Morts par centaines de clandestins en mer Méditerranée : pourquoi l’ampleur de la crise justifierait une intervention de l’ONU<!-- --> | Atlantico.fr
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Intervention des casques bleus de l'ONU.
Intervention des casques bleus de l'ONU.
©Reuters

Casques bleus

Alors que les premiers rescapés du naufrage hier en mer Méditerranée d’un chalutier avec à son bord plus de 700 personnes doivent arriver ce lundi 20 avril en Italie, la question de la migration clandestine entre l'Afrique et l'Europe est plus que jamais reposée.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Après la mort de 400 migrants mercredi dernier en Méditerranée, le Haut-commissariat aux Nations unies pour les réfugiés (HCR) annonce ce dimanche un nouveau naufrage de chalutier qui pourrait avoir fait jusqu'à 700 victimes. Si ce chiffre n’est pas pour l’instant confirmé, par-delà le débat sur les conditions et l’étendue de l’hécatombe, on sait que depuis 1993 ces événements dramatiques se sont accélérés avec environ 10.000 noyades. L’émotion pour autant ne doit pas nous faire oublier que, ces migrations sont à la mesure des velléités d’immigration économique mais surtout, de crises politiques à rebondissements dans cette partie de l’Afrique qui n’a jamais réuni les conditions permettant d’assoir des régimes politiques favorables à une normalisation économique et des démocraties dignes de ce nom. Il est ainsi vain de porter systématiquement la responsabilité du côté des Européens jusqu’à l’accusation absurde de crime contre l’humanité venue de certains, au regard de la volonté de ces migrants de rejoindre le continent européen par tous les moyens, consécutivement à une situation dans leurs pays dans laquelle aujourd’hui l’Europe n‘est pour pas gran-chose.

Un appel à l’unique intervention humanitaire qui fait écran aux véritables enjeux

Jean-Luc Mélenchon, vice-président du Parti de gauche, pense le contraire, pour dire que les Européens seraient «absolument et totalement responsables», sur France 3. Il estime que «nous sommes responsabls parce que nous provoquons des guerres qui mettent des milliers de gens en mouvement de tous côtés, et que là où il y a la guerre il n'y a plus aucun contrôle des franchissements de frontières. C'est le cas de la Libye». Comme si c’était l’Europe ou la France qui avaient provoqué la situation qui est celle relative à une déstabilisation de toute la région par le fait d’une islamisation qui porte partout la guerre!

Le pape François, après avoir exprimé sa «plus vive douleur», a, pour sa part, enjoint la communauté internationale à «agir avec décision et rapidité». Les migrants «sont des hommes et des femmes comme nous, des frères qui cherchent une vie meilleure». On ne saurait se contenter aussi là de ces appels de sensibilité religieuse à une solidarité qui participe à ne voir les choses que par le petit bout de la lorgnette.

Emmanuelle Cosse, pour EELV, fait encore plus fort sur Europe 1 et i Télé  : «On va attendre que tous se noient ? »  On soulignera le sens de la mesure de celle-ci dans un contexte qui mériterait peut-être plus de retenue. « Il faut que l'Union européenne redonne les moyens à Frontex(l'agence européenne de coopération des frontières extérieures de l'UE)et à la force maritime pour aller au devant de ces bateaux et accueillir ces migrants», plaide-t-elle !  Ce n’est pas en incitant à mettre plus de bateau ou à organiser les migrations vers l’Europe, comme le proposent les Verts ou l’association France Terre d’Asile, favorables à la fin de toute frontière, que l’on résoudra quoi que ce soit. D’ailleurs, ces derniers ne disent rien du comment accueillir et des conséquences à court, moyen ou long termes dans ce domaine sensible. Se contenter des bons sentiments, en ne répondant que du point de vue de la dimension humanitaire, frise ici l’irresponsabilité. Il en va non seulement d’enjeux politiques qui sont du ressort des instances internationales, mais aussi, de ceux relatifs à une situation où le rejet des migrants qui commence à se faire jour dans les pays d’accueil comme la Finlande (voir le journal Le Monde de ce lundi) nourrit des risques de montée d’une extrême-droite européenne dont on alimente directement le fond de commerce par ce discours. Il y a 87.000 demandeurs d’asile en Italie avec un flot qui ne faiblit pas. On soulignait ce soir dans un reportage du 20h de TF1, que de plus en plus d’italiens ne se sentent plus concernés ou rejette toute idée d’accueil, dans un contexte de crise économique profonde. Plusieurs centres d’accueil de migrants ont été pris d’assaut par des manifestants qui ont contraint les autorités à en déplacer les occupants.

S’il est bien de désigner les passeurs de « terroristes », comme l’a fait François Hollande, qu’est-il fait pour empêcher que les choses s’aggravent encore ? Chaque passage coûte et vient enrichir non seulement des passeurs, mais tout un système où se mêlent mafia locale et djihadistes, dont les fonds participent de financer la violence et l’arbitraire sur fond de fondamentalisme religieux. Il faut donc aller plus loin !

Nous ne sommes pas face à une immigration ponctuelle et limitée mais à un phénomène de migration internationale massif, qui tient de la décomposition de certains Etats et d’une guerre engagée par l’islamisme contre les peuples, leur liberté. Il en va donc d’un enjeu politique majeur que la question humanitaire, qui est bien réelle, ne saurait masquer et l’Italie faire face seule, comme porte de l’Europe.

