de 2008 encore présentes : les montants des dettes publiques et l'angoisse de la faillite étatique

Nicolas Goetzmann : Les pays qui présentent des faiblesses par rapport à leur endettement sont en réalité des pays qui n’ont plus de croissance. Cette absence de croissance produit deux effets notables ; elle rend les ajustements budgétaires pratiquement impossibles et elle augmente mécaniquement le ratio de dette sur PIB, puisque ce dernier ne progresse plus. L’envolée du taux d’endettement de ces Etats n’est donc pas une cause, mais un symptôme de l’absence de croissance.

Malheureusement, de nombreux Etats ne perçoivent pas le problème sous cet angle et vont agir directement sur la dette, en réalisant des ajustements budgétaires qui vont avoir des effets récessifs. En voulant soigner le mal, et en agissant de la sorte, on renforce la cause même du mal. C’est exactement ce qui se produit en Europe depuis 7 ans, où les ratios d’endettement ont explosé sous l’effet des politiques d’austérité.

Pour être efficace ici, il s’agit de relancer très fortement la croissance, c’est-à-dire de traiter la cause, pour enfin parvenir à un résultat satisfaisant. Avec plus de croissance, on crée de l’emploi et on augmente les recettes fiscales, on diminue les charges parce que plus de croissance, c’est aussi moins de chômeurs. Même si le processus est lent, il s’agit d’un cercle vertueux. L’objectif est de permettre une croissance économique plus rapide que la croissance des dépenses publiques, et rapidement, le ratio dette sur PIB se retournera favorablement.

Et il n’y a pas de secret, pour obtenir plus de croissance, il faut avoir le soutien de sa banque centrale. Celle-ci peut permettre d’accélérer le rythme de la croissance jusqu’au plein potentiel, et permettre ainsi les ajustements budgétaires nécessaires à la baisse de la dette sur PIB. Mais sans son soutien, la bataille est perdue d’avance. Les expériences du Canada et de la Suède dans les années 90 en sont la preuve, les réformes sont possibles, mais il faut un moteur, et ce moteur est monétaire.

Charles Gave : La crise de 2008 a été créée de toutes pièces par les erreurs des banques centrales. Comme elles continuent à suivre la même politique mais en l'amplifiant, les mêmes causes vont produire les mêmes effets. Les banques centrales suivent un logiciel idiot qui a toujours et partout échoué a créer la moindre croissance, mais qui a toujours reussi à faire monter le poids des fonctionnaires dans l'économie. Si le but des banques centrales est de favoriser le fonctionnaire et de tuer l'entrepreneur, elles ont fort bien reussi.

On ne crée pas de la richesse en détruisant la monnaie et en ruinant l'épargne longue ni en faisant croitre le poids de l'Etat dans l'économie. Par contre, on crée plein de faux emplois que l'on peut filer aux gens qui vous ont elu. La France en est un merveilleux exemple.

Chômage de masse, stagnation des salaires et inégalités qui se creusent : l'angoisse de la crise sociale majeure

Nicolas Goetzmann : Concernant la hausse des salaires, nous assistons actuellement au démarrage du côté des Etats-Unis avec une progression légèrement supérieure à  2%, et ce phénomène prend également place au Royaume-Uni. Mais ce n’est que le début du cycle. Dès lors que le plein emploi sera atteint et que les salaires seront embarqués dans une spirale de hausse, les inégalités pourront se réduire. Mais ce n’est pas encore le cas, voilà pourquoi il est si important de ne pas resserrer le robinet trop tôt, sinon, les causes des inégalités ne seront pas traitées à la base.

Mais sur cette question de l’instabilité sociale, c’est clairement l’Europe qui doit se sentir visée. Parce que le continent a encore près de 20 millions de chômeurs et 10 millions de personnes en situation de sous-emploi. La crise dure depuis 7 ans, c’est-à-dire qu’il est déjà possible de considérer qu’une génération entière de jeunes européens a été sacrifiée sur l’autel de l’incompétence économique des hommes et des institutions de la zone euro. Parce que cette génération ne rattrapera pas les années perdues, l’expérience, et les niveaux de salaires qu’elle pouvait espérer. De plus, et même si une légère prise de conscience a eu lieu de la part de la BCE, rien ne laisse penser pour le moment que les outils nécessaires à un rétablissement de la situation seront mis en place rapidement. La crise européenne ressemble de plus en plus à la crise japonaise, qui s’est éternisée pendant 20 ans. Mais il est nécessaire de préciser que le Japon n’a jamais eu de chômage très élevé, en raison du déclin de sa population, ce qui n’est pas le cas en Europe. L’Europe est en train de s’essayer une nouvelle fois à la démocratie du chômage de masse.

Charles Gave : Bien entendu, ce sont les petites gens qui vont souffrir le plus. C'est toujours ce qui se passe quand le capitalisme de connivence remplace le capitalisme de concurrence. Nous sommes dans une ploutocratie gérée par des ploutocrates pour le bénéfice des ploutocrates. 

La ploutocratie, le capitalisme de connivence n'ont rien a voir avec le capitalisme et le libéralisme. A la fin des annees Clinton,les grandes banques aux USA ont pris le contrêle de la banque centrale américaine. Comme l'avait predit Jefferson, chaque fois que cela arrivé, les riches deviennent plus riches sans prendre de risques, ce qui implique que la croissance s'arrête, que des partis extrémistes prospèrent, et que les pauvres deviennnent plus pauvres. Nous y sommes un peu partout dans le monde, sauf en Asie.

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