Hommage à Bob Maloubier, le plus dandy et discret de nos agents secrets <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Hommage à Bob Maloubier, le plus dandy et discret de nos agents secrets
©

Le temps qui passe

Il nous a quittés. C’était un des héros les plus authentiques de la Résistance, de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide. Il a même inventé des montres et tourné au cinéma avec Jean-Luc Godard…

Grégory Pons

Grégory Pons

Journaliste, éditeur français de Business Montres et Joaillerie, « médiafacture d’informations horlogères depuis 2004 » (site d’informations basé à Genève : 0 % publicité-100 % liberté), spécialiste du marketing horloger et de l’analyse des marchés de la montre.

Voir la bio »

S’il avait été anglais, Bob Maloubier (ci-dessous : sa dernière photo, par Stephan Ciejka) aurait fait un extraordinaire agent 007, mais le SOE (Special Operations Executive), qui était l’équivalent des Forces spéciales dépêchées en Europe par Churchill pendant la Seconde Guerre mondiale, ne délivrait pas de tels matricules.

Bob Maloubier. Sa dernière photo par Stephan Ciejka : il tient en main sa propre image, du temps des premiers nageurs de combat français, Fifty Fathoms au poignet.

Le roi d’Angleterre George VI lui avait personnellement décerné le prestigieux DSO (Distinguished Service Order) en 1945, ce que la reine Elizabeth, sa fille, confirmera en 2014, quand elle fera personnellement de lui un Member of Bristish Empire, mais on se demande pourquoi la République s’est contenté de laisser simple chevalier de la Légion d’honneur ce grand patriote qui a servi pendant plus de quinze la France libre, puis les services secrets français et, à partir des années 1960, la France africaine. Il ne comptait guère que trois citations sur sa croix de guerre et quelques agrafes supplémentaires sur ses autres décorations…

Bob Maloubier, notre dandy agent secret.

Bob Maloubier, qui nous a quitté mardi soir, venait d’avoir 92 ans. L’armistice de 1940 avait décidé ce lycéen de 17 ans – privé de baccalauréat par l’offensive allemande – à rejoindre le général de Gaulle à Londres. Il n’y parviendra qu’en 1943, après des péripéties qui lui feront côtoyer, à Alger, un de ses copains de Neuilly, Fernand Bonnier de La Chapelle, qui assassinera le général Darlan la veille du Noël 1942, et qui le feront recruter par le SOE britannique pour être envoyé, après un entraînement commando très viril, derrière les lignes allemandes, en France, où il sera grièvement blessé d’une balle dans le poumon au cours d’un accrochage avec les Feldgendarmes. Traqué, soigné clandestinement, puis évacué vers l’Angleterre, Bob Maloubier sera à nouveau parachuté en France, pour soutenir les maquis communistes du Limousin. S’il n’échappe à la mort que par miracle, en vivant là aussi des aventures insensées entre deux attaques de trains blindés bourrés de SS, c’est pour mieux se retrouver en Asie, cette fois parachuté au Laos par le SOE en 1945 pour épauler les maquis anti-japonais (il a raconté sa guerre dans une remarquable émission d’Arte)…

Que faire d’un ex-agent du SOE, formé au sabotage et au combat rapproché (il excellait au pistolet), après la guerre ? Un agent secret, bien sûr : c’est ainsi qu’il intègre le SDECE (future DGSE) et qu’il participe à la fondation de son service Action. Il est toujours resté très discret sur ses missions au service de la République, mais elles ont souvent défrayé la chronique ! En 1952, Robert Maloubier, « Bob » pour ses nombreux copains, fonde même la première unité des nageurs de combat français, avec le lieutenant de vaisseau Claude Riffaud.

Bob Maloubier, co-créateur de la première unité des nageurs de combat français.

La guerre secrète en combinaison de caoutchouc.

C’est alors qu’il demande à la maison horlogère suisse Blancpain de lui réaliser une montre de plongée adaptée à ses missions militaires : ce sera la fameuse Fifty Fathoms (« cinquante brasses », la brasse étant une mesure nautique), lancée en 1953 une montre qui existe toujours mais dont les codes esthétiques et techniques (cadrans noirs, chiffres blancs, aiguilles hyper-lisibles, repères de forme géométriques, lunette tournante graduée, etc.) ont inspiré toutes les montres de plongée depuis cette date. Blancpain a tenu à soutenir Bob Maloubier, auquel la marque devait tant, dans les dernières années de sa vie mouvementée.

La montre Fifty Fathoms de Blancpain.

Parce que l’aventure ne s’est pas terminée en rangeant les palmes et le tuba. En 1960, Bob Maloubier doit quitter les nageurs de combat et le SDECE à cause de son amitié assumée avec Jo Attia, un ancien résistant devenu gangster, dont il avait assuré le recrutement par les services secrets français pour quelques exécutions sommaires d’ennemis de la République pendant la guerre d’Algérie. Il se recase alors en Afrique, où il est pris en charge par les réseaux de Jacques Foccard – le conseiller spécial du général de Gaulle pour les affaires africaines. On retrouve la main de Bob Maloubier dans la création de certaines « gardes présidentielles » (les prétoriens locaux de la Françafrique), comme au Gabon, puis dans l’affaire du Biafra (Nigéria), puis dans la défense des intérêts pétroliers de la France en Afrique. Il terminera sa carrière chez Elf, dans les années 1970, avant de se mettre à écrire une dizaine de livres où il contait avec talent et discrétion certaines de ses (més)aventures dans les remous de l’histoire, comme « agent secret de Churchill », comme « espion aux pieds palmés » et dans les coulisses de la République. Lui qui adorait passer à la télévision fera une apparition insolite dans Film Socialisme, un film de Jean-Luc Godard sélectionné en 2010 au Festival de Cannes.

Une vie plus romanesque que nature, une série de coups tordus inavouables (on croise même dans sons sillage le bon docteur Albert Schweitzer) sur trois continents, une « gueule » d’enfer, une icône de l’horlogerie à son poignet, une silhouette inoubliable avec son brevet de nageur de combat en guise de bouton de col : Bob Maloubier était une légende en même temps qu’une personnalité exceptionnelle. La France est orpheline quand elle perd un homme de cette trempe : on aimerait être sûr que sa mémoire sera servie, demain, par des noms de rue ou de collèges, sinon par des hommages officiels…

• LE QUOTIDIEN DES MONTRES

Toute l’actualité des marques, des montres et de ceux qui les font, c’est tous les jours dans Business Montres & Joaillerie, médiafacture d’informations horlogères depuis 2004...

Plus sur businessmontres

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !