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Accès direct au porno sur Internet : les jeunes ont-ils une sexualité plus libérée que leur aînés ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Catherine Blanc bouscule nos certitudes, nous incite à nous approprier notre sexualité et apaiser nos inquiétudes. Extrait de "La sexualité décomplexée", de Catherine Blanc, publié chez Flammarion (2/2).

Catherine Blanc

Catherine Blanc

Catherine Blanc est psychanalyste et sexologue. Elle publie chaque mois une chronique dans Psychologies Magazine et participe régulièrement à des émissions télévisées.
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On ne prête qu’aux riches, entend-on dire souvent. Il est vrai que la fougue de la jeunesse la pare de toutes les libertés, et on lui prête aisément tous les débordements que sa fringante agitation suggère. Les apparences pourtant sont bien souvent trompeuses. Car il y a les mots, il y a les actes, et il y a... le sens à donner à chacun d’eux.

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Les enjeux de la vie sociale, mêlés à nos désirs et nos émotions, font l’image que nous voulons, ou que nous tentons, de donner de nous-même. Certes, la parole, d’une manière générale, s’est émancipée, et celle de la jeunesse en particulier. Il suffit d’écouter les émissions de radio destinées aux ados : aucun tabou n’y résiste. À commencer par celui du langage. L’emploi privilégié de mots vulgaires, des mots crus, déshabillés, « à poil », témoigne d’une absence, au moins déclarée, de pudeur, et ces mots sont d’autant plus assurés qu’ils tournent autour de la zone anale ou sexuelle. Des mots que l’on entend dans la bouche des plus petits, qui les utilisent avant même d’en connaître le sens. Il en va de même pour les images véhiculées par la publicité, qui placarde la sexualité sur tous les abribus, que ce soit pour vendre un rouge à lèvres, une glace, un chocolat, une voiture. Ou la mode, qui ne manque pas de mettre en avant, et de façon des plus provocatrices, les corps et les sousvêtements, qui n’ont d’intime que le nom. Ou encore Internet, ou certaines séries télévisées qui proposent des schémas relationnels dépourvus de toute subtilité. La sexualité, de préférence débridée, est aujourd’hui considérée comme un marqueur fondamental du bien-être et de la liberté assumée..

de la liberté assumée. On applaudit, bien sûr, la disparition des jugements moraux, la généralisation de la contraception, l’émancipation des femmes qui ne risquent plus d’être répudiées pour cause de virginité perdue. Pour autant, les jeunes d’aujourd’hui vivent-ils une sexualité plus épanouie qu’hier ? Et si oui, de quoi seraient-ils libérés, quand leurs parents, eux, en auraient été lourdement encombrés ? Des silences ? Des inhibitions ? De l’ambivalence de leurs désirs ?

Pas sûr, car le discours, pas plus que les avancées sociales, ou les modèles affichés, n’épargnent l’individu du cheminement complexe que demande la construction de sa sexualité. Qu’on le veuille ou non, elle est mêlée, chez chacun de nous, de conflits inconscients. Quel que soit le regard extérieur, sévère ou complaisant, c’est bien en nous, au plus intime, que s’arbitre notre désir. Et ce désir, composé d’envies contradictoires, est complexe : curiosité débordante, dose d’agressivité, conflit de loyauté, autant de tiraillements, de questionnements, d’aspirations, qui ne sont pas tranquillement accueillis par l’individu.

En prêtant une plus grande liberté sexuelle aux jeunes gens, ne mélangerions-nous pas, leur capacité à adopter le propos sexué de la société, et les rituels verbaux de la tribu qu’ils forment avec leurs pairs, avec la maîtrise qu’ils en ont ? La liberté d’envisager haut et fort la sexualité avec leur capacité à se l’approprier individuellement ? N’est-ce pas confondre l’adoption du discours social pour se frayer un chemin dans le monde des adultes, avec l’aptitude de tout individu à faire sienne cette pulsion ?

Preuve en est, si les jeunes sont plus libres aujourd’hui de leurs paroles et de leurs actes, il est intéressant de noter que l’âge de la première fois n’a bougé que d’à peine six mois en trois générations, alors que la puberté, elle, semble se mettre en place plus tôt. Que raconte cette permanence ? Le temps normal de la construction d’un individu ! Car si c’est une chose d’être physiologiquement apte, c’en est une autre, bien différente, de l’être psychologiquement et affectivement !

Mais l’injonction actuelle n’en a cure. Elle fait monter les enchères, et les jeunes se sentent contraints d’être performants, d’être à la hauteur de la liberté de leurs propos. Alors que cette liberté est avant tout verbale, il faut à tout prix plaire, attacher l’autre à soi et s’attacher à l’autre. Ne se sentant pas prêts pour autant, ils doivent trouver une façon d’atermoyer, de faire patienter l’autre, d’où une pratique beaucoup plus précoce de la fellation et du cunnilingus, par exemple, qu’ils incluent, à tort, dans le flirt. Curieuse façon de se « conter fleurette ». N’est-il pas déjà question de pénétration ? Cette pratique est-elle toujours l’expression d’un désir serein réciproque ? S’adonner à ces jeux sans en mesurer la portée, est-ce une liberté, ou une façon de mettre à distance, de désincarner ce qui se joue dans la relation amoureuse et sexuelle ?

Quant à ceux qui franchissent le pas vers la sexualité pour imiter, ou épater les copains, et s’essayent à toutes les positions, peut-on parler d’acte de liberté ? Avoir des « sex-friends » est-ce, au prétexte qu’on se débarrasse du lien amoureux, un réel affranchissement ? Sommes-nous libérés quand le partenaire n’a plus d’importance, que nous ne sommes pas obligés de l’aimer ?

Chaque individu, chaque génération aborde la sexualité avec moult tentatives de contournement, tant l’affaire est complexe. C’était vrai hier, c’est vrai aujourd’hui, c’est juste le langage qui a changé.

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Que le discours social pose l’interdit, l’inhibition, ou qu’il prône le devoir de performance, il n’exonère nullement du cheminement qui permet à chacun d’oser tranquillement sa position sexuelle. Ce temps plus ou moins long est nécessaire pour accueillir l’émergence de son désir et ce qu’il révèle de soi, pour arbitrer les informations glanées depuis notre plus tendre enfance, qui ont fait loi, et trouver la juste expression de notre érotisme.

La rigidité d’hier n’est pas un obstacle plus grand que l’exhibition et la course à la jouissance d’aujourd’hui. L’une comme les autres ne font que témoigner de ce à quoi nous réduisons notre sexualité. Quel que soit le contexte, il est toujours question de libre arbitre. C’est à nous qu’il appartient, en matière de sexualité, comme dans beaucoup d’autres domaines, d’oser la responsabilité de notre rythme, de nos émotions et de nos excitations.

On n’entre pas libre dans la sexualité, mais animé d’un désir de liberté, celui qui fait notre autonomie et nourrit le plaisir que nous y prenons.

 Extrait de "La sexualité décomplexée", de Catherine Blanc, publié chez Flammarion, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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