Résistance aux antibiotiques : l’avancée majeure permise par la découverte d’une tribu isolée en Amazonie <!-- --> | Atlantico.fr
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La tribu des Yanomamis est très résistante aux antibiotiques.
La tribu des Yanomamis est très résistante aux antibiotiques.
©Reuters

Santé de fer

Des chercheurs américains ont étudié les bactéries dont sont porteurs des individus Yanomamis du Vénézuéla, et, surprise, certaines d'entre-elles sont très résistantes aux antibiotiques. Pourtant, les membres du clan n'en ont jamais pris un seul de leur vie.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Lors de la première rencontre avec cette tribu de Yanomamis isolés du Venezuela, les scientifiques ont prélevé des échantillons de salive, de selles et de peau parmi les membres du clan. Le but : étudier leur microbiote, c’est-à-dire l’ensemble des micro-organismes présents dans leur corps (bactéries, etc.). Le résultat montre que ces Amérindiens ont un microbiote deux fois plus diversifié que celui des Occidentaux. Pourquoi et avec quelles conséquences ?

Dr Stéphane Gayet : Le nom microbiote désigne l’ensemble des bactéries qui vivent sur notre peau et nos muqueuses. On a longtemps utilisé l’expression "flores bactériennes" et c’est, depuis quelques années, ce nouveau terme qui prévaut. Ce microbiote, ou plutôt ces microbiotes (cutané, intestinal, génital…), font partie de notre vie : ces très nombreuses bactéries (nous en avons plus que de cellules humaines) sont, pour l’immense majorité d’entre elles, non seulement non agressives (non pathogènes), mais, qui plus est, bénéfiques, utiles. Sur la peau et sur les muqueuses, elles contribuent à nous protéger des bactéries pathogènes : c’est l’effet "barrière". Sur la muqueuse digestive, elles participent à la digestion et à la régulation nutritionnelle.

Un fœtus est axénique, c’est-à-dire sans bactérie, car il vit en vase clos dans une cavité protégée (la cavité amniotique remplie de liquide éponyme) qui est entourée par le muscle utérin. Dès sa naissance, il commence à se coloniser par les bactéries qu’il rencontre, en premier celles des voies génitales basses (col utérin, vagin et vulve) de sa mère. On remarquera qu’en cas de naissance par césarienne, c’est différent. C’est ainsi le microbiote génital de la mère qui est à l’origine de la première colonisation du nouveau-né ; puis viendront les bactéries provenant de son alimentation et de ses contacts avec d’autres personnes et son environnement. Cette colonisation du nouveau-né est une étape physiologique, "normale", qui doit se faire ; mais si elle se déroule mal, si elle comporte des bactéries pathogènes, le bébé pourra développer une ou plusieurs infections bactériennes (streptocoque B, streptocoque A, staphylocoque doré, entérocoque, colibacille, haemophilus…). Dans nos pays industrialisés et notamment en France, le pays de Louis Pasteur, nous utilisons beaucoup de désinfectants (sur les surfaces), d’antiseptiques (sur la peau) et d’antibiotiques ; nous sommes préoccupés par les bactéries et notre nourriture est peu contaminée dans l’ensemble. Toutes ces mesures antimicrobiennes tendent à réduire et à simplifier nos microbiotes. C’est le contraire qui se produit chez les peuples vivant au milieu d’une nature encore vierge et loin des sociétés industrielles, d’où la richesse de leurs microbiotes. Étant donné que ces bactéries sont, pour l’immense majorité d'entre elles, non pathogènes et même bénéfiques, ils s’en portent très bien et développent sans doute moins d’infections et moins d’allergies. Il serait temps que l’on cesse d’être obsédés par les bactéries et que l’on se protège de celles qui sont pathogènes avec des mesures plus ciblées et moins systématiques.

En étudiant ce microbiote, les scientifiques ont fait une découverte inattendue : le génome de certaines bactéries présentes chez les Yanomamis possédait une capacité de résistance à certains antibiotiques, même des plus modernes, alors que ce peuple n’avait jamais été en contact avec la médecine occidentale qui les utilise. Si ces bactéries n’ont pu muter à cause d’un médicament, cela voudrait-il dire qu’elles possèdent naturellement la capacité de résister aux antibiotiques ? Comment cela est-il possible ?

