Benoist Apparu : “que Fillon et Sarkozy ne s’y trompent pas, Juppé sera un pur réformateur”<!-- --> | Atlantico.fr
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Le député-maire de Châlons-en-Champagne, Benoist Apparu.
Le député-maire de Châlons-en-Champagne, Benoist Apparu.
©Reuters

Entretien politique

Pour le député-maire de Châlons-en-Champagne, si Alain Juppé est élu en 2017, celui-ci n'aura d'autre souci que l'intérêt collectif. Il en veut pour preuve l'ambition affichée par l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac de ne briguer qu'un seul mandat. Il en profite pour mettre en garde ceux qui, comme François Fillon, estiment pouvoir "faire adopter en moins de trois mois les dix décisions principales de nature à débloquer la situation économique" de la France (déclaration faite par F. Fillon dans Le Point).

Benoist Apparu

Benoist Apparu

Benoist Apparu est un homme politique (UMP). Il est actuellement député de la Marne et maire de la ville de Châlons-en-Champagne. Il a été ministre délégué chargé du logement de février à mai 2012

 

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Atlantico : François Fillon a déclaré sa candidature à la primaire UMP dans une longue interview publiée cette semaine dans Le Point. Peut-il venir perturber le duel qui semblait acquis entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ? 

Benoist Apparu : Bien sûr. La primaire a lieu dans 18 mois, il est donc évident que d’autres candidats vont venir, non pas perturber la course à l’investiture, mais jouer leur propre jeu, avec leurs propositions. Chacun apportera ses préconisations, et saura convaincre ou non un électorat. François Fillon, comme d’autres, est un acteur essentiel de la primaire de 2016.

François Fillon et Alain Juppé se réclament haut et fort d’une union de la droite et du centre. Ne risquent-ils pas, dans le cadre de la candidature à l’investiture, de faire doublon face à Nicolas Sarkozy, que l'on sait plus marqué à droite ? La question de l’association Fillon-Juppé pourrait-elle en venir à se poser ?

On ne peut pas vouloir une primaire, et en même temps sélectionner les "bons" et les "mauvais" candidats. On ne peut pas, au prétexte qu’untel chasserait sur les mêmes terres qu’un autre, vouloir l’empêcher de se présenter tout en ayant défendu le principe même d’une primaire. Alain Juppé a été le principal défenseur de cette primaire. Il a incarné la stratégie gagnante de l’union de la droite et du centre. Si d’autres sont sur la même ligne, tant mieux. Mais ne partons pas dans l’idée qu’il serait souhaitable que certains se retirent au prétexte qu’ils risquent d’en gêner d’autres. Ce serait totalement contradictoire avec l’idée de départ.

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Cependant la question de l’efficacité dans le processus électoral viendra forcément à se poser en novembre 2016…

Bien sûr, mais cela ne doit pas empêcher François Fillon de porter son message devant les électeurs. C’est son choix et son droit. Qui serions-nous pour dire à un candidat qu’il va nous gêner, et qu’il doit donc débarrasser le plancher ? Ce n’est pas l’esprit d'une primaire. Et dois-je rappeler que ces dernières peuvent s'organiser en deux tours ? Que chacun mène et vive sa campagne, et l’on verra ce qu’il en ressortira à l’arrivée.

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Toujours dans son interview au Point, François Fillon a détaillé largement son projet pour la France, n'hésitant pas à donner un coup de pied dans la fourmilière, en estimant que ce qui le différenciait d'Alain Juppé était que ce dernier considérait qu'il fallait "prendre le temps du changement". Quelle vision Alain Juppé propose-t-il à la droite ?

François Fillon propose une vision qui est la sienne, qui est légitime et intéressante. Il ne me revient pas de juger son positionnement, pas plus qu’il ne lui revient de de juger celui des autres. Alain Juppé incarnera sa propre ligne, qui n’est absolument pas celle que décrit François Fillon.

Premièrement, Alain Juppé se veut un réformateur résolu, et s’il a indiqué à plusieurs reprises qu’il ne ferait qu’un mandat, c’est justement pour cette raison-là, c’est-à-dire faire ce qui est nécessaire pour le pays, et non ce qui est nécessaire pour assurer sa propre réélection. Depuis des années la France vit un drame : ses dirigeants ne pensent qu’à l’élection qui suit, et ne gouvernent presque que pour être réélus. Alain Juppé sera, parce qu’il ne fera qu’un mandant, celui qui fera véritablement "le job".

Deuxièmement, il faut sortir des slogans et des propos de campagne électorale. L’enjeu principal n’est plus de dire les choses mais de les faire. Nous attendons un réformateur, qui dira pendant sa campagne ce qu’il fera. La garantie que Juppé offre aux Français, c’est qu’il sera désintéressé pour lui-même. Car les Français n’accordent plus de crédibilité à la parole publique. Ils ne croient plus aux propos de campagne électorale. L’un des enjeux de la future campagne sera de prouver sa sincérité et la crédibilité de sa parole. Par sa stature, sa crédibilité et la confiance qu’on peut lui accorder, Juppé peut, me semble-t-il, répondre à cette équation.

Mais que François Fillon, Nicolas Sarkozy et tout autre candidat ne s’y trompent pas, Alain Juppé sera un pur réformateur.

Dans l’idée de produire une "thérapie de choc", comme c’est l’intention de François Fillon ?

Un mandat dure 5 ans, soit autant de temps pour mener le travail nécessaire. Je sais bien que tout le monde adore la théorie des "cent jours", en considérant que tout sera fait sur cette période, mais soyons sérieux. Vous le savez comme moi, la réalité est différente : si l’on veut qu’une réforme soit bien préparée et bien menée, 3 mois ne suffisent pas ! Il ne s’agit pas de se dire que nous prendrons notre temps, mais de se demander quelle est la méthode efficace pour enfin véritablement réformer la France. Car là encore, cela fait 30 ans que l’on nous dit "vous allez voir ce que vous allez voir", et qu’ensuite on ne voit pas grand-chose…

Vous reconnaissez que la droite s’est plus bercée de paroles que d’actes les dernières fois qu’elle a été au pouvoir ?

C’est un défaut récurrent de la classe politique française, droite et gauche confondues. Bien sûr, on peut trouver un tas d’excuses et d’explications. Nicolas Sarkozy a mené une campagne électorale qui a été totalement battue en brèche par la crise. François Fillon était à ses côtés dans la campagne. Ils ont tous les deux dû faire face à une crise d’une rare violence. Ce qui avait été dit pendant la campagne de 2007 n’a pas été réalisé à cause de la crise, bien sûr, mais l’enjeu principal consiste à se demander si pendant les différents quinquennats que nous avons effectué, les cinq ou six réformes nécessaires ont été faites. J’ai cru comprendre que Fillon regrettait lui-même de ne pas être allé plus loin. Cette fois-ci il faut arrêter de regretter, et faire, tout simplement.

Qu’avez-vous de plus convaincant aujourd’hui que ces trente dernières années ?

Je pense que la plupart des Français sont aujourd’hui convaincus que les hommes politiques pensent élections avant action, conquête électorale, et non exercice du pouvoir. La classe politique française est tournée vers la conquête du pouvoir, or sa fonction principale se trouve dans l’exercice du pouvoir. Si vous ne pensez qu’à la meilleure manière de ne pas perdre la prochaine élection, vous vous trouvez mécaniquement dans l’impossibilité de faire ce qui est nécessaire pour le pays. Il faut quelqu’un qui soit là uniquement pour penser à l’exercice de sa fonction.

Alors que Nicolas Sarkozy a une longueur d'avance sur l'appareil politique et que François Fillon détient l'avantage sur les propositions, Alain Juppé bénéficie surtout d'une image de prudence et de compétence, des qualités qui conviennent finalement mieux à un Premier ministre qu'à un président de la République. Cela peut-il constituer un handicap dans l'objectif d’une primaire ?