Ceux qui ne parlent que des migrants qui prennent les bateaux, laissant penser que le problème serait uniquement relatif à une question d’accueil de ceux-ci par l’Europe, pensent-ils un instant à ceux qui restent, parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir une traversée, même dans ces conditions à haut risque ? Des millions de personnes qui ne pourront jamais être accueillies sur notre continent ont besoin que soient résolus leurs problèmes là où ils vivent, interpellant avec acuité les instances internationales comme l’ONU qui joue au jeu des commissions d’enquête, comme celle sur les violations des droits de l’homme en Erythrée ou des missions d’appui, comme celle en Libye (MANUL) et des négociations interminables pour décider…de ne rien faire.

Une situation explosive qui ne peut être résolue sans agir au plus vite en Lybie

Plongée dans le chaos, la Libye est morcelée et sous la coupe de diverses milices, dont djihadistes. Deux gouvernements se disputent le pouvoir sur des portions de territoire: l’un proche des miliciens de Fajr Libya (Aube de la Libye), parmi lesquels des islamistes, et l’autre, reconnu par la communauté internationale, siégeant dans l’est du pays, près de la frontière égyptienne. Ce dernier a appelé la communauté internationale à «aider (son pays) à renforcer ses capacités militaires nationales»«Cela implique de lever l’embargo sur les armes pour que notre armée puisse recevoir des équipements et des armes pour lutter contre le terrorisme». Mais on s’inquiète que la levée de cet embargo ne fasse parvenir, dans la confusion actuelle, ces armes dans de mauvaises mains. Il a aussi déploré, alors que les groupes djihadistes opérant à partir de la Libye «menacent l’Afrique et l’Europe», que la Libye «ne reçoive pas la même attention que la Syrie ou l’Irak», soulignant pour autant qu’il «ne demandait pas une intervention internationale». Mais en est-on encore là ?

Après la décapitation de 21 chrétiens Coptes par l’Etat islamique, en Libye, en février dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU avait promis de faire quelque chose, mais cela continuent de traîner. Le Caire avait alors ordonné le bombardement des positions des combattants de l’Etat Islamique en forme de riposte. Dans une nouvelle vidéo diffusée dimanche sur internet, le groupe Etat islamique (Daesh) affirme avoir exécuté 28 hommes qu'il présente comme des Ethiopiens de confession chrétienne. L'exécution aurait eu lieu en Libye. Face au chaos libyen, le Caire presse la communauté internationale de « finir le travail » en Libye, après l’intervention de l’OTAN, qui a conduit à la chute de Mouammar Kadhafi. Le président égyptien a appelé à affronter le «problème» libyen, disant qu’il n’y avait pas «d’autre choix» que de demander à l’ONU d’autoriser une intervention militaire menée par une coalition internationale. L’armée égyptienne est déjà confrontée sur son sol, dans le Sinaï (Est), à l’insurrection du groupe djihadiste Ansar Beït al-Maqdess qui a fait allégeance à l’EI en novembre.

Les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne ont indiqué plusieurs fois dans la dernière période leur préférence pour une «solution politique du conflit» en Libye. La Tunisie s’est également opposée à toute intervention militaire chez son voisin. Il y a deux mois, face à l’aiguisement de la situation en Lybie et à l’afflux des migrants, le représentant de l’ONU en Libye Bernardino Leon a pu dire «espérer qu’un accord politique pourra être trouvé bientôt» entre les factions en Libye, pour permettre la formation d’un gouvernement d’unité nationale. L’Italie a cependant averti que le temps était compté pour une solution politique. «La détérioration de la situation sur place requiert un changement de rythme de la part de la communauté internationale avant qu’il ne soit trop tard», a déclaré son ministre des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni (AFP).

La solution au problème sera offensive, globale et politique, ou elle ne sera pas !

En réalité, ceux qui prennent les bateaux ne sont que la partie émergée de l’iceberg ! C’est aussi aux autres qu’il faut penser, qui meurent non dans des bateaux mais par la guerre et les violences sur place. On a appris que des musulmans s’en sont pris à de chrétiens sur un navire, pour les jeter à la mer, reproduisant ce qui se passe sur terre, dans leur pays. Voilà ce qui nous amène bien au-delà des bons sentiments, à la véritable question politique qui est ici posée au regard d’un monde auquel il est question de donner un minimum de repères communs qui relèvent du principe de liberté, qui est au fondement de la condition moderne de l’homme, à quoi est censée veiller l’ONU. On pourrait se remémorer ceux qui ont pu nous expliquer au moment des révoltes arabes, qu’il y aurait différentes voies aux civilisations, justifiant de considérer la référence universelle au modèle démocratique occidental, comme un vulgaire ethnocentrisme. Il y a là de quoi faire, à tout le moins, réfléchir.

La situation des migrations venues de l’Afrique est intenable pour bien des raisons. Bien plus que simplement faire le constat de la catastrophe humanitaire à laquelle donne lieu le trafic des passeurs derrière l’illusion d’un Eldorado européen, en s’indignant devant les noyades qui s’enchaînent, la question véritable est de savoir d’où peut venir la solution, qui ne peut être avant tout qu’offensive face aux djihadistes et à ceux qui profitent du chaos, ainsi que globale et politique.

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