David Cameron sanctionné sur l’immigration malgré le quasi retour britannique au plein emploi<!-- --> | Atlantico.fr
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David Cameron
David Cameron
©REUTERS/Darren Staples

Leçons d'outre-Manche #2

Le Royaume-Uni enregistre de très bons chiffres au plan économique, ce qui n'empêche pas les Britanniques de se montrer très préoccupés par la question de l'immigration. Preuve que la morosité économique ne suffit pas à expliquer ce phénomène de méfiance, présent partout en Europe.

Brendan O'Neill

Brendan O'Neill est rédacteur en chef du magazine Spiked, et chroniqueur pour Big Issue et The Australian.

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Atlantico : Le Royaume-Uni se démarque par le plus fort niveau de croissance des pays occidentaux (2,8 %) et l'un des niveaux de chômage les plus faibles (5,7 %). Une situation qui n'empêche pas l'immigration de rester l'une des principales préoccupations au sein de l'opinion : d'après une enquête Ipsos MORI un Britannique sur 10 se dit satisfait de la politique de contrôle aux frontières du gouvernement. Le rejet de l'immigration ne participerait donc pas d'une situation économique moribonde ?

Brendan O'Neill : Aux yeux des commentateurs dits "progressistes", si les Britanniques sont inquiets vis-à-vis de l'immigration c'est à cause de la situation économique. Selon eux la classe ouvrière fait porter le chapeau aux migrants. Donc au lieu de tenir les politiques ou les banquiers pour responsables de la contraction économique vécue depuis 2008, les classes les plus modestes dirigeraient leurs angoisses et leurs incertitudesquant à l'avenir économique du pays contre les maçons polonais et les balayeurs africains.

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Cette explication n'est pas satisfaisante, selon moi, pour deux raisons. Tout d'abord parce que la situation économique britannique n'est pas aussi catastrophique que dans d'autres pays européens. Nous nous en sortons relativement bien. Deuxièmement, je pense qu'il s'agit là d'un argument particulièrement condescendant qui en substance consiste à dire que "les plus pauvres sont tellement bêtes qu'ils ne sont pas capables de savoir qui sont les personnes qui se trouvent à l'origine de leurs problèmes. Au lieu des plus puissants, ils jettent l'opprobre sur les membres les plus faibles de la société." Au travers de la question de l'immigration ces commentateurs progressistes se présentent comme les "éclairés" – "nous savons qui est réellement responsable de nos problèmes économiques" – tout en faisant passer les membres des classes modestes pour des ignares – "l'économie et la politique sont des choses qui leur échappent un peu".

Il existe un troisième problème. En interprétant les inquiétudes vis-à-vis de l'immigration uniquement au travers du prisme économique, on passe outre un élément bien plus déterminant : les facteurs culturels qui influencent la vision que les Britanniques ont des migrants.

Quelles sont les raisons culturelles à l'origine des inquiétudes nourries à l'égard des immigrés ?

Je pense que beaucoup de Britanniques se sentent de plus en plus mis à l'écart de la classe politique. En fait, ils se sentent méprisés par cette dernière. Au Royaume-Uni comme sans d'autres pays européens, l'élite politique et médiatique se présente comme étant cosmopolite, pro européenne et multiculturelle, par opposition aux autres communautés, notamment les plus pauvres, qui seraient enferrées dans un esprit de clocher, insulaire et potentiellement raciste. Dans les milieux "convenables" il est désormais de bon ton de regarder de haut les personne plus modestes qui continuent de brandir le drapeau britannique – quelle vulgarité ! – et qui se montrent méfiantes vis-à-vis de l'Union européenne. Un profond fossé s'est creusé outre Manche, comme ailleurs : entre d'un côté une nouvelle classe dirigeante pseudo progressive qui se considère affranchie des frontières et des nationalismes et ouverte à la diversité, et de l'autre, une communauté ouvrière qui raisonne encore à un niveau national, avec peut-être un soupçon de patriotisme, considérée comme rétrograde.

