François Hollande muscle l'arsenal contre le chômage des jeunes : à mauvais diagnostic, efficacité compromise<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a 25% de chômage chez les jeunes.
Il y a 25% de chômage chez les jeunes.
©Reuters

Coûts pour rien

25% de chômage chez les jeunes... Un chiffre impressionnant, mais qui ne dit rien sur les politiques qu'il conviendrait de mener. Les diagnostics actuels ne tiennent notamment pas suffisamment compte du fossé existant entre les jeunes très diplômés et les peu diplômés.

Charles De Froment

Charles De Froment

Charles de Froment est diplômé de l'Ecole des hautes études sciences sociales et a enseigné à Harvard University, à l'Essec et Sciences po. Il est expert associé à l'Institut de l'entreprise et auteur de l'étude : "L'ère du sur-mesure".

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Atlantico : Invité dimanche 19 avril de Canal +, François Hollande a insisté sur la question du chômage des jeunes et proposé notamment une prime d'activité étendue aux salariés de moins de 25 ans, qui profiterait également aux étudiants et apprentis. Les idées reçues concernant le chômage des jeunes restent nombreuses : quelles sont-elles ?

Charles de Froment : La première des idées reçues consiste à considérer que le chômage des jeunes est un problème totalement généralisé. Ce que l'on voit aujourd'hui, notamment à la faveur de la crise, c'est un accroissement considérable des différences. Pour certains, l'insertion est rendue plus difficile par la crise, mais reste relativement rapide. Là où il fallait trois mois, ils y mettront six mois, mais de manière générale ces jeunes arrivent à s'insérer. Pour d'autres, très peu diplômés ou qui ont poursuivi des études dans des secteurs peu demandés sur le marché du travail, l'insertion est vraiment très difficile.

La situation est donc extrêmement contrastée. C'est la raison pour laquelle il est utile de sortir de ce chiffre qui ne signifie rien, de 25% de jeunes au chômage. Ce chiffre regroupe des jeunes étant rentrés récemment sur le marché du travail et qui, par définition, sont au chômage avant d'avoir trouvé un travail. Et de l'autre côté, des jeunes qui sont déjà au chômage depuis plusieurs années. Il semble donc plus logique d'analyser le chômage des jeunes en regardant leur insertion un an après les études, puis deux ans, et ainsi de suite. A titre d'exemple, les jeunes sans diplômes ont 48%, presque une chance sur deux, d'être au chômage trois ans après avoir arrêté leur formation. En revanche, avec un diplôme d'ingénieur, cette probabilité tombe à moins d'une dizaine de pourcents. Les diplômés du supérieur connaissent un taux de chômage de l'ordre de 11% trois ans après leur sortie, ce qui reste élevé, mais c'est un monde par rapport aux non-diplômés.

Aujourd'hui, le vrai défi de l'emploi des jeunes consiste donc à voir comment on peut faire diminuer le taux de chômage chez les moins diplômés.

Il faut également arrêter de parler systématiquement de l'inadéquation des formations avec les besoins des marchés du travail. De manière générale, il est très rare que l'on décroche un emploi pour lequel on a été formé de manière exacte. On ignore à l'horizon de 5 ou 10 ans quel sera le marché du travail. La révolution numérique a été considérable, personne n'ayant été capable de l'anticiper pleinement, et cela change complètement la nature de certaines professions. Il est donc très dur de préparer 5 ou 10 ans à l'avance quel sera le travail des jeunes. La solution n'est pas d'apprendre dès le lycée les compétences dont on aura besoin. En revanche, il faut s'approcher, dans les derniers mois ou la dernière année, des besoins du marché. Le modèle des Trente Glorieuses qui consistait à former tant d'ingénieurs ou autres pour répondre au marché du travail, a vécu. Le monde du travail est aujourd'hui trop mouvant.

Les outils employés actuellement permettent-ils de lutter activement contre le chômage chez les jeunes: qu'en est-il…

  • Des emplois aidés ?

On est face à une situation dramatique. On propose des solutions d'urgence qui vont permettre d'occuper les jeunes et faire baisser le taux de chômage, mais ce n'est pas une politique de long terme. A partir du moment où un emploi ne correspond pas à un besoin économique identifié, il est très difficile d'en faire un levier d'employabilité future. C'est le caractère un peu artificiel de l'offre d'emplois aidés. Il est extrêmement compliqué de trouver un travail dans un secteur où il n'y a pas nécessairement de besoin. Le système a démontré son efficacité, mais elle n'est que de court terme ! Cela permet simplement d'obtenir la paix sociale et de peser mécaniquement sur les statistiques du chômage des jeunes.

