François Hollande sur Canal + : toujours plus de com’, toujours moins de fond et un même résultat, la désacralisation de la fonction présidentielle <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande sur Canal +.
François Hollande sur Canal +.
©Reuters

Infotainment

Le président de la République était en représentation ce dimanche 19 avril sur le plateau du "Supplément", émission hebdomadaire de Canal +. Immersion dans la vie à l'Elysée, propos rassurants et discussion avec des lycéens : François Hollande a surtout voulu laisser une impression générale.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : François Hollande était l’invité du "Supplément" sur Canal + ce dimanche 19 avril. Qu’en est-il ressorti sur le fond ?

Jean Petaux : Ma réponse est forcément subjective : pas grand-chose. Je pense très précisément que l’exercice en lui-même, le format de l’émission, son style, son « écriture », ne laissait guère espérer un événement politique d’importance majeure. Pour autant et pour parler du fond, François Hollande a tenu à travers plusieurs signes à montrer qu’il n’était pas enfermé dans une « bulle élyséenne » hermétique et étanche qui ne lui permettrait pas d’entendre ce qui remonte du pays réel. La principale annonce qui a été formulée concerne la saisine par le président lui-même du Conseil constitutionnel concernant la loi sur le renseignement actuellement en discussion au Parlement. Si l’on peut comprendre que les lycéens avec lesquels il a discuté, à la fin de l’émission, n’étaient pas susceptibles de réagir à cette annonce (ils n’étaient pas invités pour cela d’ailleurs), il aurait été souhaitable que le rédacteur en chef de l’émission, en régie, utilise l’oreillette la reliant à la présentatrice, pour lui souffler qu’elle assistait-là à un événement tout à fait exceptionnel : la saisine du Conseil constitutionnel par le président de la République lui-même est quelque chose de très rare sous la Vème République. Surtout pour un texte de loi d’origine gouvernementale alors que nous sommes hors cohabitation. Sachant que François Fillon avait d’ores et déjà annoncé que soixante parlementaires (députés et sénateurs) saisiront le Conseil constitutionnel sur la conformité de la loi sur le renseignement à la constitution du 4 octobre 1958, François Hollande a décidé de les prendre de vitesse ou, en tout état de cause, de ne pas leur laisser le « bénéfice de la saisine ». C’est aussi l’occasion, dans le cas où la loi serait validée, de lui donner plus de force, sans que cela n’en fasse pour autant une « loi organique ». La loi sur la bioéthique de 1997 a ainsi été renforcée par la décision des neufs sages de la rue Montpensier (le Conseil constitutionnel).

D’autres mesures ont été rappelées par François Hollande : la prime à l’embauche (entre autre pour les moins de 25 ans) ; le « compte formation » tout au long de la vie professionnelle, présenté comme la « grande avancée sociale » du quinquennat ; l’exonération totale des charges pour les entreprises embauchant un jeune apprenti (mesure existant déjà…). Rien de tout cela n’est réellement nouveau. Tout comme l’évocation de la loi sur « le mariage pour tous » dont le président a rappelé la dimension positive pour « les jeunes » (public de l’émission oblige…) et surtout son inscription désormais sans problème dans le paysage institutionnel et législatif français. En dehors de cela il me semble que c’est surtout une impression générale qu’a voulu laisser le président de la République : « proximité, attention aux Français et maintien du cap jusqu’au bout du mandat ».

Qu’en était-il de la forme ? En faisant le choix d’un format moitié politique, moitié "entertainment", François Hollande a-t-il donné encore plus de grain à moudre à ceux qui l’accusent de désacraliser la fonction présidentielle et les institutions ?

On était incontestablement dans cet « infotainment » dont raffolent aujourd’hui non seulement les communicants mais aussi les chaines de télévision comme Canal +. François Mitterrand face à Yves Mourousi, sur TF1, le 28 avril 1985 (il y a pratiquement tout juste 30 ans) avait été le premier président de la République à pratiquer cet exercice se voulant décontracté, (« bléca » ou « chébran » pour reprendre le vocabulaire mitterrando-mourousien de l’époque). Valéry Giscard d’Estaing avant eux, encore, s’était essayé une seule fois à une émission de télévision « à la rencontre des Français ». Cette forme de prestation télévisée politique se veut plus attractive, alternant les « reportages-vérités » et les réactions de la personnalité invitée. Sur une idée de Claude sa fille, Jacques Chirac s’était aussi essayé à l’exercice avec de jeunes françaises et français invités à discuter avec lui. L’expérience avait été un vrai fiasco, montrant un Chirac qui n’entendait pas (au sens propre) les questions posées et totalement « hors-jeu ».