C’est une nouvelle leçon d’humilité donnée par une étude scientifique bien pensée. Vérité d’hier, contre-vérité d’aujourd’hui ; vérité d’aujourd’hui, contre-vérité de demain. La science progresse par découvertes, parfois fortuites, par hypothèses confirmées ou infirmées, par analyses, par enquêtes notamment épidémiologiques, par théories… Nous sommes satisfaits quand une notion simple et consensuelle permet d’expliquer beaucoup de phénomènes constatés.

La bactérie est un être vivant, à la différence du virus ; elle possède un seul et unique chromosome, alors que l’homme en a 23 paires. Les gènes sont essentiellement portés par les chromosomes : un gène est un segment d’acide désoxyribonucléique (ADN) qui code pour un caractère, comme la résistance à un antibiotique donné ; on trouve également des gènes en dehors des chromosomes, tels que les gènes plasmidiques des bactéries (un plasmide est de l'ADN cytoplasmique). Le gène est une unité d’information génétique transmissible ; c’est une unité de lecture (codage), de transformation (mutation), de déplacement (translocation) et de réplication (synthèse). On a longtemps admis que le phénotype (la réalité d’un individu bactérien ou humain) était l’expression plus ou moins complète et précise du génotype (les gènes chromosomiques). Or, on découvre de plus en plus que le potentiel génétique d’un individu bactérien ou humain est beaucoup plus riche que son expression phénotypique. Faisons cette comparaison avec le fonctionnement de notre cerveau : les neurophysiologistes nous apprennent que nous n’utilisons qu’une petite fraction de notre encéphale.En matière de capital génétique, c’est un peu la même chose : nous n’utilisons qu’une petite fraction de nos gènes et la bactérie n’échappe pas à cette règle. En d’autres termes, les gènes de résistance aux antibiotiques seraient présents, mais non exprimés chez un très grand nombre de bactéries et n’attendraient que la survenue de conditions particulières pour s’exprimer. Si cela se vérifiait, la théorie selon laquelle toute apparition d’une résistance phénotypique nouvelle est la conséquence d’une mutation serait bousculée. Encore une certitude qui se fissurerait. On comprendrait mieux que les bactéries s’adaptent vite à un nouvel antibiotique. L’apparition d’un caractère phénotypique serait donc au moins autant, si ce n’est plus, liée à l’expression d’un gène (sous l'influence d'activateurs, de répresseurs, de modulateurs présents dans la cellule ; facteurs environnementaux…) qu’à sa présence, en réalité bien plus fréquente qu’on ne le pense.

Parallèlement, il semble que certaines autres bactéries produisent, quant à elles, des molécules antibiotiques visant à éliminer des micro-organismes concurrents. Lesquels mutent pour créer cette fameuse résistance. Finalement cette capacité de résistance naturelle aux antibiotiques vient-elle de la concurrence que se livrent les bactéries entre elles ?

Le principe général de finalité du vivant veut que toute chose du monde vivant ait une raison d’être et un rôle à jouer. Rien dans notre corps n’est inutile et rien de ce que produit notre corps n’est superflu (sécrétions, hormones…). La nature a horreur du vide, mais aussi de l’inutile. Il doit en être de même pour les bactéries. Initialement, les antibiotiques étaient surtout produits par des champignons, mais aussi par des bactéries, avant d'être en partie synthétisés chimiquement. On admet que les champignons produisent des antibiotiques pour se protéger des bactéries qui les entourent et peuvent leur nuire. Et n’a-t-on pas découvert que certains insectes produisaient des substances à effet antibiotique ? De la même façon, il est logique de penser que des bactéries synthétisent des antibiotiques pour se protéger d’autres bactéries : le monde vivant est un monde de compétition, cruel et sans pitié. Chaque espèce lutte pour sa survie et doit se défendre face à la tendance envahissante des autres qui l’environnent. C’est comme cela qu’il faut comprendre la production d’antibiotiques par certaines bactéries ; ce n'est pas un hasard. Mais les antibiotiques ne sont pas des substances très sélectives : ils ont souvent un spectre étendu. Dès lors, si une souche bactérienne se met à fabriquer un antibiotique, elle et ses semblables risquent de se trouver menacés par cet antibiotique présent dans le milieu, de la même façon que l’estomac est agressé par son suc très acide dont il doit se protéger. On peut encore citer l’élaboration d’anticorps pour neutraliser un agent infectieux viral et qui finissent par agresser l’individu lui-même (maladie auto-immune). Pour en revenir à notre souche bactérienne, elle doit se protéger de ses propres armes, de l’antibiotique qu’elle produit, d’où le développement d’une résistance antibiotique. L’antibiotique est ainsi une arme offensive, la résistance antibiotique une arme défensive ; si l'on produit une arme, il faut penser à s'en protéger (comme les missiles et les boucliers antimissiles).