Je ne me reconnais pas dans la description que vous faites d’Alain Juppé. Je dis oui pour la compétence, et non pour la prudence. Il suffit de remonter à 1995 pour se rappeler que l’histoire personnelle d’Alain Juppé n’est pas mécaniquement celle de la prudence, mais plutôt celle de la réforme lourde. Une réforme qui était probablement en avance sur son temps. C’est pourquoi je ne le retrouve pas dans le terme de "prudence". Je sais – et c’est légitime – que certains veulent lui coller à la peau l’image d’un réformateur modéré et prudent, alors que c’est tout l’inverse. Il se veut et se voit comme quelqu’un qui réformera massivement la France. Nous nous trouvons à 18 mois de la primaire, et à un peu plus de deux ans de l’élection présidentielle. Nous avons fait le choix de "partir" un peu plus tard que François Fillon, de bâtir notre projet en partie avec les Français, de le mûrir de façon massive et lourde, sans forcément le donner demain matin dans son intégralité à la presse. Une attente existe, c’est compréhensible, mais notre calendrier n’est pas le même que celui de François Fillon et Nicolas Sarkozy. J’entends bien que les journalistes veulent avoir des réponses sur tout immédiatement, mais j’imagine les mêmes journalistes se plaignant dans six mois qu’il n’y ait plus rien de nouveau dans nos annonces.

Selon Le Parisien, Nicolas Sarkozy ironiserait en privé : "J'ai été président de la République, j'ai gagné dans mon camp (fin 2014) et je vais perdre la primaire. Allons..." La tradition bonapartiste de l’UMP ne risque-t-elle pas de lui donner raison, et de nuire à Alain Juppé ?

Vous avez raison sur l’analyse culturelle, notre famille politique est de culture bonapartiste. C’est d’ailleurs pour cette raison que Nicolas Sarkozy cherche à avoir un parti à sa main en en changeant le nom. C’est son choix que de vouloir l'incarner de cette manière. J’apporte simplement un bémol : maintenant avec la primaire, le patron du parti n’est plus seulement le candidat. Avec 10 000 bureaux de votes, qui se traduiront par 3 à 4 millions d’électeurs, on est loin des 200 000 militants actuels. Nicolas Sarkozy va bien évidemment jouer avec son rôle institutionnel de dirigeant de parti, mais ce sont les "x" millions d’électeurs qui se déplaceront loirs de la primaire qui arbitreront.

Si Alain Juppé bénéficie d'une grande popularité dans l'opinion, Nicolas Sarkozy semble toujours être le favori des sympathisants de droite. Lors d’une primaire on s’attend surtout à ce que ce soient les électeurs les plus radicaux qui fassent le déplacement…

Mais pas avec 4 millions d’électeurs. Je rêverais que l’UMP ait autant de militants, mais ce n’est pas le cas, elle en a 200 000. L’incarnation du leadership pèse, effectivement, mais lorsque les Français s'entendent poser la question dans les sondages "irez-vous voter lors de la primaire UMP ?", ils sont très nombreux à répondre par l’affirmative. Dans ce cas, les sondages sont beaucoup plus mesurés que vous ne le laissez entendre. Le dernier sondage, notamment, place Alain Juppé en tête de la primaire. Tout peut encore bouger en 18 mois, cependant je ne crois pas à la thèse que vous évoquez.

Alain Juppé n’aurait donc pas intérêt à faire une priorité de la séduction de l’électorat traditionnel de l’UMP ?

Il s'agit pour Alain Juppé de convaincre les citoyens qui participeront à la primaire.  "Séduire" l’électorat d’extrême droite, d’extrême gauche ou du PS n’aurait pas de sens. Alain Juppé souhaite évidemment convaincre les militants de l’UMP, les sympathisants de l’UMP, les sympathisants de droite, ainsi que les militants et les sympathisants du centre. C’est cet électorat qui se présentera à la primaire de 2016. En campagne, il faut oublier le marketing, ne pas vouloir à tout prix séduire une catégorie de personnes.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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