Obama vient-il (enfin) de faire un pas décisif sur la question raciale à l'occasion des émeutes de Baltimore ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La ville de Baltimore, dans l'Etat du Maryland (Etats-Unis), est, depuis plusieurs jours le théâtre d'émeutes entre habitants issus de la minorité afro-américaine et les forces de l'ordre.
La ville de Baltimore, dans l'Etat du Maryland (Etats-Unis), est, depuis plusieurs jours le théâtre d'émeutes entre habitants issus de la minorité afro-américaine et les forces de l'ordre.
©Reuters

Mieux vaut tard...

Alors que la ville de Baltimore (Etats-Unis) est secouée par de violents affrontements entre les populations noires et la police, Barack Obama a tenu à s'exprimer à ce sujet. En marge d'une conférence avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe, le président américain a pris 15 minutes pour expliquer, pour la première fois, que ce n'est pas grâce à la police que le pays sortira du cycle de la violence raciale.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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  • La ville de Baltimore, dans l'Etat du Maryland (Etats-Unis), est, depuis plusieurs jours le théâtre d'émeutes entre habitants issus de la minorité afro-américaine et les forces de l'ordre.
  • Les troubles se sont déclenchés suite à la mort, le 19 avril, de Freddi Gray, un jeune noir de 25 ans, après avoir été blessé lors de son transfert dans un fourgon de la police.
  • Un scénario de violence raciale qui réapparaît régulièrement depuis presque un an, après les émeutes, similaires à celles Ferguson, en août 2014.
  • Le président Obama a choisi de s'exprimer sur ce sujet pendant 15 minutes, visiblement ému.

Atlantico : Lors d’une conférence en marge de sa rencontre avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe, le président Obama a décidé de consacrer une réponse de 15 minutes aux évènements de Baltimore. Visiblement sincère, Barack Obama a affirmé qu’on ne "résoudra pas ce type de problème en envoyant la police dans les quartiers concernés, sans se poser la question de comment les aider, de comment donner une opportunité d’avenir à leurs enfants".  Y a-t-il ici une avancée dans la manière dont le président américain qualifie ces émeutes ?

François Durpaire : Barack Obama s’est clairement positionné dans un débat américain où on trouve d’un côté ceux qui défendent ce qu’on appelle le "law and order", la "loi et l’ordre", les partisans de plus de répression, et de l’autre ceux qui mettent l’accent sur les inégalités socio-économiques et raciales, dont sont victimes nomment les Noirs, et la correction qu’elles nécessitent. Là, Barack Obama s’est positionné dans le camp des seconds, ceux qui souhaitent aller à la racine du mal et pas simplement intervenir sur ses conséquences, tout en sachant que Barack Obama a toujours la difficulté de trouver l’équilibre en tant que président noir. Quand, en 2009, il avait pris fait et cause pour le professeur Henry Louis Gates, qui avait été arrêté par la police car il essayait de rentrer chez lui après avoir perdu ses clefs, le président était apparu "trop noir" pour certains. Idem, en 2012, lorsqu’Obama déclarait "Trayvon Martin aurait pu être mon fils". Par contre l’été dernier, en 2014, lors des émeutes de Ferguson, il est apparu "trop blanc" aux yeux des autres, car il affirmait qu’il fallait aussi prendre en compte les difficultés de la police. Barack Obama a donc toujours ce positionnement délicat puisque d’un côté on l’accuse de favoriser la communauté noire, et de l’autre de ne pas s’y intéresser. Il est toujours très difficile depuis 6 ans et demi d’être le premier président noir des Etats-Unis.

Les événements de Baltimore marquent les limites de la méthode Obama. Il y a eu 12 évènements de ce type en un an et demi. Et la Maison Blanche se contente d’envoyer des médiateurs, de créer des "task-forces" : ainsi, après Ferguson on a décidé de réunir 11 personnes qui ont débattu et discuté, pour accoucher d’une proposition de création... d’une nouvelle "task-force" ! On va donc de débat en débat, et finalement la somme des tragédies locales est en train de tourner à la crise nationale. Au bout de six ans et demi, on attend des réponses de Barack Obama.

Le président Obama a également affirmé qu’on ne pouvait "laisser ces problèmes à la police". Cependant malgré la répétition du même scénario, celui de Ferguson, rien n’est fait pour régler le problème des émeutes raciales. Cette déclaration du président est-elle un simple effet d’annonce ? Ou verra-t-on dans les mois qui viennent une nouvelle façon d’aborder le problème ?

Barack Obama rappelle une réalité américaine qui est certaine : le localisme, c’est-à-dire le fait que la police n’est pas nationale, qu’elle dépend des différents Etats et municipalités et non de l’Etat fédéral. Il a eu cette phrase importante "je ne vais pas fédéraliser toutes les polices américaines". Cela irait, effectivement, à l’encontre de l’identité même du pays. Obama souhaite donc faire confiance dans la capacité des polices à changer, puisqu’il ne peut les fédéraliser. En revanche, il souhaite travailler en collaboration avec celles-ci. Cependant, aujourd’hui, face à ces tragédies, beaucoup réclament plus d’Etat fédéral. Pour ce qui touche à la relation entre les Noirs et les Blancs, la question a toujours concerné la nation entière. Une première fois dans l’histoire américaine, la guerre de sécession (1861-1865) a touché à la question de l’esclavage, finalement aboli par le treizième amendement de la constitution. Une deuxième fois, pendant les années 50 et 60, l’Etat fédéral, dans sa dimension judiciaire (la cour suprême), exécutive et législative (avec les lois de 1964 et 1965) a fortement accompagné le mouvement des droits civiques. Aujourd’hui, nous sommes dans un troisième temps où les 39 millions de Noirs américains ont à nouveau besoin de réponses fédérales. On ne peut pas laisser au local cette question raciale car elle touche à l’unité de la nation.