  • De l'apprentissage ?

L'apprentissage est la meilleure forme d'insertion des jeunes sur le marché du travail. Toutefois, cela fait quinze ans que l'on affirme qu'il est nécessaire de développer l'apprentissage, sans y parvenir. Pour les niveaux CAP, BEP et Bac, on est incapable de faire augmenter le nombre de jeunes en apprentissage. C'est donc une utopie de penser que l'on peut en faire, comme en Suisse ou en Allemagne, l'outil d'insertion numéro 1 des jeunes sur le marché du travail.

Cette difficulté en France est liée à des raisons des coûts, qui ont été privilégiées par le gouvernement. En réaction, celui-ci a décidé de le rendre presque gratuit dans certaines circonstances. Mais les entreprises considèrent que le dispositif d'apprentissage est beaucoup trop contraignant sur le plan administratif et ne se marie pas bien avec leur mode de fonctionnement. Les contraintes de production ou de fonctionnement des services vont être relativement incomptables avec la façon dont va fonctionner l'apprentissage. Par ailleurs l'apprentissage est très lourd à mettre en place sur le plan administratif.

L'autre dimension est liée au point de vue des jeunes, en particulier ceux qui sont moins qualifiés ou en rupture. Le temps d'apprentissage est extrêmement long, jusqu'à 18 mois. Pour quelqu'un qui est en rupture, a du mal à accomplir ses études de manière normale, le retour sur investissement est trop long. Ce n'est pas suffisamment motivant, donc, pour les jeunes en difficulté, pour lesquels les récompenses sont trop tardives. Il ne faut donc pas essayer de faire rentrer toutes les entreprises et les jeunes dans les cadres actuels de l'apprentissage, qui ont été définis pour une autre époque, celle de l'industrie triomphante avec des carnets de production à long terme, etc.

Il convient aujourd'hui d'adapter l'apprentissage à l'économie des services. Ce que fait Thierry Marx dans son dispositif "Cuisine mode d'emploi" est un bon exemple. En 6 ou 12 semaines, il leur apprend par exemple les 80 gestes fondamentaux de la cuisine avec à la clef, une promesse d'embauche. Les jeunes en difficulté se reconnaissent dans ce système. C'est une forme de dispositif commando avec des retours sur investissement immédiats. On est dans l'esprit de l'apprentissage mais pas dans les cadres rigides du système.

L'avenir réside, de mon point de vue, dans la capacité des entreprises à définir des programmes plus souples, rapides, qui vont leur permettre de mobiliser plus de jeunes.

  • De la prime d'activité annoncée par François Hollande ?

Je suis toujours méfiant par rapport à ces dispositifs d'incitation. Cela peut améliorer un peu le fonctionnement actuel, donner une incitation à l'activité… Mais le vrai défi sur la formation des jeunes est lié à un système éducatif qui ne permet pas à l'ensemble des jeunes d'arriver au niveau de compétences nécessaire à leur entrée sur le marché du travail. Le problème est plus profond que cela.

Quelles sont finalement les causes du chômage des jeunes ?

En France, nous avons un niveau d'exigence - pas d'élitisme - trop faible par rapport à ce que les jeunes devraient atteindre au terme de leur formation. On se retrouve avec un décalage entre leur professionnalisme et ce que l'on attend sur le marché du travail. Par exemple, dans les métiers de la restauration collective que l'on considère à tort comme étant peu qualifiés, on demande aujourd'hui de façon croissante aux jeunes d'avoir un esprit de service développé, de savoir travailler en équipe et respecter des normes d'hygiène et de sécurité, voire de parler anglais… Autant de compétences exigées que l'on a du mal aujourd'hui à transmettre aux jeunes. C'est beaucoup plus fondamental qu'un dispositif d'incitation fiscale.

Les jeunes les plus en difficultés sont ceux qui aujourd'hui n'arrivent pas à démontrer leur utilité sur un marché du travail de plus en plus exigeant. On parle beaucoup de l'impact du numérique : il repousse un peu les frontières du travail humain. Toutes les tâches les plus simples sont automatisées. Par conséquent à tous niveaux de qualification, on a besoin de personnes qui démontrent leur valeur-ajoutée. Or, avec un système éducatif qui laisse à l'abandon une partie importante de la jeunesse et lui laisse croire que l'on peut s'en sortir dans la vie même sans diplôme ou avec un diplôme universitaire moyen, on se retrouve avec une situation difficile où une partie de la jeunesse n'est pas très employable.