Je pense que cela explique en grande partie les inquiétudes émises vis-à-vis de l'immigration. Certains Britanniques se sentent étrangers dans leur propre pays à cause de la manière dont ils sont considérés par les élites. Ils sont méprisés pour leur attachement au drapeau et qualifiés d'europhobes, quand ce n'est pas de racistes, s'ils manifestent une opposition à Bruxelles et sa bureaucratie. Ce sentiment d'être mis à l'isolement, voire d'être devenu des étrangers parmi les Britanniques de souche peut en amener certains à ne pas se sentir à l'aise avec l'immigration et l'impacte que celle-ci a sur leurs villes. Ils ont le sentiment que les migrants exacerbent le phénomène d'éloignement du Royaume-Uni vis-à-vis de ses propres traditions et valeurs.

Les Britanniques ne sont donc pas seulement préoccupés par l'état de l'économie, mais aussi par l'identité nationale ?

Bien sûr que les gens sont préoccupés par l'identité nationale. Mais je ne crois pas que les immigrés soient responsables de cette crise de l'identité nationale. Le vrai problème réside dans l'incapacité des responsables politiques britanniques à énoncer ce que le Royaume-Uni signifie aujourd'hui. De Tony Blair à David Cameron en passant par Gordon Brown, nos derniers premiers ministres ont tenté de raviver les "valeur britanniques", mais se sont heurté à de grandes difficultés. Ils semblent incapables de se dire fiers de l'histoire de leur pays ou de manifester un quelconque attachement à l'esprit britannique.

La crise de l'identité correspond véritablement à une crise de l'élite politique. De plus en plus éloignés du passé britannique – désormais considéré comme toxique à cause de la révolution industrielle et raciste à cause de l'empire colonial – et indécis quant à l'avenir, nos dirigeants politiques paraissent incapables d'exprimer des valeurs nationales claires. Le débat autour de l'immigration s'est malheureusement retrouvé mélangé à cette crise de l'élite. Beaucoup se demandent si les immigrés sont responsables de la dilution de notre sens de l'identité nationale. Je ne crois pas qu'ils le soient. Le vrai problème réside dans l'incapacité du Royaume-Uni à assimiler les immigrés dans un récit national clair, ce qui encourage de facto certains d'entre eux à vivre dans leur propre bulle ethnique et culturelle. C'est la crise "de bas en haut" des valeurs britanniques, maquillée en "multiculturalisme", qui donne au Royaume-Uni ces allures de nation divisée et incertaine.

La manière dont certains politiques érigent les immigrés en citoyens supérieurs à ceux qui sont nés sur place pose-t-elle également problème au Royaume-Uni ?

Je suis pleinement en faveur de l'immigration. Je soutiens l'ouverture des frontières. Mais cela ne m'interdit pas de penser que certains progressistes utilisent la question migratoire pour assurer la promotion de ce qu'ils considèrent être les bonnes valeurs. Ils ont notamment tendance à faire l'éloge des immigrés bien plus que celui des Britanniques d'origine, issus des classes populaires, car ils considèrent que les premiers sont plus travailleurs et plus intéressants au plan culturel que les seconds.

Un éditorialiste a comparé "les étrangers travailleurs" aux "Britanniques pique-assiettes paresseux qui passent leurs journées dans leur canapé à boire de la bière et à regarder la télévision". C'est un lieu commun partagé par beaucoup de politiques et de journalistes : des immigrés moralement supérieurs à des Britanniques de souche bien moins dignes de considération. Nous assistons à la politisation des immigrés par certains membres de la classe politique qui cherchent tout simplement à se distancier des couches populaires britanniques prétendument ignorantes et racistes. Cette manière d'utiliser cyniquement les immigrés comme une sorte de bouclier moral contre les pauvres est terriblement dangereuse, car elle renforce l'idée selon laquelle il existerait une bataille entre immigrés et Britanniques d'origine, et intensifie un sentiment de gêne, et peut-être même de jalousie à l'endroit des immigrés.

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