Rabais clandestins : pourquoi les efforts de moralisation de la grande distribution ne parviennent toujours pas à porter leurs fruits<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pratiques de la grande distribution sont régulièrement dénoncées (ici un caddie en illustration).
Les pratiques de la grande distribution sont régulièrement dénoncées (ici un caddie en illustration).
©Reuters

T’aurais pas 500 millions ?

Selon une information du Point, l’association de défense des grandes marques aurait fait parvenir un courrier au ministre de l’Économie dans lequel elle réitère sa volonté de faire inscrire un dispositif dissuasif sur les pratiques illicites des distributeurs en matière de rabais. L'association estime que ces rabais exigés par les distributeurs s'élèvent à 500 millions d'euros, entre 2013 et 2014.

 Yann  Queinnec

Yann Queinnec

Yann Queinnec est directeur général d'Affectio Mutandi, une agence spécialisée dans les stratégies de responsabilité sociétale et leur impact sur les populations.

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Atlantico  : Alors que les pratiques de la grande distribution sont régulièrement dénoncées, voire condamnées, comment expliquer leur persistance ?

Yann  Queinnec : Cela s'explique de par la position stratégique des distributeurs dans l’écosystème. Des périphéries jusqu’aux centres villes, le maillage des territoires fait des grandes enseignes l’interlocuteur privilégié quotidien des consommateurs français. Cette position est une grande responsabilité et un défi : proposer des prix attractifs sans abuser de leur puissance d’achat auprès des fournisseurs, petits ou grands.

Notons par exemple l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 décembre 2013 qui condamne le GALEC, le groupement d'achat Leclerc, à une amende civile d'un montant de 500 000 €.

Suffisamment importante pour figurer sur le site de la DGCCRF, l'arrêt juge abusives les clauses sur les paiements croisés entre le Galec et les fournisseurs. Alors que le Galec  devait payer ses fournisseurs entre 30 et 60 jours, le règlement par les fournisseurs des "prestations de services propres à favoriser la commercialisation des produits", réalisées par le Galec pour les fournisseurs, devaient être payés à 30 jours.


Faut-il se résoudre à ces dysfonctionnements ? Quels sont les moyens aujourd'hui mis en place pour lutter contre ces pratiques ? Sont-ils suffisants ?

Les relations entre partenaires commerciaux sont régis par les contrats qui les lient. C’est donc sur le contrat que les dispositifs existant agissent.

On peut citer le mécanisme de Médiation Inter-entreprises que les entreprises peuvent saisir afin de résoudre des différents entre partenaires commerciaux. La médiation Inter-entreprise a aussi un rôle préventif et a publié ces dernières années des chartes et en particulier la Charte relation fournisseurs responsables. En tant que catalyseur il a pu aussi recenser des mauvaises pratiques à ne plus reproduire et notamment des clauses abusives générant un déséquilibre entre les parties.

L’infraction de déséquilibre significatif est d’ailleurs l’autre dispositif prévu par la loi depuis 2008 (loi de modernisation de l’économie (LME) article L. 442-6 I 2°) du code de commerce). Il permet à Bercy de saisir la justice à la demande de fournisseurs craignant de s’exposer au risque de déréférencement. Quelques décisions de justice ont pu ainsi confirmer qu’il appartient à l’enseigne de veiller à ne pas profiter de son pouvoir avantageux de négociation pour mettre à la charge de ses partenaires des obligations déséquilibrées en sa faveur.

Quels sont les autres leviers qu'il serait possible de mettre en place afin de contrer la grande distribution ?

Plus que contrer, il s'agit de prendre aux mots! Devant les attentes grandissantes des parties prenantes et la multiplication des engagements d’éthiques et RSE des marques et enseignes, garantir la conformité des produits et services à ces nouvelles exigences est le nouveau défi des entreprises.

Entre courir derrière le prix bas au risque de proposer aux consommateurs des produits entachés de violations sociales, sanitaires et environnementales et maintenir ses prix artificiellement haut pour préserver ses marges, il existe une autre voie !

L’enjeu réside dans l’établissement de contrats durables entre les parties. Devant les limites de la spirale des prix bas, les entreprises sont amenées à s’engager sur la voie d’ententes éthiques.

Qui en fait aujourd'hui les frais ?

Qu'il s'agisse de lutter contre les ententes ou les abus de position dominante, les interventions de l’Autorité de la concurrence mettent le consommateur au centre du jeu. Dans ce qui s'apparente à une guerre des prix, il doit bénéficier de produits de qualité, innovants et au prix juste.

Quand Danone, l'Oreal et d'autres grandes marques mettent en place des stratégies d'achats responsables, elles répondent à l'attention croissante des citoyens à une meilleure répartition des revenus dans la chaîne de production. Encore faut-il que cela soit pris en compte dans les prix négociés avec les enseignes.

Comme le déclarait le représentant d’un grand distributeur, lors du colloque organisé le 17 novembre 2014 par le CESE « La RSE en actes – Ensemble vers un plan national d’action pour la RSE », l’amélioration des conditions sociales, sanitaires et environnementales dans les chaines d’approvisionnement ne doit pas être un sujet concurrentiel entre les acteurs de la grande distribution. Dans ce contexte, le montant des ristournes annoncé interroge.

Quel est le rôle du consommateur ?

Toutes les entreprises disposant de marques fortes et leurs distributeurs sont amenés à subir une pression croissante de leurs parties prenantes qui mobilisent les outils offerts par la révolution digitale pour les interpeller, avec plus ou moins de justesse et d’efficacité, mais presque toujours avec l’éthique en ligne de mire.

Les initiatives citoyennes ne manquent pas. Certaines consistent à se détourner de la grande distribution en mettant en place des alternatives. Prenez le succès des AMAP, ou le Projet La Louve, 1er supermarché coopératif et participatif de Paris qui ouvrira cette année dans le 18ème arrondissement.

Il s'agit d'un nouveau modèle pour faire ses courses. Les membres de la coopérative, aux côtés de quelques salariés, assurent les tâches nécessaires pour le bon fonctionnement du magasin à hauteur de 3h consécutives toutes les 4 semaines : caisse, stock, administration, nettoyage...


Les économies réalisées permettent à la coopérative de pratiquer des marges basses qui se traduisent par des prix très abordables sur des produits de haute qualité.

D'autres initiatives passent par la loi. Le Sénat a adopté le 10 avril un amendement à la loi Macron pour lutter contre le gaspillage alimentaire. L'objectif est de permettre à tout citoyen de créer une association pour ensuite s’adresser au supermarché de son choix, afin que celui-ci lui remette les invendus pour une distribution le soir-même. Portée par Arash Derambarsh et Mathieu Kassovitz, cette initiative a recueilli plus de 180.000 signatures via la plateforme de pétition en ligne Change.org.

A travers internet, le citoyen consommateur reprend sa part de voix pour acheter et légiférer autrement. L’émergence de cet Homo Ethicus Numericus coïncide d’ailleurs avec le succès des formules de courses en ligne.

Rappelons que ce 24 avril sera le second anniversaire de l’effondrement des ateliers du Rana Plaza qui fit plus de 1000 morts, que 2014 fut l’année des révélations du Guardian sur le recours à l’esclavage dans la filière des crevettes, de celles de Cash Investigation sur le travail des enfants dans le secteur de la téléphonie portable et que la semaine dernière Channel 4 a révélé des conditions de travail indignes dans la filière de production de fruits et légumes en Espagne. L’attention des consommateurs français à l’égard des conditions d’approvisionnement de leurs enseignes préférées est éveillée. 

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