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Deux ans après les 1129 morts de l’usine Rana Plaza au Bangladesh, fabricants et distributeurs textiles n’ont quasiment rien changé
©Reuters

Promesses en l’air

Deux ans après le drame du Rana Plaza vient l'heure des bilans. Et si les marques européennes et américaines n'ont pas échappé à une réaction, celle-ci a bien souvent préféré l'impact médiatique plutôt que l'efficacité.

Pierre-Samuel  Guedj

Pierre-Samuel Guedj

Président & fondateur d’Affectio Mutandi, spécialiste de la RSE, du lobbying et de la communication sensible, Pierre-Samuel Guedj bénéficie d’une expérience de près de 20 ans, exerçant auprès des grandes entreprises françaises et internationales une activité de conseil en matière d’affaires publiques, d’influence, de responsabilité sociétale, de réputation et de communication de crise.

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Atlantico : Il y a deux ans, 1129 personnes périssaient dans l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh. Le gouvernement bangladais, des ONG ainsi que certaines entreprises donneuses d'ordres avaient promis de compenser les victimes financièrement. Deux ans après, qu'en est-il ? De plus, le salaires minimum des ouvriers du textile devait être augmenté, où en sommes-nous sur ce point-ci ?

Pierre-Samuel Guedj : Les choses ont avancé, lentement. Le Rana Plaza Donors Trust Fund a été créé en janvier 2014 pour l’indemnisation des familles des victimes de la catastrophe. Il aurait à ce jour traité la quasi-totalité des demandes auprès des près de 5000 bénéficiaires qui auraient déjà reçu un premier versement de près de 40% de leur indemnité.

À l’heure actuelle, il faudrait encore 6 millions de dollars pour parvenir à la somme estimée nécessaire, qui est de 30 millions de dollars, notamment parce que les marques ont peur d’une responsabilité juridique ou d’un préjudice pour leur réputation si elles sont associées à cette initiative. Parmi les entreprises qui ont participé au fonds on retrouve Auchan, très attaquée par les ONGs françaises, Mango, Camaïeu ou encore plus récemment Benetton. Cependant plusieurs ONG déplorent à fois la faiblesse des dons effectués par les marques et la lenteur du processus d’indemnisation. Les campagnes d’advocacy comme Clean Clothes Campaign continuent.

Le salaire minimum a par ailleurs été augmenté de 77%, passant à 50 euros par mois, mais reste très insuffisant par rapport au salaire décent qui est de 260 euros dans le pays. Les mobilisations et manifestations locales continuent également sur le sujet.

Suite au drame, sur place plusieurs mesures visant à renforcer la sécurité devaient être prises. Parmi elles, les restaurations des usines locales et leurs inspections régulières. Aujourd'hui peut-on dire que la sécurité des ouvriers dans ces usines est assurée? Y-a-t-il eu un réel changement entre l'avant et l'après Rana Plaza de ce point de vue ?

Il y a eu des progrès dans le contrôle de la sécurité des usines et des conditions de travail des ouvriers. Un "Accord sur la sécurité des bâtiments et la protection contre les incendies au Bangladesh" a notamment été mis en œuvre à l’initiative du gouvernement et des usines, sous l’égide de l’OIT. Avec le concours également de 190 marques, plus de 1250 usines ont été inspectées et plus de 950 plans d’amélioration sont en cours de réalisation. La seconde initiative, l’Alliance pour la sécurité des travailleurs bangladais mise en place par les grands distributeurs américains (Walmart, Gap, ...) et dénoncée par les ONGs, a quant à elle mis en œuvre plus de 600 inspections dans les usines. Une coordination se met en place progressivement entre les deux programmes.

Des programmes d’amélioration des conditions de travail ont également été mis en place et les normes syndicales renforcées. Cependant ces progrès sont à nuancer puisque les ONG des Droits de l’homme actives dans la région soulignent encore de nombreuses déficiences. La vie quotidienne des 4 millions d’employés du textile de ce pays reste plus que difficile selon le rapport de l’ONG Human Right Watch publié le 22 avril dernier.

Si l'on se penche sur les marques vestimentaires vendues sur le sol français, à quoi s'étaient-elles engagées ? Ont-elles pris des dispositions correspondantes ? Lesquelles précisément ? Sont-elles par exemple plus rigoureuses lorsqu'il s'agit de sélectionner des sous-traitants ?