Le marché du travail se transforme beaucoup et l'on a besoin d'avoir un niveau d'exigence élevé indépendamment du diplôme. Il est nécessaire d'avoir des jeunes avec une véritable valeur ajoutée qui montrent qu'ils sont utiles là où ils sont.

En Allemagne, Autriche, etc. où le niveau d'apprentissage est très élevé, on ne fait pas le pari de l'éducation pour l'éducation, ou du diplôme pour le diplôme. Ce sont des pays où l'on cherche réellement à faire des jeunes des futurs professionnels. C'est cela le véritable esprit de l'apprentissage. L'idée est de former des jeunes capables de démontrer leur capacité à occuper un rôle essentiel dans un espace de travail. En France, il n'y a pas assez d'anticipation des qualités que l'on va exiger sur le marché du travail

Dans une interview accordée au JDD, Martin Hirsch a considéré que les jeunes percevaient le CDI comme l'objectif numéro 1. Est-ce le cas ? Si oui, faut-il mettre fin au CDI pour débloquer la situation ?

C'est peut-être un peu moins le cas mais il y a effectivement l'envie de décrocher un CDI, car il représente la facilité d'accès à un logement, un prêt. C'est aussi la condition pour les jeunes qui le souhaitent, de fonder leur famille. Mais il vaudrait mieux de mon point de vue conseiller aux jeunes de trouver un métier dans lequel s'épanouir et qui donne des perspectives à long terme. C'est cela qui permettra d'avoir quelque chose de stable à long terme. Car se projeter en considérant que ce que l'on cherche c'est la sécurité, malheureusement, ce n'est pas cela qui va faire rêver le futur employeur. L'enjeu d'aujourd'hui et de demain, c'est de trouver un travail qui garantisse le job d'après. La recherche de la sécurité n'est pas ce qui garantit la sécurité actuellement. La vraie sécurité aujourd'hui est de trouver un emploi dans un secteur d'avenir et dans lequel on puisse démontrer réellement ses compétences. Il vaut mieux passer de CDD en CDD, bâtir son projet professionnel.

Mais le fait de mettre fin au CDI ne changerait pas grand-chose. Les entreprises ont besoin d'inscrire leurs salariés dans la durée. Le problème c'est d'aborder la question de l'emploi sous l'angle contractuel. Il convient plutôt de s'intéresser au contenu, plutôt que de se demander quelles garanties juridiques le job apporte.

Il faut toutefois faire en sorte que la fin d'un CDI pour des motifs individuels soit davantage sécurisée sur le plan juridique. Par ailleurs, il n'y a pas assez de flexibilité en interne pour aménager le CDI, avoir plus de souplesse sur les horaires de travail et la mobilité. Cela serait une manière de décomplexer les entreprises sur les embauches.

Quelles seraient les solutions pour débloquer la situation des jeunes sur le marché du travail ?

Une des solutions, c'est de réintroduire des exigences dans le système éducatif à tous les niveaux. Cela a été une grave erreur de privilégier le quantitatif sur le qualitatif et on a dit implicitement que l'exigence serait réservée à l'élite du système éducatif. On s'occupe donc trop peu de l'ensemble des jeunes.

Dans la manière dont on envisage la transition études-emploi, il faut inciter très tôt les jeunes à développer des projets professionnels, à réfléchir à leur avenir via des rencontres au sein des établissements avec des gens déjà sur le marché du travail. Cela peut également passer par des ateliers qui requièrent de créer sa propre entreprise, etc. Car ce n'est que sur du concret qu'il sera possible de motiver des jeunes qui donneront un sens à leur vie professionnelle. L'objectif est de redémontrer à des élèves l'intérêt qu'ils ont à étudier.

Il convient de prendre les jeunes au sérieux. Ce n'est pas normal de considérer que jusqu'à 24 ans, les jeunes ont le droit de ne pas savoir ce qu'ils veulent, car en réalité, se décider après, c'est trop tard. Les jeunes à ce moment-là ont énormément de mal à se reconnecter avec le marché du travail. Il est nécessaire d'arrêter d'infantiliser la jeunesse.

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