Barack Obama est également revenu sur les conditions de vie des quartiers peuplés par les minorités, noires notamment, pour affirmer que la société leur laissait peu de chances de s’en sortir, tout en ne justifiant pas les actes commis par les émeutiers. Cependant ces analyses sociologiques sont connues depuis belle-lurette : pourquoi le président enfonce-t-il des portes ouvertes ?

Il ne faut pas seulement lire le discours d’Obama, mais également l’écouter et le regarder. Le plus important dans ce discours n’est pas forcément ce qui est écrit, mais la manière de le dire, avec le nombre de silences, les moments où il hésite. Qu’y a-t-il dans ces silences ? Toute l’histoire de l’Amérique, et ce premier président noir qui sait que chacun de ses mots est écouté par une nation de 300 millions d’habitants, dont 39 millions sont descendants d’esclaves. On sent la conscience de ce président noir de sa responsabilité dans le maintien de l’équilibre intercommunautaire. Lorsqu’il était candidat, Obama a peut-être fait l’un des discours le plus importants de l’histoire du pays, après le "I have a dream" de Martin Luther King, le 18 mars 2008. Dans ce discours, il explique qu’on lui a demandé de renier son pasteur, Jeremiah Wright, qui avait eu des mots contre l’Amérique blanche, mais qu’il ne pouvait le faire comme il ne pouvait pas renier la communauté noire. Il dit également que sa grand-mère, blanche, l’aimait plus que tout un monde, alors qu’elle lui avait avoué avoir peur des Noirs. Et de conclure que son pasteur noir, tout comme sa grand-mère blanche faisaient tous deux partie de cette Amérique qu’il aimait.

Beaucoup disent qu’un président noir ne change rien à la situation des Noirs, mais se sont-ils posé la question de ce qu’aurait donné à sa place un président blanc ? Les mots d’Obama, qui semblent mécontenter tout le monde tant ils semblent vouloir concilier les contraires, n’ont-ils pas évité que la tragédie soit pire encore ? Il ne faudrait pas non plus, dans notre analyse, passer de la vision idéalisée d’une Amérique post-raciale suite à l’élection d’Obama à une vision caricaturale à l’inverse. Ce n’est pas parce qu’on a confondu ce qu’est l’Amérique aujourd’hui avec ce qu’elle sera en 2050, que l’on doit aujourd’hui la confondre avec ce qu’elle fut en 1950.

Par exemple, dénoncer les terribles injustices économiques et sociales qui touchent les Noirs américains (à Sandtown Winchester, le quartier du jeune Freddy Gray, l’espérance de vie est de six ans inférieure au reste de la nation) ne doit pas conduire à diffuser une vision misérabiliste de cette communauté. Parmi les 39 millions de Noirs américains, tous ne subissent pas l’injustice de la police, et pour cause, certains sont même policiers, comme le chef de la police de Baltimore, Anthony Batts. Tous ne subissent pas la justice, certains y contribuent en étant juges, procureurs ou même ministres (Eric Holder et désormais Loretta Lynch). Il n’y a pas "les Noirs" mais bien des Noirs, dont certains sont pauvres, d’autres riches, et d’autres encore – et ce sont les plus nombreux – sont membres de la classe moyenne. Et c’est peut-être, historiquement, la principale évolution.

Barack Obama a parlé d’une crise rampante, une "slow-rolling crisis". Dans celle-ci le racial et le social s’entremêlent et créent un engrenage de la misère et de la violence. Le président parle de ces communautés où vivent des minorités, dans lesquelles les enfants qui grandissent ont plus de chances de se faire tuer que d’aller à la fac, sont victimes d’addictions, etc. Le lien entre l’appartenance ethnique et le social est bien connu, mais est-ce que le fait que Barack Obama le mette en lumière change quelque chose ?

Ce qui est intéressant c’est qu’Obama l’exprime, non pas pour la communauté noire car celle-ci connaît déjà cette réalité sociologique, mais pour une partie de la communauté blanche qui se contentera de solutions simplistes : le recours à l’état d’urgence, etc. C’est une manière de mettre le doigt sur la question des inégalités économiques et sociales, sur les réformes de fond nécessaires : celle de la justice pénale, de la formation professionnelle, de l’éducation dès la petite enfance. Des réformes qui sans cibler une communauté permettraient de faire diminuer les inégalités.

Après, il faut aller au-delà des mots et se demander si, effectivement, le président américain a compris la mesure de l’effort à entreprendre pour l’Etat fédéral. "Local Issue" ne doit plus être la réponse lorsque l’on touche à des sujets qui menacent la cohésion nationale. Le dernier point à aborder de mon point de vue, lorsque l’on évoque l’idée de société post-raciale, c’est de ne pas juger ce fait à l’aune exclusive de la communauté noire : qu’en est-il de la communauté hispanique ? Qu’en est-il de la communauté asiatique ? Issu de l’histoire, le phénomène de ségrégation continue à exister, mais il cohabite avec l’émergence de nouvelles mixités, en grande partie inédites. C’est ce qui rend ces sujets si complexes.

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