Le monde vivant est un monde concurrentiel en perpétuelle recherche d’équilibre. Beaucoup d’interventions humaines à forte composante technologique entraînent des ruptures d’équilibre, parfois dramatiques.

Les Amérindiens Yanomamis sont porteurs d’un microbiote très diversifié et résistant, pourtant les membres de la tribu isolée semblent en parfaite santé. Or on sait que les maladies bénignes de l’homme occidental (rhume, grippe, rougeole) peuvent dégénérer en épidémies mortelles pour ces peuples avec qui nous n’avons pas encore de contacts. Comment expliquer ce paradoxe ?

Comme nous l’avons vu, il faut retenir que les microbiotes bactériens de l’homme sont d’abord et avant tout physiologiques, bénéfiques. Car cette conception pathogénique du monde bactérien est à la fois simpliste et très éloignée de la réalité. Certes, nous connaissons bien toute une liste de bactéries dangereuses pour l’homme, car pouvant déterminer chez lui une infection plus ou moins grave (pneumocoque, méningocoque, bacille diphtérique, bacille tétanique, bacille tuberculeux, bacille de la peste, bacille de la fièvre typhoïde, vibrion du choléra, staphylocoque doré, streptocoque A, listéria…). Mais ils sont l’exception éclatante parmi un immense monde bactérien non pathogène et même favorable.

Ces tribus d’êtres humains qui vivent en osmose avec le milieu naturel constituent avec leur environnement un écosystème en équilibre apparent. La sélection naturelle joue son rôle : les nouveau-nés malformés meurent rapidement, les êtres fragiles et mal constitués ne vivent pas longtemps. Mais l’impression générale est celle d’une tribu en bonne santé physique, mentale et sociale, celle d'une relative sérénité. Or, il faut faire attention : leur équilibre écosystémique pourrait être bousculé et il s’en suivrait de grosses perturbations. Ce serait le cas en effet si un virus pathogène pour l’homme et pour lequel ils sont naïfs (c’est-à-dire sans contact antérieur avec lui et de ce fait sans aucune immunité vis-à-vis de lui) était introduit dans leur communauté, il risquerait d’avoir un effet dévastateur. L’être humain est à la fois fort et vulnérable. Son équilibre apparent reste d’une certaine façon précaire.

La découverte de ces bactéries, et de leur résistance naturelle à des médicaments auxquels elles n’ont pas encore été confrontées, inquiète certains scientifiques. En effet cette étude montre la capacité d’adaptation de certains germes, qui pourraient être vecteur d’épidémies mortelles et résistants à tout traitement. Qu’en est-il réellement ? Devons-nous nous inquiéter ?

La mise en évidence de résistances potentielles aux antibiotiques chez des souches bactériennes naïves vis-à-vis de ces antibiotiques ne doit pas nous faire peur outre mesure. Elle constitue une nouvelle voie tracée pour des travaux de recherche à venir. Elle nous pousse brutalement à revoir nos théories trop simples, trop schématiques et finalement pleines de failles.

Les bactéries font partie intégrante de notre équilibre physiologique. Nous n’avons pas à lutter contre elles de façon systématique et obsessionnelle, mais à nous en méfier et à les contrôler quand c’est nécessaire et où c'est nécessaire. Il faut prendre du recul face aux scénarios catastrophes que l'on nous brandit : beaucoup de risques existent, mais nous sommes déjà en capacité d'en contrôler beaucoup. On nous avait annoncé la grippe pandémique, l'arrivée menaçante du virus Ebola en France, etc.

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