Outre l’indemnisation des familles des victimes à travers le fond, les marques se sont engagées à mieux contrôler et prévenir les risques. Certaines marques américaines comme GAP ont ainsi mis en place leur propre mécanisme de contrôle de la sécurité dans les usines. Le Groupe Zara s’est également engagé très tôt dans un plan de collaboration avec ses chaines d’approvisionnement. D’autres comme H&M réfléchissaient à délocaliser leurs unités de production en Ethiopie, pour faire face à la hausse des salaires en Asie et notamment en Chine...

Bon nombre de marques françaises, de distribution notamment comme Carrefour, s’étaient engagées par le passé et très tot au travers de l’Initiative Clause Sociale, développant des bonnes pratiques dans leurs relations avec les fournisseurs. Les enseignes regroupées au sein de l’Alliance du Commerce se sont aussi dotées d’un guide de bonnes pratiques et recommandations très détaillées, notamment sur les conditions et clauses d’achat, reprenant les fondamentaux du Contrat Durable © qui rééquilibre les relations donneurs d’ordre / fournisseurs en capitalisant sur les principes de l’ISO 26000. Mais nombreuses restent discrètes par crainte pour leur image.

Beaucoup reste à faire. Il s’agit maintenant d’aller au délà et de coordonner l’ensemble des initiatives pour mutualiser les audits, partager les bonnes pratiques, s’entendre entre donneurs d’ordre pour que le fournisseur commun gagne en stabilité financière sur un plus long terme, travailler avec les ONGs comme CARE International à l’accompagnement des ouvriers sur l’éducation à la sécurité. Il est possible de créer de réelles ententes éthiques. Si les autorités de la concurrence le permettent parce que les informations à échanger sont hautement confidentielles.

Ces derniers temps certaines entreprises françaises ont commencé à re-localiser, cette décision est-elle liée à ce types de catastrophes? Y-a-t-il eu une prise de conscience, le consommateur français est-il plus sensible aux dessous des étiquettes?

Il y a une prise de conscience de la part des consommateurs. Internet a facilité la diffusion de l’information et également la mobilisation des consommateurs qui deviennent de plus en plus exigeants en matière de transparence et de traçabilité des produits. En témoignent la campagne «Fashion revolution day" (voir #JEVEUXSAVOIR) ou les campagnes du collectif l’Éthique sur l’étiquette qui mobilisent les consommateurs sur les réseaux sociaux pour réclamer plus de transparence dans les chaînes de production de l’industrie textile. Nous voyons émerger un véritable "Homo Ethicus Numericus" notamment chez les nouvelles générations.

Certaines entreprises ont pu relocaliser leur production, dans un souci de proximité notamment pour avoir un plus grand contrôle. Mais surtout il y a de plus en plus de nouvelles marques qui, à la suite de leurs grandes sœurs comme Veja, s’inscrivent dans une réelle éthique sociétale et environnementale : l’Atelier Bartavelle, Bleu de Paname, Bilum, etc. C’est un mouvement à suivre.

Enfin, existe-t-il un certains nombres de moyen de sanctionner les donneurs d'ordres (français) qui ne respecteraient pas la législation en place ?

La question est plus complexe. Il s’agit de réglementations internationales et nous parlons d’un pays où il n’y avait à l’époque que 55 inspecteurs du travail pour suivre les près de 4000 unités de production textile et où le taux de syndicalisation est extrêmement faible parce que découragé... Le droit du travail n’est pas appliqué parfaitement dans les pays à gouvernance perfectible... 

Il y a eu des tentatives de poursuites juridiques pour non respect des engagements éthiques, auprès d’Auchan ou de Samsung notamment et à l’initiative d’Indecosa CGT et de l’ONG Sherpa. Classées sans suite à ce stade, ce levier juridique existe toujours. 

La France a par ailleurs pris une initiative pionnière avec une proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères, adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale le 30 mars, qui crée l’obligation pour les entreprises françaises de plus de 5000 salariés d’établir et de mettre en œuvre un "plan de vigilance". Ce dernier doit prévenir les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement sur la chaîne de production de ces entreprises. Celles qui n’auraient pas mis en place de tels plans s’exposeraient à des poursuites et à une amende de 10 millions d’euros. C’est une avancée saluée par les ONGs même si son efficacité à l’autre bout de la planète reste à démontrer, notamment tant que ce type de démarche n’est pas partagée a minima au niveau européen pour un réel impact. Et ce sont peut-être aussi aux marques mondiales d’Asie, d’Uniqlo à Samsung, de montrer l’exemple et s’engager auprès de leurs populations pour pouvoir commercialiser dans une zone Europe qui a déjà des règles éthiques très fortes et bien suivies. Et au consommateur d’être prêt à payer le "prix juste" ...

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