Si vous ajoutez, en guise de « mise en bouche », en ouverture d’émission, un sujet sur l’invité lui-même et sur l’exercice de sa fonction dans son cadre quotidien, vous opérez une sorte de « mise en abyme ». Tout cela est très convenu et n’offre pas réellement d’intérêt. J’ignore combien de personnes auront été censées regarder l’émission et surtout quelle aura été la variation par rapport aux précédentes éditions mais par son style et ses chroniqueurs (entre autres Cyrille Eldin plutôt populaire chez les plus jeunes), elle s’adresse prioritairement à un public CSP+, urbain et plutôt jeune. En moyenne l’émission fait depuis septembre 2013, 1 million de téléspectateurs et Manuel Valls, qui n’était pas encore premier ministre, en a rassemblé 1,22 millions le 2 février 2014 (soit 7,2% de parts de marché à cette heure-là).

Bien évidemment, voulant apparaître comme proche des Français, allant même jusqu’à se parodier lui-même par une anaphore « spéciale dédicace » : « Moi président, j’achète moi-même mes costumes » (pour se faire d’ailleurs gentiment imiter quelques minutes plus tard par un des jeunes lycéens de Thiais qui s’est livré lui aussi à une plus longue séquence sur le mode du « Moi lycéen »…),  François Hollande s’expose à une critique supplémentaire sur la désacralisation de la fonction présidentielle. Les communicants se heurtent ici à une sorte de contradiction indépassable : « faire proche en continuant à faire présidentiel ». Il serait temps d’en finir avec ce que Régis Debray appelle très justement « l’obscénité démocratique » et cesser ces contorsions médiatiques réputées rapprocher le représentant élu des électeurs.

Le président a discuté laïcité et vivre ensemble avec quelques lycéens. Cette séquence présentait-elle un quelconque intérêt ?

Je pense que cette séquence était totalement ridicule. Les six jeunes lycéens présents sur le plateau ont parfaitement joué leur rôle : incultes et ignares et (gentiment) insolents. Passe encore que le président de la République reste huit heures au Salon de l’Agriculture à tâter le cul des vaches… au moins elles ne parlent pas (tout juste sont-elles autorisées à mugir). Transformer le plus haut représentant de l’Etat en conseiller d’éducation chargé d’expliquer à six adolescents pré-pubères (« bouffons » diraient leurs collègues…) que rire de la Shoah est passible des tribunaux, c’est assez affligeant. D’abord et en premier lieu pour l’Education nationale qui « produit » ce genre de guignols. On apprend d’ailleurs au passage que le lycée de Thiais où ces jeunes gens sont scolarisés (« modèle de mixité sociale : grandes barres et petits pavillons »… - sic -) «obtient d’excellents résultats au bac : 92% » (re-sic). Ce qui achève de désespérer sur la qualité du baccalauréat et sur le niveau scolaire des bacheliers. A moins qu’entre leur classe de seconde et leur fin de terminale, ceux-là, présents sur le plateau de Canal +, ne connaissent une amélioration sensible de leur culture générale. Je ne pense pas que le propos de l’émission était que le président de la République confirmât la régression phénoménale de la France dans le classement international PISA, à la 25ème place des pays de l’OCDE en 2013. S’il faut désormais que le président enseigne la laïcité aux lycéens il risque d’être particulièrement occupé. D’autant qu’il ne pourra faire l’économie de l’expliquer aussi à la majorité des enseignants des collèges et des lycées et il n’est pas certain que cet exercice soit plus aisé qu’avec leurs élèves…

Peut-on tout de même retirer quelques points positifs ?

Oui. Trois. 1) Philae semble plus calme et apparait comme moins agitée. Elle est sans doute en train de terminer son stage d’adaptation à l’Elysée. / 2) François Hollande n’a rien perdu de son légendaire sens de la répartie (sur Jean-Vincent Placé c’est parti très vite et c’était, pour le coup, très bien ajusté) ; de la petite phrase (sur les états d’âme des ministres également) et de l’humour (la nuit avec Poutine et Merkel restera dans les annales). / 3) Le plus important : les soldats engagés dans l’opération Barkane font un travail impressionnant, dangereux et très professionnel.

C’est d’ailleurs sur ce plan-là, celui de la lutte contre le terrorisme dans ce que les stratèges appellent la BSS (la Bande Sahélo-saharienne) que François Hollande est incontestablement le plus performant. Certainement plus inspiré que son prédécesseur (et son « conseiller en interventions militaires » de l’époque : Bernard-Henri Lévy) qu’on aimerait entendre sur les naufrages à répétition des immigrants en mer Méditerranée et sur le dernier en date, celui de ce dimanche, concernant plus de 700 personnes... L’appel que François Hollande a lancé à ses partenaires européens, dès le début de l’émission sur Canal +, n’hésitant pas à employer le terme de « terroristes » pour désigner les « pseudo-passeurs » qui chargent les bateaux de fortune qui sombrent entre les côtes libyennes et italiennes, montre encore une fois, que sur cette question-là la France est certainement un des Etats parmi les plus actifs en Europe, même si de récentes statistiques ont aussi indiqué qu’elle était un des Etats qui accueillait le moins de réfugiés par ailleurs.

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